Résistances aux guerres

Les réfractaires depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie (22ème épisode • juillet-août 2025)

Mis à jour le 31 août 2025

Actions contre la guerre Antimilitarisme Guerres

Mise en ligne : Mercredi 9 juillet 2025
Dernière modification : Dimanche 7 septembre 2025

Depuis octobre 2022, Guy Dechesne recense longuement les actes de désertion, d’insoumission, de désobéissance et d’exil posés pour refuser de combattre, les actions de désobéissance civiles pour entraver la guerre et les appuis que les réfractaires reçoivent tant dans les pays concernés qu’à l’étranger dans le prolongement d’un dossier paru dans le numéro 164-165 de « Damoclès »
Les chroniques ont été rassemblées dans un ouvrage co-édité avec les éditions Syllepse et disponible auprès de l’Observatoire.
Cette rubrique est rédigée à partir d’un suivi méticuleux des médias. 22ème épisode, juillet-août 2025.

Retrouvez les épisodes précédents dans la rubrique Résistances

Échange de prisonniers

Des soldats prisonniers ukrainiens sont rapatriés. « Lorsqu’ils reviennent, 90 % des prisonniers ont été torturés », déplore un officier : comité d’accueil avec des passages à tabac pouvant atteindre douze heures, réveil à deux reprises pour les empêcher de dormir, obligation de rester debout des journées entières, de marcher courbés les mains derrière le dos, privation de nourriture, isolement prolongé, agressions sexuelles… Ces sévices sont confirmés par Amnesty international, Human Rights watch et les rapports du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU.

Un prisonnier ne reconnaît pas sa fiancée. À l’hôpital, un chirurgien a gravé au bistouri électrique sur le ventre d’un prisonnier « Gloire à la Russie ». Des gardiens de prison ont gravé une croix gammée sur le front d’un autre [1].

Les autorités ukrainiennes ont annoncé la mise en examen d’Aleksandr Shtoda, le directeur d’un centre de détention de Taganrog où des actes de tortures sont perpétrés. La journaliste Viktoria Rochtchyna y a longuement été détenue alors qu’elle enquêtait sur le système pénitentiaire russe. Son cadavre, gravement mutilé a été rendu en février 2025 [2].

Un fusilier marin témoigne : Sur le front, c’est « une morsure de chien, dans la prison de Koursk », explique l’Ukrainien de 30 ans. « Nous avons été tabassés quatre par quatre avec des matraques électriques. Des chiens nous mordaient. Les mecs hurlaient dans le couloir. » « Le nez cassé, la jambe brisée, c’était là-bas aussi ». Les traumatismes crâniens sont invisibles, mais datent d’un peu plus tôt, comme les lignes blanches sillonnant ses avant-bras, la trace de chocs électriques. « À Olenivka, ils m’ont pris mon alliance. J’ai tenté de les arrêter en leur disant : “C’est sacré !” Réponse : “Tu la donnes ou on te coupe le doigt.” » Pas de toilettes, de l’eau sale à boire. « La nuit, les portes claquaient, les gens hurlaient dans les cellules. Les interrogatoires étaient faits par des pros de la torture. Quand vient ton tour, tu as peur à chaque seconde, à chaque question. »

Il est transféré avec 24 autres détenus à Koursk. « Là, ils m’ont accusé d’être un espion américain, car j’ai fait quatorze mois d’études aux États-Unis. « “Assieds-toi”, m’ont-ils d’abord dit en m’offrant une cigarette. Ils voulaient me forcer à avouer qu’en défendant Marioupol j’avais donné l’ordre de tirer sur des civils. J’ai répondu : “Mais pourquoi vous voulez qu’il y ait des civils entre deux positions sur un front ?” Puis j’ai rétorqué : “Et vous, les civils du théâtre de Marioupol, de la maternité ?” Là, j’ai passé la plus atroce des nuits. Ils m’ont tellement tabassé que je me suis réveillé dans ma cellule sans me souvenir de rien. Je n’ai signé qu’un papier sur ceux demandés, et j’ai été condamné à quarante ans. » Il a été échangé contre des Russes. Il pèse alors vingt-neuf kilos de moins que deux ans plus tôt et il boîte. Il lui faut un mois et demi pour comprendre qu’il est libre mais qu’il ne sera jamais plus comme avant.

Il explique qu’il a pris l’habitude d’aller accueillir d’autres prisonniers de guerre à leur retour. « Nous parlons ensemble des prisons où ils sont passés, des détenus qu’ils ont croisés, de bien d’autres choses encore. Je les comprends mieux que personne, et inversement [3]. »

Vesna

Vesna a été fondée à Saint-Pétersbourg en 2013 par des militants des sections jeunesse du parti Iabloko, des mouvements Solidarité et Oborona. Depuis 2016, des sections ont commencé à apparaître dans d’autres régions. Vesna a organisé des actions politiques et, depuis février 2022, elle est devenue l’un des leaders de la contestation pacifiste en Russie.

Après le lancement du SVO (« Opération militaire spéciale »), Vesna a appelé ses partisans à participer à des rassemblements et, en septembre 2022, à manifester contre une mobilisation partielle. À la fin de cette année-là, le tribunal a classé Vesna comme organisation « extrémiste ».

Le procès de six accusés dans l’affaire Vesna est en cours devant le tribunal municipal de Saint-Pétersbourg. Ils sont accusés de plusieurs faits graves, dont la responsabilité est imputable à leur position pacifiste. L’affaire pénale repose sur des centaines de publications et de commentaires qui auraient été rédigés au nom de Vesna après le début de l’« opération militaire spéciale ». La défense a contesté les accusations. Le 13 août 2025, à la place des avocats, c’est le procureur qui a pris la parole pour réclamer la prolongation de trois mois des mesures préventives.

La détention a été prolongée sans permettre aux accusés de s’exprimer. Le président a interrompu l’un d’eux : « Vos histoires et vos sketches poétiques ne devraient pas nous concerner, laissez cela aux médias [4]. »

Bourrage de crâne

Le ministère russe de l’Éducation commencera à tester des cours d’éducation patriotique pour les enfants de trois à sept ans à partir du 1er septembre 2025, rapporte Vedomosti, citant des sources du ministère. Ces cours devraient être dispensés simultanément dans les écoles maternelles de 22 régions, dont Moscou.

Les principaux thèmes qui seront abordés avec les enfants sont déjà connus :

  • L’importance de la famille et de l’amitié, le développement des compétences en communication et en coopération ;
  • Développement des qualités morales : bonté, honnêteté, justice, miséricorde (les qualités principales de Poutine) ;
  • Connaissance de l’histoire, respect de la culture russe et amour de la patrie.

« C’est à l’âge préscolaire que se posent les bases solides de la personnalité de l’enfant, de ses valeurs et de son attitude face au monde », a déclaré à Vedomosti le ministre de l’Éducation Sergueï Kravtsov [5].

Cette éducation patriotique russe est obligatoire depuis plusieurs années pour les élèves et étudiants de tous niveaux, y compris dans les oblasts ukrainiens annexés de force par la Russie.

C’est ainsi que, dans la banlieue de Louhansk, une avocate et sa fille ont été convoquées « concernant les violations des droits de la mineure à l’éducation et à l’instruction de la part de sa mère » qui enfreint l’esprit patriotique de la Russie, son nouveau pays, à savoir l’« opération militaire spéciale » et les valeurs traditionnelles russes et crée ainsi « un environnement de vie socialement dangereux. » Le niveau scolaire de l’élève est reconnu excellent par les professeurs. Sur Telegram, l’avocate et un père n’ont été que deux à souhaiter l’enseignement de l’ukrainien qui a ensuite été supprimé. « En 2022, sur 600 élèves, nous n’étions que trois pro-Ukrainiens », déplore la lycéenne. Les jeunes gens sont fortement incités à rejoindre les mouvements de jeunesse poutiniens. « Si tu n’es pas inscrit, tu es considéré comme un ennemi », résume l’adolescente. Son professeur d’histoire lui reproche « Une forme de contestation qui n’est pas de son âge. Ainsi […] lorsqu’on prononce des mots en lien avec notre État, elle tente de poser des questions provocantes », comme quand elle avait évoqué le pacte Ribbentrop-Molotov où Hitler et Staline s’étaient partagé la Pologne et les pays baltes alors que Poutine glorifie Staline et sa Grande guerre patriotique, comme si les crimes passés justifiaient les crimes contemporains, et alors que son ministre des Affaires étrangères rencontre Trump en Alaska avec un vêtement provocant marqué « URSS ». La lycéenne avait demandé à un autre enseignant : « Pourquoi, si la Russie est aussi riche qu’on nous l’explique, des villes russes manquent de gaz et de charbon ? » Elle est harcelée par ses condisciples. Sa mère est condamnée à une faible amende. Elle redoute d’être séparée de sa fille, voire que celle-ci soit adoptée par une famille russe sans espoir de retour, comme 310 prétendus orphelins de la « République populaire de Louhansk » proposés à l’adoption. Alors, la mère et la fille fuient jusqu’à Kiev [6].

Brigades éditoriales de solidarité

Le numéro 41 de Soutien à l’Ukraine résistante du 11 août 2025 est entièrement consacré aux « Journées de juillet » au cours desquelles les manifestations, dans plusieurs villes ukrainiennes, pour réclamer l’abrogation de la loi qui supprimait les organismes publics de lutte contre la corruption ont obtenu satisfaction contre le président Zelesnsky et la Douma.

Mikhaïl Afanassiev

Mikhaïl Afanassiev a adressé une lettre à Novaya Gazeta de la colonie khakassienne IK-35. Le journaliste a été condamné à cinq ans et demi de prison pour une note du 4 avril 2022, expliquant comment et pourquoi onze combattants khakassiens des forces spéciales de l’Intérieur ont refusé de participer à l’opération militaire spéciale. Le tribunal a reconnu qu’il s’agissait d’une diffusion de « faux » sur l’armée.

En détention, il cultive notamment une fleur bleue qu’il a baptisée Svobodich et qui a l’étonnante propriété de ne fleurir que la nuit.

Anna Arkhipova

Dans sa cellule, « épuisée moralement et physiquement », Anna Arkhipova continue « de rêver d’une autre Russie ». Avec le mouvement Vesna (Printemps en russe), elle défendait « la construction d’une nouvelle Russie fondée sur la liberté et les droits humains ». Paradoxalement les jeunes gens de Vesna sont poursuivis pour « appel à la réhabilitation du nazisme ». Après une année de pressions judiciaires et de perquisitions policières, elle fait partie de six militants arrêtés au printemps 2023. Vesna est classé « agent de l’étranger » et « organisation extrémiste ». D’autres activistes poursuivis ont pu fuir la Russie. Anna Arkhipova, dans une lettre au Monde, estime qu’il « vaut mieux être en prison que de contribuer à la machine répressive au prix de la liberté d’autrui ». Sa santé se détériore en prison, comme celle des 1 500 détenus politiques. Elle demande en vain des rendez-vous médicaux. « La douleur ne s’arrête plus », se plaint-elle.

L’épouse d’un de ses co-accusés demande : « Il faut que la presse et les chancelleries occidentales, mais aussi les opposants partis en exil, parlent de ce procès pour montrer à nos gars que l’on s’inquiète de leur sort. » Elena Krut, l’amie d’Anna Arkhipova, s’active pour faire venir des diplomates européens au tribunal de Saint-Pétersbourg pour que ces jeunes Russes qui défendent des valeurs humanistes soient soutenus et ne soient pas oubliés [7].

Un défecteur russe

Un défecteur russe témoigne dans Le Nouvel Obs [8] :

Arrêté pour fraude fiscale et emprisonné. On a proposé ce marché aux prisonniers : empocher une prime d’engagement militaire de 11 000 euros et une solde mensuelle de 2 200 euros ou rempiler pour huit ans de prison. La prison a été vidée.

L’entraînement a été de quelques jours et tellement dur que certains en sont morts. Il y avait des vieux des éclopés et même des amputés. Dans le « hachoir à viande », le taux de survie est très faible. Il a découvert des monceaux de cadavres que personne n’allait ramasser pour éviter de dédommager les familles. Le conflit est le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale sur le sol européen. Blessé, il est un des deux survivants de son unité. Il se rend à l’armée ukrainienne. Il est bien traité, contrairement à la propagande russe qui menace les prisonniers d’être torturés par les Ukrainiens, au point que des vidéos de drones ukrainiens montrent des Russes qui préfèrent se suicider. Au contraire, il montre une vidéo de militaires russes qui brutalisent des leurs. Il évoque des humiliations, des tortures et de la sous-alimentation.

Il faut distinguer les disparus au combat et les absents considérés déserteurs.

Il décide de combattre du côté ukrainien avec des Russes, des Tatars, des Tchétchènes et des Yakoutes. À nouveau blessé, il rencontre à l’hôpital une femme ukrainienne qu’il souhaite épouser. Il rêve de faire venir sa mère et son frère en Ukraine. « Je ne veux plus rien avoir à faire avec la Russie. », conclut-il.

Hackers

La compagnie aérienne russe Aeroflot a annulé une cinquantaine de vols en raison d’une « défaillance des systèmes d’information ». Silent Crow, un groupe de hackeurs pro-ukrainiens, et un autre groupe biélorusse, Cyber Partisans BY, ont revendiqué la cyberattaque. « Gloire à l’Ukraine », conclut le communiqué [9].

Tatiana Lazareva

En février 2022, la Russe Tatiana Lazareva enregistrait à Kiev une émission humoristique. Le lendemain, la guerre avait éclaté. Elle ne rentrera jamais en Russie où elle est considérée « agent de l’étranger ». Depuis, elle parcourt l’Europe en camping-car pour enregistrer les témoignages d’adolescents exilés, russes et ukrainiens. Libération a assisté au tournage parisien. Nastya a incité sa mère à quitter l’Ukraine après des bombardements proche de chez elles. « J’aime grandir dans une grande ville. Je me sens chez moi », confie-t-elle. Ses amis sont russophones, Russes et Ukrainiens. « Parmi nous, le pays d’origine n’a absolument aucune importance. » La guerre n’est pas un sujet de discorde, voire « pas un sujet du tout ».

Macha a quitté Moscou avec sa famille pour éviter la mobilisation de son père et de son frère et la propagande scolaire. Anya a quitté Kiev sous les bombes. Son père est resté au pays. Il est mort trois jours avant le tournage. « Son cœur a lâché. »

La réalisatrice explique : « Au début, nous pensions que le sujet de l’exil allait être central, mais vite, nous avons compris que la guerre et le mal du pays ne sont que des préoccupations parmi d’autres et souvent secondaires par rapport à la difficulté de grandir, la solitude, la rébellion contre la réalité. »

Arina souffre davantage du divorce de ses parents au lendemain de la guerre. Son père lui manque.

Le lendemain, place de la République, les jeunes gens doivent brandir un panneau pour défendre une cause qu’ils ont à cœur. Macha écrit « Je suis russe, mais la guerre c’est pas ma faute. » Elle précise : « C’est important que les gens sachent que ce n’est pas la même chose d’être russe et d’être pro-guerre. » Natsya réclame la libération des femmes afghanes, une cause moins désespérée que celle d’arrêter la guerre en Ukraine. Comme Macha, elle n’a jamais manifesté contre la guerre mais elle a fait du bénévolat en faveur des civils ukrainiens déplacés de l’intérieur.

Kirill, originaire d’Oulan-Bator et dont la mère est Mongole, est le seul à avoir manifesté. « Dès les premiers jours de l’invasion russe, nous avons protesté contre la guerre, mais la Mongolie est sous influence de la Russie et de la Chine, et la police a téléphoné chez nous pour nous demander de ne plus descendre dans la rue. » Ce qui lui plaît en France, c’est que « tu peux t’exprimer en toute liberté et sécurité sans craindre les forces de l’ordre ». Il revendique la préservation de la langue mongole, condition à la survie de son peuple [10].

La loi de lutte anticorruption rétablie en Ukraine

Pendant une dernière manifestation, essentiellement de jeunes gens, la Rada ukrainienne a rétabli la loi de lutte anti-corruption, alors qu’une trentaine de parlementaires font l’objet d’enquêtes pour corruption ou trahison [11]. Un rétropédalage de compétition, selon Le Soir [12]. Un système de « corruption à grande échelle impliquant un membre du Parlement », des responsables politiques locaux et des membres de la Garde nationale a ensuite été découvert [13]. Une crise de confiance est apparue entre les députés de la Douma, qui ont dû voter la loi dans la précipitation, et le Président Zelensky, accusé de n’accorder sa confiance qu’à ses conseillers non-élus [14].

Elena Yun

Samedi 2 août 2025, à Novossibirsk, plusieurs personnes se sont à nouveau rendues sur la place Lénine avec des affiches en mémoire ou en soutien aux prisonniers politiques russes.

Vasily Semenyuk tenait une affiche avec des mots de soutien à la journaliste de RusNews Maria Ponomarenko, dont les conditions de détention dans la colonie pénitentiaire ont été une fois de plus durcies. Elle a été envoyée dans une cellule disciplinaire pendant 15 jours pour avoir refusé de mettre ses mains derrière le dos et Elena Yun a évoqué la mémoire du musicien Pavel Kushnir, décédé en détention provisoire après une grève de la faim.

Mouvement russe des objecteurs de conscience

Le « Mouvement des objecteurs de conscience » a été créé en 2013. Il apportait une assistance juridique et psychologique aux personnes refusant le service militaire. Après le début des opérations militaires en Ukraine, les militants du mouvement ont notamment aidé les personnes à défendre leurs droits au front.

Le 2 juillet 2025, Elena Popova, militante des Mères de Soldats de Saint-Pétersbourg et cofondatrice du Mouvement des Objecteurs de Conscience (MOOC), défend les droits des conscrits et promeut le refus individuel de servir depuis plus de 15 ans. Elle est considérée comme agent de l’étranger.

Le matin du 5 août des agents du FSB ont fait irruption dans son appartement.

« Ils ont commencé à défoncer la porte à coups de hache. Elle s’est coincée et ils allaient la découper au chalumeau oxyacétylénique. » Elena a appelé la police et les secours sont arrivés. « Elle n’a pas encore donné de nouvelles », a déclaré le collègue de Popova, le journaliste Anton Starikov, sur les réseaux sociaux.

Dans une récente publication sur Facebook, elle a déclaré qu’elle en avait assez de défendre les droits humains et qu’elle prévoyait de partir pour se consacrer à elle-même et à ses proches.

Photo Facebook

« Mais soudain, je me suis rendu compte que mes ressources internes étaient épuisées (pas de force pour répondre aux changements de législation avec de nouvelles recommandations méthodologiques de résistance, pas de force pour générer et diffuser l’énergie de résistance qui aiderait les gens...).
Je veux m’éloigner complètement de cette activité. »
« J’ai pensé : "Quand la guerre sera finie, je partirai."
Mais soudain, j’ai senti que cela ne finirait jamais, que de nouvelles choses désagréables apparaissaient sans cesse. Et la seule chose qui pouvait prendre fin, au contraire, était ma vie, celle de mes parents… Et j’ai décidé, d’une manière ou d’une autre, de partir à temps, a écrit la militante. »

Le militant des droits de l’Homme Artem Klyga a qualifié le départ d’Elena de perte pour la communauté :

« Elena et toutes celles qui ont été à l’origine du mouvement des mères de soldats russes auront certainement besoin d’un monument à leur mémoire. Mais pour l’instant, je tiens simplement à les remercier, tant pour leur travail que pour leur engagement dans ce domaine », écrit Klyga sur sa chaîne [15].

Autoritarisme en Ukraine

Plus de 50 ONG ont écrit à Volodymyr Zelensky, lui demandant de « ne pas utiliser la justice pour lyncher politiquement et poursuivre ceux qui critiquent le pouvoir ».

« Tout cela est très inquiétant », a réagi Oleksandra Matviichuk, directrice du Centre pour les libertés civiles et prix Nobel 2022. L’ex-ambassadeur d’Ukraine aux États-Unis, Valeriy Chaly s’est alarmé sur Facebook d’une manifestation d’« autoritarisme » : « Nous ne pouvons pas proclamer "l’unité" et prendre en réalité des mesures pour diviser la société, la nation tout entière. » De nombreux Ukrainiens ont rappelé sur les réseaux qu’il y a encore quelques jours le vice-ministre Oleskii Tchernychov, proche de Zelensky et soupçonné de prise illégale d’intérêts était resté au gouvernement malgré l’enquête ouverte contre lui. Il a été discrètement exfiltré lors du récent remaniement ministériel. Des enquêtes étaient en cours contre Olga Stefanishyna, nouvelle ambassadrice d’Ukraine à Washington.

Ukrainska Pravda, le site d’information en ligne le plus lu du pays, parle de « persécution politique » et accuse « Zelensky marche vers un autoritarisme corrompu [16] ».

Vitaly Shabunin, directeur du Centre anti-corruption Antac, a comparu le 15 juillet 2025 devant un tribunal. Il s’est engagé à l’armée en 2022. On lui reproche des délits de fuite et de fraude, « des charges très fragiles », estime le quotidien belge Le Soir, précisant que « la société civile est révulsée par cette opération qui semble montée de toutes pièces ». La directrice du Centre pour les libertés civiles s’en est aussi inquiétée. La juge a contraint Shabunin à rester sur son lieu d’affectation militaire, restreignant sa capacité à s’exprimer et à critiquer le pouvoir. Tous les appareils électroniques de l’accusé et de ses enfants ont été confisqués. Il a été interrogé pendant dix heures.

En juin 2025, 123 députés du parti de Zelensky ont déposé un projet d’amnistie totale pour les délits liés aux contrats de défense. C’est après une critique de cette loi que Shabunin a été renvoyé de Kiev au front. Les autorités bloquent la nomination désignée par une commission indépendante du responsable de la lutte contre la criminalité économique. Shabunin avertit : « Profitant de la guerre, Zelensky a mis en place un régime hybride avec des éléments d’autoritarisme et de kleptocratie [17]. »

Le 21 juillet 2025, les enquêteurs ukrainiens ont mené des perquisitions chez les employés du Bureau national de lutte contre la corruption (NABU) que le pouvoir veut priver de son autonomie. Les forces de sécurité n’avaient pas d’ordre judiciaire pour procéder à ces perquisitions. Les médias ukrainiens ont rapporté que le Service de sécurité de l’Ukraine et le Bureau du procureur général menaient une opération spéciale pour « neutraliser l’influence russe sur le NABU ».

Pourtant, tout démantèlement de la lutte anti-corruption pourrait bloquer l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne qui, comme les pays du G7, s’en inquiète. Guillaume Mercier, porte-parole de la Commission européenne, a déclaré que ces organismes « sont essentiels au programme de réformes de l’Ukraine et doivent agir de manière indépendante pour lutter contre la corruption et préserver la confiance du public ». Il a souligné que l’UE accorde à l’Ukraine une aide financière importante « sous réserve de progrès en matière de transparence, de réforme judiciaire et de gouvernance démocratique ».

« L’infrastructure anticorruption fonctionnera, mais sans l’influence russe ; tout doit être purifié. Et il faut plus de justice », a déclaré Zelensky dans un discours. Il a signé la loi et n’a pas commenté les manifestations de milliers de personnes contre la loi qui ont eu lieu à Kiev, avec le maire et des combattants en short laissant voir leurs prothèses, et des centaines d’autres dans plusieurs villes [18]. Malgré la loi martiale, ces manifestations renouvelées avec une participation de 10 à 15 mille personnes à Kiev le lendemain étaient les premières de cette ampleur depuis l’invasion par la Russie. « Vova (l’ancien humoriste Zelensky), t’es même plus drôle », scandait la foule.

Un avocat et député de Kharkiv a écrit : « L’Ukraine n’est pas la Russie […] Nous sommes des rebelles, pas des esclaves. » Dmytro Kuleba, ancien ministre des affaires étrangères estime que « Désormais le président a le choix : être ou nom du côté du peuple [19]. »

Une politiste franco-ukrainienne commente : « Cette décision politique envoie un message dangereux : le pouvoir préfère se protéger que de se réformer. »

Le ministre français des affaires étrangères a mis en garde son homologue ukrainien [20].

Cette affaire a amené en arrière-plan la négociation d’Istanbul sur l’échange de prisonniers et de dépouilles de combattants. Finalement, un nouveau projet de loi proposé par Volodymyr Zelensky pour garantir l’indépendance des organismes de lutte contre la corruption sera examiné le 31 juillet 2025 au Parlement, annonce son président, Ruslan Stefanchuk. « Lors de l’examen de ce projet de loi, je proposerai de l’adopter immédiatement dans son ensemble et de soutenir sa promulgation urgente », a-t-il déclaré [21].

L’Ukraine, banc d’essai des fabricants d’armes

Dans le cadre du programme « Test in Ukraine », l’Ukraine offre aux fabricants d’armes étrangers la possibilité de tester leurs produits en conditions de combat. En échange, ils recevront des rapports sur les tests de leurs produits sur le front [22].

Henri Proglio

Henri Proglio, haut dirigeant de l’entreprise française Dassault Aviation, qui produit des avions de combat pour les forces armées ukrainiennes, siège également au conseil d’administration de la société russe ABR Management, qui gère les fonds des proches du président russe Vladimir Poutine. L’information est rapportée par The Insider.

Comme le souligne la publication, les travaux de Proglio ont attiré l’attention de la presse au début des années 2010 en raison de « relations commerciales controversées » avec des structures russes. En 2015, il a dû quitter son poste de président du conseil d’administration du groupe Thales, le plus grand fabricant d’armes français, détenu en partie par l’État, le président français Emmanuel Macron exigeant qu’il rompe ses liens avec Moscou. Proglio, écrit The Insider, « a fait un choix en faveur de la Russie ».

Actuellement en France, Proglio occupe le poste d’administrateur indépendant et de président du comité d’audit de Dassault Aviation, qui produit entre autres les avions de combat Mirage 2000, que la France fournit à l’Ukraine.

Parallèlement, Proglio est membre du conseil d’administration de JSC ABR Management depuis 2013. Cette société, écrit The Insider, a été créée avec la participation d’hommes d’affaires proches de Poutine, Youri Kovalchuk et Nikolaï Chamalov, « pour gérer le fonds commun du Kremlin, c’est-à-dire leurs actifs enregistrés auprès de Bank Rossiya, de la compagnie d’assurance SOGAZ et du groupe national des médias ». Outre Proglio, le conseil d’administration de la société comprend le président du conseil d’administration de Bank Rossiya, Mikhaïl Klichine [23].

Cimetières militaires

L’Ukraine manque d’espaces pour les cimetières militaires. Malgré les protestations contre la déforestation, un cimetière militaire national est en préparation pour 10 000 sépultures et, à terme, 130 000 à 160 000 défunts. Un abri pour 300 personnes y est prévu en cas de bombardement [24].

Oligarques en goguette

Le 21 août 2025, le paquebot nantais de croisière de grand luxe (60 000 euros pour la cabine la plus modeste) et brise-glace Commandant Charcot aurait dû emmener des oligarques russes et la rock star Sergueï Shurnov, glorificateur de la milice Wagner et du complexe militaro-industriel et d’autres influenceurs. C’était sans compter sur les habitants de l’archipel norvégien de Svalbard qui se sont opposés avec succès à l’hébergement dans leurs hôtels des oligarques pro-guerre. La croisière a été annulée.

En juin 2025, l’évêque orthodoxe du grand Nord s’était rendu dans l’archipel alors que le roi de Norvège y était en visite et avait déclaré que la présence de l’Église orthodoxe est extrêmement importante « parce que l’Arctique fait partie intégrante de notre Sainte Russie [25]. »

Semyon Subbotin

La police arménienne n’a pas extradé vers la Russie l’ancien militaire Semyon Subbotin, qui a refusé de participer à la guerre russo-ukrainienne, a rapporté le 20 juillet 2025 Novaya Gazeta Europa, citant des militants des droits de l’Homme [26].

Enfants et complexe militaro-industriel

Vlad, 16 ans, crée des drones que l’armée russe utilise pour tester des systèmes de guerre électronique. Sasha, 13 ans, enseigne aux soldats le pilotage de drones tout en créant du matériel pour le front. Maxim, 17 ans, reçoit une offre d’emploi d’un laboratoire. Il s’agit de la Russie moderne, où des centaines de milliers d’écoliers russes participent à des programmes liés au ministère de la Défense, déguisés en clubs éducatifs. Ils transforment les enfants en ingénieurs militaires qui créent des machines pour tuer des Ukrainiens. Leur participation leur permet d’obtenir des points supplémentaires à l’examen d’État unifié et de se voir promettre une carrière dans des entreprises publiques.

En Russie, avec le soutien de l’État, un système a été créé pour impliquer les écoliers dans les activités du complexe militaro-industriel, notamment dans la production, l’amélioration et la gestion des drones. Ce projet est décrit dans une publication de The Insider [27].

Des jeux en ligne sont proposés et permettent de développer les compétences nécessaires au pilotage de drones. Les meilleurs sont invités à participer au Mouvement du Cercle [28], un projet du ministère de l’Éducation et des Sciences réunissant passionnés de technologie, grandes entreprises, sociétés d’État et projets à l’intersection de l’éducation, de la science et des technologies. Les élèves talentueux se voient proposer des groupes d’intérêt où ils se préparent aux Olympiades et découvrent des développements techniques originaux. Ces développements concernent principalement les drones : navigation, suivi et reconnaissance d’objets, livraison de marchandises, ainsi que la protection anti-drone et la résistance des drones à la guerre électronique.

Les clubs participent régulièrement à des concours de développement, et des missions leur sont confiées par les sociétés d’État Rosatom, Rostec et Roscosmos, ainsi que par des entreprises de l’industrie de défense russe : les constructeurs d’avions militaires Yakovlev et Sukhoi, le fabricant de drones Geoscan, le fabricant de systèmes de défense aérienne Almaz-Antey, entre autres. Leurs représentants siègent au jury des concours.

Comme le souligne The Insider, citant des avocats et des défenseurs des droits humains, impliquer des mineurs dans le développement d’équipements destinés aux opérations de combat constitue une violation des normes internationales, notamment de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et des Conventions de Genève. De plus, les écoliers apprennent non seulement les principes généraux de la « science des drones », mais sont directement intégrés au cycle technologique : ils reçoivent des ordres, exécutent des missions techniques et participent à des démonstrations devant l’armée. Il s’agit en réalité d’une forme de travail des enfants à des fins de guerre.

L’ensemble de ce système a été mis en place par l’Agence pour les initiatives stratégiques (ASI), une organisation à but non lucratif dont le conseil d’administration est présidé par le président russe Vladimir Poutine. Chacun de ses éléments, jeux en ligne, clubs et compétitions, bénéficie d’un financement public, notamment par le ministère de l’Éducation et des Sciences. Au total, il s’agit de plusieurs dizaines de milliards de roubles [29].

Documents extrémistes

Le 22 juillet, la Douma d’État a adopté une loi sur les amendes pour la recherche sur Internet de « documents extrémistes ». 306 députés ont voté pour, 67 contre et 22 se sont abstenus. Il est rare qu’un vote aussi massif contre des projets de loi ait lieu au Parlement russe. Parmi les exemples récents, on peut citer un projet de loi interdisant l’élection à la Douma d’État aux personnes liées à des organisations « extrémistes » et « terroristes » qui a été adopté presque exclusivement par le parti poutinien Russie Unie. En 2018, 83 députés avaient voté contre le relèvement de l’âge de la retraite.

Le matin du 22 juillet, l’homme politique Boris Nadejdine et ses proches ont manifesté devant la Douma d’État pour protester contre l’adoption des amendements. Plusieurs personnes, dont des journalistes, ont été arrêtées. Ekaterina Mizulina a déclaré : « Il s’agit de facto de la première tentative, au niveau de l’État, de suivre l’"empreinte numérique" des Russes. […] La formulation vague du texte permettra de classer des millions de Russes comme contrevenants simplement parce qu’ils recherchent et consultent des informations indésirables. […] La loi va littéralement donner lieu à une vague de fraudes, de doxxing, de chantage et d’extorsion en quelques jours. Après tout, piéger quelqu’un sera un jeu d’enfant [30]. »

Déprogrammation

Grâce à la vice-présidente du Parlement européen, l’Italienne Pina Picierno, à des opposants russes et à des associations ukrainiennes, un concert de Valery Gergiev a été annulé dans un festival près de Naples. Le musicien, « chef d’orchestre de la guerre de Poutine » est un vecteur de la propagande culturelle du Kremlin [31].

En Crimée

Depuis l’annexion russe de la Crimée, 150 000 à 200 000 Russes, attirés par des incitations fiscales, s’y sont installés. Moscou débaptise des rues et plus de 200 bâtiments publics pour les russifier. Des écoles glorifient les soldats russes impliqués dans le conflit. Des plaques commémoratives sont inaugurées, des expositions et des clubs patriotiques sont créés dans le but de militariser la jeunesse et de glorifier la guerre d’agression [32].

Soldats recrutés en prison

Comme l’a fait la milice Wagner en Russie, l’Ukraine recrute des prisonniers pour les envoyer au front mais elle le fait avec des règles beaucoup moins laxistes. Les anciens prisonniers ne seront amnistiés qu’une fois la paix revenue. Un commandant analyse « La grande différence ente les prisonniers et les mobilisés ? Les premiers sont venus ici pour tuer, et les mobilisés sont venus avec l’idée "Je vais me faire tuer" [33]. »

Alexandre Gabouev

Spécialiste de la politique étrangère russe et sinologue réputé, Alexandre Gabouev, est directeur du Centre Carnegie Russie Eurasie, think tank établi à Berlin. En 2023, l’État russe l’a désigné « agent de l’étranger », un statut attribué arbitrairement et destiné à marginaliser la personne ou l’organisation visée.

Courrier international publie une de ses analyses parue dans Foreign Affairs :

La guerre a fait de la Russie de Poutine une société beaucoup plus répressive et elle a permis à la haine de l’Occident de gagner du terrain dans l’ensemble de la société russe. Il faut savoir que le Kremlin mène depuis 2022 une vaste campagne visant à réprimer la dissension politique, à diffuser à l’échelle du pays la propagande proguerre et anti-Occident et à créer de vastes classes de Russes qui tirent un bénéfice matériel du conflit. Des dizaines de millions de Russes, parmi lesquels des hauts responsables et nombre des plus fortunés du pays, considèrent désormais l’Occident comme un ennemi mortel. […]
En 2024, par exemple, Kaja Kallas, alors Première ministre de l’Estonie et qui aujourd’hui, en tant que vice-présidente de la Commission européenne et haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, est la plus haute diplomate de l’Union européenne, a déclaré que les leaders occidentaux ne devraient pas s’inquiéter que l’engagement de l’Otan en faveur d’une victoire de l’Ukraine puisse entraîner l’effondrement de la Russie. La machine de propagande du Kremlin s’est empressée de faire circuler cette déclaration pour prouver que l’ambition ultime de l’Occident est en réalité de démanteler la Russie. […]

Les dirigeants européens doivent définir les modalités d’une coexistence pacifique, comme des stratégies de maîtrise des armements et des formes d’interdépendance économique propres à empêcher la militarisation des deux camps [et] commencer à défendre cette vision en dissipant toute ambiguïté dans les communications qui concernent la Russie, y compris, par exemple, les déclarations sur l’accroissement des budgets militaires nationaux. […]

Tout le monde au Kremlin ne partage pas l’obsession anti-Occident de Poutine. En privé, de nombreux membres de l’élite russe admettent que la guerre en Ukraine est non seulement un crime moral mais aussi une erreur stratégique. Or plus il sera facile pour ces pragmatiques d’imaginer une meilleure relation avec les pays occidentaux, plus ils seront susceptibles de triompher lors des inévitables conflits internes qui suivront la fin de l’ère Poutine. Changer le message que l’Occident adresse à la Russie n’est pas seulement une bonne façon de se préparer à l’avenir, c’est aussi une bonne stratégie pour le présent. […]

Ces dernières années, toutefois, le Kremlin a mis en œuvre un vaste projet d’ingénierie sociale visant à ancrer dans la psyché russe un sentiment de méfiance envers l’Occident. En septembre 2022, Moscou a obligé tous les établissements scolaires à organiser des séances hebdomadaires dans lesquelles on relaie la propagande proguerre sous le couvert de leçons de patriotisme.

L’État est devenu plus interventionniste dans les domaines du divertissement et de la culture : il a ainsi contraint à l’exil des musiciens, des artistes et des écrivains à l’esprit indépendant, qualifié des écrivains dissidents d’« extrémistes » et organisé des simulacres de procès d’intellectuels progressistes opposés à la guerre. […]

Si le Kremlin a réussi à tenir pendant trois ans, c’est grâce à l’afflux de composants d’armes critiques en provenance de la Chine. Et si l’économie russe a réussi à se maintenir à flot, c’est parce que la Chine achète désormais 30 % des exportations de la Russie, contre 14 % en 2021, et que les produits chinois représentent 40 % de ses importations, alors que ce chiffre était de 24 % avant la guerre. Pékin offre également à Moscou la possibilité de réaliser des échanges commerciaux en yuans. […]

L’Europe et les États-Unis doivent aussi s’opposer à la « guerre de l’ombre » que mène la Russie. Moscou a développé toutes sortes de moyens pour saper la sécurité et les institutions politiques des démocraties, y compris des actes de sabotage, des assassinats ciblés, la désinformation en ligne et l’ingérence électorale. […]

On peut supposer que le pays dont hériteront les successeurs de Poutine sera profondément déséquilibré en raison des investissements disproportionnés réalisés dans le secteur militaire ces dernières années, du déclin de l’accès aux technologies de pointe, de la dépendance excessive du pays envers la Chine et de l’exacerbation de tendances démographiques déjà défavorables liée à la guerre en Ukraine. […]

Au rythme où vont les choses, l’Otan et la Russie disposeront bientôt de tout un arsenal d’armes conventionnelles, y compris des chars et des drones, et d’armes stratégiques, comme les missiles nucléaires supersoniques. Il y a évidemment des parallèles à faire avec la guerre froide : les risques encourus sont semblables et les solutions pour y faire face sont les mêmes, à savoir l’adoption de mesures de contrôle des armements assorties de solides mécanismes de vérification et la mise en place de canaux de communication permettant de gérer les problèmes. […]

Edouard Charov

Edouard Charov, prédicateur de 53 ans originaire de la région de Sverdlovsk, a dirigé un refuge pour sans-abri pendant plus de dix ans. Il s’est ouvertement élevé contre la guerre et, après le début de la mobilisation, a hébergé des personnes qui voulaient se soustraire à une convocation. Elles ont toutes séjourné chez lui pendant une courte période avant de partir pour d’autres villes, où on les a aidées à trouver du travail hors de leur lieu d’enregistrement. Charov est aujourd’hui jugé pour apologie du terrorisme et « discrédit » répété de l’armée. Il a été accusé d’avoir publié un commentaire sarcastique sur VKontakte à la suite d’une publication concernant l’incendie criminel d’un bureau d’enregistrement et d’enrôlement militaire, ainsi que d’avoir partagé une vidéo d’Evgueni Prigojine. « J’étais moi-même membre de l’opération militaire spéciale, j’y ai enterré de nombreux amis. », a-t-il confié [34].

Échange de prisonniers

Les défenseurs des droits de l’Homme soulignent que malgré l’article 117 de la Convention de Genève interdisant explicitement le retour des anciens prisonniers de guerre au service militaire, ni la Russie ni l’Ukraine ne respectent cette règle.

En mai 2025, la Russie et l’Ukraine ont procédé au plus important échange de prisonniers depuis le début de la guerre, chaque camp libérant 1 000 soldats. Mais les familles de nombreux soldats russes de retour au pays affirment que leurs maris, frères et fils n’ont pas été autorisés à rentrer chez eux un seul jour, même ceux qui étaient grièvement blessés. Au lieu de cela, ils ont été ramenés directement au front. Aujourd’hui, certaines familles implorent les autorités de laisser les hommes rentrer chez eux après leur libération, et certaines espèrent même que leurs proches restent en captivité pour éviter d’être renvoyés au combat.

« Je me fiche que quelqu’un [me dénonce] », dit Yana. « Je dirai la vérité. Mon frère a six blessures par éclats d’obus dans le dos. Ses doigts ont été amputés. Et maintenant, ils le renvoient au front ! Nous nous sommes battus pendant 11 mois pour le sortir de captivité, pas pour le renvoyer mourir à nouveau. Il a dit lors d’une interview qu’il s’était engagé uniquement pour l’argent, et il l’a immédiatement regretté. Il ne se passe pas un jour sans qu’il regrette d’avoir rejoint cette foutue guerre. »

Peu après, Kirill a fait une dépression nerveuse. « Il a été interné dans un hôpital psychiatrique à Donetsk pendant un certain temps. Il tremble tout le temps ; je le reconnais à peine. Il est terrifié à l’idée d’être renvoyé au combat. Quand j’appelle […], il ne sait plus où il est. Il ne me reconnaît même pas ! Comment peuvent-ils envoyer quelqu’un comme ça au combat ? Mais ils le feront. »

Les camarades soldats de Kirill ont dit qu’il n’avait été admis à l’hôpital qu’après avoir tenté de se suicider, une démarche que beaucoup ont déjà entreprise, ont-ils dit.

Tatyana, mère de Daniil, 20 ans, également en attente d’un échange, a confié qu’elle préférait voir son fils emprisonné pour avoir refusé de retourner à la guerre plutôt que d’être renvoyé au front. « Ils m’ont laissée lui parler une fois. Il est en captivité depuis avril 2025 », a-t-elle raconté. « Il m’a dit : "S’ils me condamnent, je préférerais purger une peine de trois à sept ans, mais je ne retournerai pas." Je lui ai répondu : "D’accord, fiston [35]. »

Mercenaires en Russie

L’organisme ukrainien Je veux vivre, qui aide les soldats russes candidats à la désertion, aurait identifié plus de 3 000 mercenaires originaires du Kazakhstan, du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan et du Turkménistan enrôlés avant janvier 2025 bien qu’ils soient passibles de prison dans leurs pays d’origine. Ils espèrent souvent sortir ainsi de la précarité. Jusqu’en mars 2023, ils étaient enrôlés de force. En Ouzbékistan, le clergé musulman a lancé une fatwa contre la participation à la guerre en Ukraine. Un ouzbek a été condamné à quatre ans de prison. Parti en Russie pour participer à un combat de MMA qui n’a jamais eu lieu, les organisateurs lui ont confisqué son passeport et ont exigé qu’il rembourse son avance. Il s’est engagé pour payer sa dette. Il a perdu un œil sur le front. Soigné en Russie, il a profité d’une permission pour rentrer dans son pays où il a été arrêté [36].

Anna Colin-Lebedev

Dans une interview vidéo de Mediapart, Edwy Plenel interroge Anna Colin-Lebedev sur son récent ouvrage Ukraine : La force des faibles (Seuil, Libelle) [37]. La sociologue et politiste est née en Russie soviétique où certains de ses ancêtres ont été victimes des purges staliniennes. Sa thèse a porté sur l’Union des comités de mères de soldats de Russie, ainsi que son livre Le cœur politique des mères. Avec le recul, elle regrette de n’avoir considéré les soldats que comme victimes et non comme bourreaux aussi en Afghanistan et en Tchétchénie.

Pour enquêter en Ukraine, elle en a appris la langue, ce qui lui permet d’avoir une vision non binaire. Elle s’interroge sur la société russe dont l’économie est entièrement tournée vers la guerre. Cette dernière est un facteur de stabilité. La paix aurait un coût pour le poutinisme et le régime. L’armée est maltraitante. Rien n’est prévu pour accueillir les combattants ni pour intégrer sereinement les territoires occupés.

Polémique à propos de l’Initiative Olga Taratuta

Les Brigades éditoriales de solidarité publient dans le n° 39-40 du 1er juillet 2025 de Soutien à l’Ukraine résistante un texte polémique à propos de l’Initiative Olga Taratuta que nous publions intégralement [38].

Sur le plan international, Les Peuples veulent réunit des collectifs, des organisations, des lieux et des personnes qui se sont retrouvées pour construire une pratique internationaliste qu’ils et elles veulent « adaptée à notre temps : un internationalisme par le bas, fondé sur l’entraide, le partage d’expériences, d’analyses et de moyens entre les différentes formes de pouvoirs populaires nées de la vague de soulèvements commencée en 2011 ». Celles et ceux de la branche française qui sont investies dans le groupe de travail « Ukraine » ont publié la lettre ouverte que nous reproduisons ci-après. Elle concerne une soirée organisée par Initiative Olga Taratuta, le 3 mai 2025, à Montreuil, sous l’intitulé « Déserter en Ukraine et en Russie ». Il ne s’agit pas ici de polariser la discussion sur cette initiative, mais de faire connaître l’argumentation des camarades de Les Peuples veulent, car elle est utile, bien au-delà de cet exemple, bien au-delà aussi des courants libertaires. Pour la même raison, nous reproduisons aussi la présentation de la soirée par ses organisateurs et organisatrices. On retrouve ce genre de propos au-delà de cette rencontre, au-delà des cercles ici concernés.
Christian Mahieux

Présentation de la soirée organisée par Initiative Olga Taratuta

Discussion avec cantine en soutien aux déserteurs ukrainiens et russes et plus précisément au collectif anarchiste Assembly, qui participe au conflit social à Kharkiv et lutte contre la conscription forcée et à qui bénéficiera la cagnotte de cette journée. La soirée débutera avec une discussion avec des membres de l’Initiative Olga Taratuta, bulletin antiguerre lancé aux premiers jours du conflit et initiative de solidarité avec les déserteurs. On tentera d’offrir une mise en contexte du déroulement du conflit et des positions qui ont pu y être tenues, en mettant en lumière le choix de la désertion et du refus de la guerre. La soirée se poursuivra ensuite avec une cantine à prix libre et un blind-test antimilitariste. Alors que de nombreuses guerres font rage dans le monde, celle qui oppose officiellement les États russe et ukrainien depuis trois ans (et au Donbass depuis 2014) sert aujourd’hui d’accélérateur à un réarmement européen. Depuis l’embrigadement général de 1914, l’union sacrée a toujours été l’arme du pouvoir et de la bourgeoisie pour étouffer les révoltes populaires et rallier les classes en lutte sous son drapeau contre une nation rivale. En tant qu’internationalistes, nous refusons de cautionner ce jeu de dupes macabre et voulons faire vivre une perspective révolutionnaire à travers le brouillard dans lequel nous plongent la guerre et ses apôtres.

Que ce soit en Russie tout comme en Ukraine, on peine à trouver de nouveaux volontaires au sacrifice, les campagnes de conscription s’enchaînent à coups de matraquage patriotique dans l’espace public. L’État russe est forcé de payer de plus en plus cher sa chair à canon (hausse drastique des soldes, utilisation de mercenaires), tandis que les rafles de conscrits se multiplient en Ukraine, souvent sous la pression de la torture. Confrontée à la boucherie qu’est la guerre, c’est une part de plus en plus grande de la population ukrainienne qui ne trouve plus de sens à défendre « son » État contre un autre, à taire les mesures de casse sociale et la corruption à l’arrière comme au front. La désertion est aujourd’hui devenue un véritable phénomène de masse dans les rangs ukrainiens (un soldat sur cinq déserte face au carnage de cette guerre) et il ne fait nul doute qu’elle n’est pas négligeable du côté russe. Attaques incendiaires et armées de centres de recrutements, sabotages de lignes ferroviaires de logistique, disparitions massives d’armes, refus d’obéir aux ordres et assassinats d’officiers : partout la révolte craquelle l’apparence d’ordre martial. Dans cette situation, refuser la guerre et sa logique de destruction c’est se placer en solidarité avec toutes celles et ceux qui cherchent à fuir ou à lutter contre l’effort de guerre en cours plutôt que d’aligner nos discours sur les intérêts de la bourgeoisie européenne. Plus que jamais, nous pensons que cela passe par la visibilisation des pratiques des Russes et des Ukrainien·nes qui luttent contre l’enrôlement de force et la propagande militaire et tentent de provoquer mutinerie et désaffection sur la ligne de combat comme au travail. Déjà difficilement tenable en début de conflit, le soutien inconditionnel à des brigades se disant anarchistes bien que subordonnées depuis longtemps à l’armée régulière ukrainienne, semble définitivement être une position totalement à rebours de la situation concrète. Contrairement aux positions qui semblent faire consensus chez une partie des révolutionnaires en Europe de l’Ouest, nous voulons également souligner que les anarchistes et plus globalement les révolutionnaires ukrainien·nes ne sont pas un groupe homogène. S’appuyant sur l’image de brigades antiautoritaires, Solidarity Collectives et leurs soutiens tendent à invisibiliser les initiatives antiguerre. En cela, ils ne font que jouer le jeu de l’État ukrainien et dépeignent de telles initiatives comme pro-russes, quand bien même elles soutiendraient les déserteurs des deux côtés du front. Tentant de tenir cette ligne, le collectif Assembly représente pour nous une source d’inspiration salutaire dans la perspective de l’entretien de la conflictualité sociale en temps de guerre. Transmettant des informations concernant les conflits tant sur le front que sur les lieux de travail ou encore concernant le désastre écologique en cours en Ukraine, le collectif est aujourd’hui un relais important des pratiques de désertion et de celles et ceux qui organisent au quotidien la solidarité contre la conscription forcée, et ce malgré son isolement politique à la fois au sein de son propre pays et à l’international. Outre le sujet du front en Ukraine et de notre soutien aux déserteurs, cette discussion sera ainsi l’occasion de nous pencher sur la réalité de la militarisation d’une Europe qui se lance dans un grand plan de réarmement à coups de milliards, mais aussi de la France où commence à se poser la question d’un retour du service militaire. Ici, la droite tout comme la gauche se rejoignent dans un grand consensus toujours plus militariste avec le vote de crédits de guerre au nom de la démocratie. Avec la montée du nationalisme – ou du « patriotisme » – on tente de nous préparer non seulement à de futures potentielles mobilisations générales, mais dès aujourd’hui à toujours plus de réformes au nom d’une « économie de guerre ». Derrière le soi-disant soutien au peuple ukrainien proclamé par la bourgeoisie européenne, c’est le complexe militaro-industriel occidental qu’il s’agit de nourrir dans une séquence de reconfiguration du cycle mondial de l’accumulation capitaliste. Dans un tel contexte, ni le soutien à l’Occident sous prétexte qu’il serait démocratique, ni le soutien aux régimes russes, iraniens ou chinois quand bien même il s’opposerait à l’impérialisme états-unien ne peuvent être une solution pour notre émancipation. Nous faisons le choix de rappeler des principes de solidarité entre les opprimés et les exploités du monde entier, de donner de la force à qui refuse de tuer et se sacrifier pour la patrie, accueille et aide les déserteurs, sabote et s’attaque aux donneurs d’ordre et autres profiteurs de cette industrie de la mort, à quiconque participe, en somme, au sursaut du camp de l’émancipation.

Liberté pour tous les déserteurs emprisonnés, pour les prisonniers et prisonnières politiques en Russie et en Ukraine !
Contre la déportation des déserteurs exilés en France et en Europe !
Mort à la guerre et à qui en vit !
Solidarité entre tous les exploités et les opprimés du monde !

Lettre concernant l’événement sur les déserteurs ukrainiens et russes à la Maison ouverte

Les membres du groupe de travail sur l’Ukraine au sein de LPV-France, 28 avril 2025.

Cher·es camarades, On vous écrit de la part d’un groupe de travail sur l’Ukraine, récemment créé au sein de la branche française des Peuples veulent. On souhaitait s’exprimer sur un événement […] auquel est invitée l’Initiative Olga Taratuta en lien avec le groupe anarchiste Assemblée pour parler du sujet de la désertion dans la guerre en Ukraine. Bien qu’on comprenne la nécessité de discuter et de s’organiser sur la question des déserteurs, le choix des interlocuteurs et le discours véhiculé sur l’invasion de l’Ukraine nous interrogent fortement. Ces deux groupes participent à normaliser au sein des milieux antiautoritaires occidentaux une vision selon laquelle on pourrait renvoyer dos à dos l’État russe, qui mène une guerre d’invasion coloniale, et l’État ukrainien, tout en délégitimant de façon virulente les anarchistes ukrainien·nes (mais aussi bélarusses, russes et bien d’autres) qui ont pris les armes pour y résister dès février 2022, ainsi que toutes celleux qui ont choisi de les soutenir dans ce combat. Plus de trois ans après le début de l’invasion totale de l’Ukraine par l’État russe, plus de dix ans après le début de la guerre déclenchée par l’annexion russe de la Crimée et l’envoi des militaires et des armes au Donbass, il est certain que la désertion est plus que jamais à l’ordre du jour des deux côtés du front. Il est évidemment important d’en parler et de soutenir des collectifs engagés sur cette question-là, mais il est plus que jamais nécessaire de resituer cette question dans un contexte d’invasion impérialiste et coloniale, accompagnée de discours et de pratiques génocidaires niant le droit des Ukrainien·nes à toute autodétermination (fosses communes et camps de filtration dans les zones occupées, camps de torture dans des anciennes prisons, enlèvement et assimilation d’enfants…). N’en déplaise aux défaitistes révolutionnaires recyclant la pensée stratégique de Lénine élaborée durant la Première Guerre mondiale, la désertion n’obéit pas aux mêmes logiques qu’elle ait lieu en Russie ou en Ukraine. Amalgamer ces processus sous une bannière de fraternisation des prolétaires, sans tenir compte de leurs situations matérielles et politiques respectives, serait une erreur majeure. Dans le premier cas, il s’agit de ceux qui refusent de servir de chair à canon pour une puissance impérialiste, d’autant plus que la Russie mobilise le plus fréquemment des ressortissants des communautés ayant elles-mêmes subi la colonisation de l’empire russe (les peuples autochtones de la Sibérie, de l’Asie centrale ou du Caucase). Dans le deuxième cas, on voit des Ukrainien·nes épuisé·es par l’enlisement de la guerre et, voyant l’armée russe avancer occupant de nouveaux territoires, fuir pour sauver leur vie : il faut noter qu’une partie de ces dernier·es ont volontairement rejoint la résistance en 2022, mais n’ont jamais été remplacé·es depuis. Bien que ces derniers soient souvent critiques de l’armée ukrainienne ou de la hiérarchie corrompue, aucune pirouette rhétorique n’enlèvera l’asymétrie profonde qui existe entre ces deux situations : d’un côté, fuir pour ne pas être embrigadé par une machine de guerre coloniale qui écrase d’autres gens ; de l’autre, fuir pour ne pas être écrasé·e par cette même machine qui détruit l’endroit où on habite. Toute solidarité internationaliste concrète doit se construire à partir de ce constat-là. Depuis le début de l’invasion, de nombreux collectifs opposés à la guerre s’activent pour faire sortir des milliers de personnes des territoires russes. On peut citer le groupe « Idite Lesom » basé en Géorgie ou encore le Mouvement des objecteurs de conscience. Il existe aussi tout un réseau de groupes et d’individus qui travaillent en secret depuis le territoire russe. Récemment, un texte d’appel à soutien pour ces groupes a circulé avec une adresse à contacter en cas de questions : desert@cronopios.org. On peut aussi citer l’initiative Farewell to Arms émanant des déserteurs eux-mêmes s’organisant contre l’invasion de l’Ukraine. Les activités de ces groupes-là sont particulièrement utiles, publiques et vérifiables. Alors il nous paraît hautement problématique d’accorder une plateforme publique uniquement à deux groupes douteux qui répandent des discours délégitimant l’ensemble de la résistance ukrainienne au moment même où cette résistance est mise en péril par un réalignement géostratégique des puissances impérialistes américaine et russe. Quelques mots à propos de l’Initiative Olga Taratuta et de l’Assemblée et de leurs positions : l’Initiative Olga Taratuta se présente elle-même comme « un tout petit groupe » qui apporte « de l’aide à un nombre restreint de déserteurs » (en réalité quelques personnes seulement). On ne trouve quasiment aucune information précise en ligne concernant leur activité concrète, mais les membres affirment que leur travail consiste principalement à créer un « espace psychologique sûr » où « les déserteurs seraient acceptés et accueillis » et « un réseau logistique pour les héberger, les nourrir, les aider pour les papiers administratifs, pour apprendre la langue, pour trouver un travail, etc. » (Entretien du 27 mars 2025). On ne doute pas que ce soutien puisse être salutaire pour certaines personnes exilées en France, on s’interroge cependant sur pourquoi ce « tout petit groupe » concentré sur des activités d’accompagnement des personnes exilées, un travail qui est aussi fait par d’autres collectifs ou associations en France, centralise autant l’attention de nos camarades antiautoritaires et devient à peu près leur seul interlocuteur sur la question des déserteurs de la guerre en Ukraine. En réalité, l’Initiative Olga Taratuta est surtout utile aux anarchistes ne souhaitant pas se positionner sur le conflit ukrainien (et on ne parle pas de choisir le camp de l’Otan plutôt que le camp russe, mais de se prononcer sur la nécessité de s’opposer à une invasion coloniale). Ce collectif garde des liens forts avec le collectif Assemblée, dont elle diffuse le discours ainsi que le groupe anarchosyndicaliste russe KRAS-AIT. Malgré certaines différences de positionnement, ces trois groupes s’accordent sur le principal : les régimes russe et ukrainien sont équivalents en terme du degré de militarisation de la société, de l’influence nauséabonde du nationalisme et de la répression que subissent les opposant·es ; il n’y a donc aucune raison de souhaiter la victoire de l’un sur l’autre. Par ailleurs, les trois refusent toute solidarité aux anarchistes ukrainien·nes ayant choisi la voie d’une résistance armée au sein des forces militaires et traînent dans la boue celleux qui les soutiennent, notamment les Collectifs de solidarité, les considérant comme des faux anarchistes militaristes tombés au piège du nationalisme ukrainien. Car pour l’Initiative Olga Taratuta, « il est clair que dès que vous portez (librement) un uniforme militaire, vous ne pouvez plus prétendre être “anarchiste”. En faisant semblant, vous mentez aux autres, et aussi à vous-même. » Quid de celleux qui continuent à répandre des idées anarchistes parmi leurs camarades au front et cherchent à monter des unités de combat antiautoritaires au péril de leur vie ? (On pense notamment aux trois camarades antiautoritaires et internationalistes dont nous avons commémoré le décès sur le front ukrainien il y a très peu de temps.) L’Initiative Olga Taratuta lève des sous pour ses activités en France, mais aussi pour le soutien à l’Assemblée. Selon ses propres dires, la moitié de la somme de 5 000 euros récoltée récemment pour les déserteurs est allée à ce groupe-là. L’activité principale de l’Assemblée est surtout médiatique, consistant à raconter des histoires de déserteurs et de résistance à la conscription forcée. Encore faut-il analyser ce phénomène correctement, ne pas prendre des exemples pour des tendances générales et ne pas réécrire l’histoire à partir de ses propres désirs. Car ce que l’Assemblée décrit en Ukraine s’apparente à une situation tout droit sortie de l’imagination de ses membres où “deux régimes dictatoriaux” s’affrontent. L’Assemblée ne mâche pas ses mots concernant la résistance ukrainienne : L’Ukraine est un député gras et cupide. L’Ukraine, c’est un racketteur sadique du bureau de recrutement militaire. L’Ukraine, ce sont des drones et des barbelés le long de la frontière avec le « monde civilisé ». […] Il n’existe pas d’autre Ukraine. Il est stupide de se battre pour sa prison, il est encore plus stupide de donner sa vie pour ça. (https://assembly.org.ua/kak-perejti-graniczu-ukrainy-posle).

Le même collectif va même jusqu’à comparer Zelensky à Assad, suite à la chute de ce dernier, car on n’est à l’abri d’aucun parallèle honteux afin de faire passer l’idée selon laquelle tous les États se valent. Une situation paradoxale s’est créée : la propagande officielle ukrainienne vante les succès des forces pro-Otan et pro-turques contre Assad comme une brillante victoire sur la Russie, tandis que dans le même temps, le dictateur ukrainien soutenu par l’Otan lui-même risque de plus en plus de répéter le sort d’Assad (https://nowar.solidarite.online/blog/lukraine-entre-2024-et-2025-la-désertion-est-devenue-un-phénomène-national). Rappelons ce que disaient les camarades de l’ABC-Bélarus au sujet de cette même Assemblée :

[La Croix noire anarchiste de Biélorussie (ABC) a choisi de se retirer de l’Internationale des Fédérations Anarchiste (IFA) étant trop souvent assimilée aux propagandistes favorables à Poutine et Loukatchenko [39]. Sur la même page, elle dénonce le « passé douteux » d’Olga Karach, militante des droits humains et créatrice de l’organisation Notre maison, en soutien aux objecteurs de conscience. La Biélorussie l’a condamnée à 12 ans de prison.]

Dans la situation avec l’Ukraine, le partenaire principal des antimilitaristes [occidentaux] était l’odieux collectif médiatique Assemblée de Kharkiv, qui préfère se dissocier du reste du mouvement anarchiste et de coopérer activement avec le groupe [KRAS-AIT] de Vadim Damié, un historien russe qui propage le mythe de l’Ukraine fasciste depuis 2014. Si vous voulez en savoir plus sur Assemblée, demandez à des anarchistes ukrainien·nes (https://abc-belarus.org/en/2024/04/16/when-ideologygets-in-the-way-of-solidarity). Il est possible qu’en se réjouissant de la chute des lignes de défense de l’armée ukrainienne, les anarchistes de l’Assemblée espèrent sincèrement que l’occupation russe d’une plus grande partie des territoires ukrainiens amène une résistance anarchiste plus pure que celle qu’on observe aujourd’hui au sein des forces armées – plutôt que des camps de concentration sur tout le territoire et l’écrasement total de tous·tes les opposant·es présumé·es, ce qui serait une hypothèse plus probable en vue de la situation qui perdure dans les régions de l’Ukraine actuellement occupées par le Kremlin. Il est aussi possible que ce collectif soit pris au piège de sa propre grille de lecture simpliste et intransigeante (voyant seulement en Ukraine un conflit entre deux États ou deux blocs géopolitiques s’affrontant à armes égales) ne lui permettant pas d’apercevoir une différence de degré entre la violence déployée par l’empire colonial russe et celle de l’État ukrainien, mais surtout la menace existentielle que représente le premier pour tout mouvement dissident, y compris anarchiste. Est-il utile de rappeler qu’en Russie aujourd’hui, des anarchistes et antifascistes accusé·es de tags ou de publications sur internet risquent des années de prison suite à des aveux arrachés sous électrochoc ? Pendant ce temps-là, en Ukraine, l’Assemblée continue à publier librement des textes comparant Zelensky à un dictateur sans pour autant craindre un sort similaire. Il est évident pour quiconque aurait passé du temps dans ces deux pays récemment (hormis visiblement les anarchistes de l’Assemblée) que, même si Zelensky est loin d’être un ami des anarchistes, le niveau de contestation sociale et la capacité à s’organiser librement en Ukraine sans craindre l’arrestation, la torture ou la mort, sont sans aucune comparaison possible avec ce qui pourrait exister en Russie contemporaine. Non pas que les dirigeants ou les flics ukrainiens soient foncièrement meilleurs que leurs homologues russes, les causes de cette situation sont plutôt historiques et sociales : l’Ukraine n’est pas un empire, elle n’hérite pas des siècles de polices politiques secrètes toutes puissantes ; en plus, il y existe toujours des instances fortes de contre-pouvoir à l’État (syndicats, collectifs, mouvements sociaux…), bien qu’elles soient affaiblies par la guerre ; enfin, les souvenirs sont encore frais de la période où des milliers d’Ukrainien·nes montaient sur des barricades pour affronter les flics antiémeute. Pour ses raisons-là, on ne peut pas prendre les personnes combattant aux côtés des forces armées ukrainiennes pour des masses ignorantes, intoxiquées au nationalisme et n’ayant pas encore réalisé leur plein potentiel révolutionnaire : il s’agit avant tout d’un choix éclairé d’une société où, pour une grande partie des habitant·es, il est mille fois plus facile de se battre pour ses droits et, pour les anarchistes spécifiquement, de s’organiser dans l’objectif d’abolir le pouvoir de l’État sans craindre de recevoir une balle dans la tête. Cette logique est aussi partagée par un grand nombre de déserteur·es ukrainien·nes. Bien qu’on puisse entendre certaines personnes désespérées et accablées comparer le niveau de corruption en Ukraine à celui en Russie, demandez-leur si elles préfèrent vivre à Moscou ou à Kyïv et la réponse ne se fera pas attendre. Nous avons décidé de rendre publiques nos positions, en espérant susciter un débat mieux informé sur la désertion, alarmé·es par le fait que ces groupes puissent avoir une plateforme publique non contestée sans que vienne s’y opposer un quelconque contre-discours concernant la situation en Ukraine. Une plateforme depuis laquelle ils pourront salir l’ensemble des résistant·es ukrainien·nes au moment même où on commémore le décès de nos camarades. Si nous écrivons ce texte aujourd’hui, c’est que nous croyons fermement en l’idée selon laquelle on peut et doit, d’un seul et même geste internationaliste et anticolonial, se solidariser des déserteur·es et de celleux qui continuent à lutter contre une puissance impérialiste au prix de leur santé et leur vie, que ce soit par le sabotage actif de la machine de guerre coloniale, par les armes aux côtés des formations militaires ou par le soutien logistique depuis l’arrière.

L’Ukraine sous les bombes

Une recrudescence de bombardements frappe l’Ukraine, y compris Kiev, la capitale.

Fataliste, la dramaturge et écrivaine Lena Lagushonkova, a renoncé à s’abriter. « Tout ce dont je me soucie, c’est d’être maquillée et d’avoir de beaux draps pour que si des pompiers doivent un jour me trouver, ils aient une belle image de moi [40]. »

Kharkiv

En avril 2025, Kharkiv a subi 136 attaques russes contre 533 immeubles, tuant 7 personnes et en blessant 230 autres. Il faut moins d’une minute depuis la zone frontalière russe pour atteindre l’ancienne capitale ukrainienne. Pour cette raison, l’essentiel de la vie quotidienne se passe sous terre : les activités artistiques, les bars et les boîtes, les hôpitaux, les restaurants, les théâtres et les écoles, de la maternelle au lycée. Jusqu’à présent, les élèves ont suivi les cours à distance, à cause de la pandémie puis des bombardements. Ils sont souvent exténués et déprimés par les bombardements. Les plus jeunes ont des problèmes de socialisation. « Je n’aime pas l’idée que ma jeunesse et mon adolescence se passent entre quatre murs », regrette Yevgenia, 17 ans. En 2022, quand la ville a été ciblée, des milliers d’habitants se sont réfugiés dans le métro. Des écoles ont été aménagées dans des rames à l’arrêt.

Des ballets sont représentés dans les sous-sols de l’opéra qui est une des plus grandes scènes d’Europe. « Nos spectacles ici, sous terre, c’est une manière de dire au monde entier qu’on est vivants. » Interrogée, une jeune spectatrice éclate en sanglots et insiste sur l’importance de ces spectacles dans une ville assiégée depuis trois ans. Une cave à vin propose des spectacles aux enfants. Un bar souterrain a lancé sa « bière du bunker ». On trouve même un mur d’escalade [41].

Soumy

Cinq lycéennes habillées de noir et maquillées de blanc tournent une vidéo devant la façade d’un bâtiment criblé d’impacts de bombes où leur professeure de biologie a été tuée alors qu’elle soignait des blessés. « Nous avons appris à vivre dans ces conditions, mais le plus important c’est que chacun, même les étudiants, fasse quelque chose pour que cette guerre s’arrête », commente l’une d’elles [42].

Mauvaises mines

Le président Zelensky a signé un décret, le 29 juin 2025, prévoyant la sortie du pays de la convention d’Ottawa qui interdit les mines antipersonnel car elles font peser un lourd danger sur les civils. Le décret devra être validé par les parlementaires. Selon le rapport annuel de l’ONG Landmine Monitor, en 2023, 1 500 enfants ont été victimes de mines. La ligne de front de 1 000 kilomètres de long qui sépare l’armée ukrainienne des forces russes est aujourd’hui le plus long champ de mines de la planète. Les États-Unis ont cessé d’utiliser des mines antipersonnel en 1991, et d’en produire depuis 1997, mais sans pour autant signer la convention. En novembre 2024, l’administration Biden avait autorisé l’envoi de ces mines en Ukraine [43].

Des Africaines recrutées pour assembler des drones

En manque de main-d’œuvre, avec un taux de chômage de 2 %, la Russie manque de bras. Des usines attirent des Africaines en leur promettant formation professionnelle et salaire avantageux, sans mentionner la nature de l’emploi qui les attend.

Depuis 2023, des centaines de jeunes femmes y assemblent des drones Shahed 136 qu’elles agrémentent de composants électroniques fabriqués en Chine. Une fois améliorés et repeints en noir, ils sont rebaptisés « Geran-2 ».

L’inscription au test d’aptitude se fait en un clic sur le site Alabuga Start, la porte d’entrée du « programme international de formation professionnelle » mis en place par Alabuga SEZ et soutenue par l’agence de coopération humanitaire et culturelle (?) Rossotroudnitchestvo. L’incitation à rejoindre le programme se fait également par l’entremise des ambassades russes en Afrique, où Alabuga Start jouit d’un franc succès. Les femmes sont aussi recrutées sur les réseaux sociaux, par des intermédiaires et des influenceurs agissant dans les pays d’origine.

Pour passer le test d’aptitude, il suffit d’être une femme âgée de 18 à 22 ans, d’avoir un niveau d’éducation secondaire, d’être titulaire d’un passeport en cours de validité et de posséder 100 mots russes de base. Pourquoi uniquement des femmes ? Parce qu’elles sont plus faciles à gérer, a suggéré Timur Shagivaleev, le directeur de l’Alabuga SEZ, dans un entretien au site d’actualité russe Business Online, le 3 juin 2023. Et aussi parce que « certains travaux nécessitent une précision féminine », a-t-il rappelé. « Ce genre de tâche réclame précision, minutie et aussi sobriété, ce qui n’est pas la première qualité des ouvriers russes », commente l’expert militaire Iouri Fedorov.

Une enquête fouillée, publiée en mai par Global Initiative Against Transnational Organized Crime [44], révèle la déception de quelques-unes d’entre elles qui, pensant avoir été sélectionnées dans le cadre d’une formation universitaire alternante, se retrouvent à travailler de longues heures sous étroite surveillance pour assembler des drones. « Alabuga illustre parfaitement la manière dont les entreprises, la criminalité et l’État se croisent dans la zone grise décrite dans le rapport », écrit le site. Certaines femmes déplorent des problèmes de peau apparus à la suite de la manipulation de produits chimiques toxiques [45].

Trois femmes inadéquates

Le procureur général a demandé au tribunal de condamner à une peine record de 27 ans de prison une activiste russe qui aidait des Ukrainiens. Nadine Geisler, fondatrice du l’« Armée des beautés », un mouvement de femmes bénévoles venant en aide aux civils ukrainiens a été accusée de trois crimes : haute trahison, aide à une organisation terroriste et participation à une activité dirigée contre la sécurité nationale. Tout cela pour un post Instagram appelant à faire des dons à l’armée ukrainienne. Nadine a affirmé ne pas être l’autrice de cette publication, qui a été publiée sur un compte anonyme. Elle a été condamnée à 22 ans de prison [46].

Vera Sidorkina, mère célibataire, a été condamnée à 18 ans de prison pour avoir enfreint pratiquement les mêmes articles du code pénal et prétendument aidé l’armée ukrainienne en lui envoyant des captures d’écran provenant des cartes satellites de Google ou de Yandex. Selon l’accusation, elle voulait également se rendre en Ukraine pour rejoindre l’un des régiments qui combattent aux côtés de l’armée ukrainienne en tant que médecin ou cuisinière [47].

Enfin, une blogueuse a été arrêtée à la suite d’une vidéo [48] enregistrée le 12 juin, jour férié national appelé « Jour de la Russie ». Dans cette vidéo, Maria Makhmutova, qui vit dans la région d’Irkoutsk, est dans sa voiture et dit : « J’ai plein de projets aujourd’hui, mais partout où je me tourne, c’est soit une fête, soit une autre connerie. Et les administrations publiques ne travaillent pas. Mais genre, c’est quoi ce putain de jour férié, bordel ?! Un jour de fête incroyable, le Jour de la Russie, mais vous, vous avez de quoi être fiers, hein ? De quoi êtes-vous fiers, bordel ? De vivre, putain, de finir le dernier bout de pain sans sel ? De devoir tuer des gens pour vous acheter des bagnoles et des appartements, putain, et boire comme des trous, comme si c’était la dernière fois, et porter des putains de médailles ? Ces médailles aujourd’hui, c’est un signe pour toute votre vie, une marque pour toute votre vie que vous êtes des putains d’assassins. Et vos enfants en souffriront par la suite. Je vous le promets, putain. Vous avez organisé une vie de rêve à vos enfants. Malheureusement, les enfants ne choisissent pas leurs parents. Mais vous, vous choisissez comment vivre. Seulement, vous vivez sans conscience et sans dignité. Et si tous les participants de SVO [l’« opération militaire spéciale »] crèvent demain, je boirai du vin. Beaucoup. »

À la suite de la mise en ligne de cette vidéo, la blogueuse a été arrêtée, puis internée de force dans un hôpital psychiatrique avant d’être brièvement libérée, puis arrêtée à nouveau. Elle est désormais accusée [49] d’avoir insulté un représentant du gouvernement et discrédité l’armée russe. Un fichier contenant des images de sa détention, joint à un communiqué de presse de la police sur l’affaire, a été intitulé [50] de manière assez directe par des agents locaux pleins d’esprit : « femme inadéquate ».

Lettre ouverte de onze prisonniers politiques russes aux dirigeants mondiaux

Nous, prisonniers politiques russes, lançons un appel à tous les dirigeants du monde qui se soucient des souffrances des peuples à cause de leurs convictions.
Nous sommes au moins 10 000 prisonniers politiques russes et otages civils ukrainiens. Nous sommes tous punis pour une seule raison : notre position civique.
Dans la Russie d’aujourd’hui, il n’existe pas de notion de justice et d’impartialité : quiconque ose penser de manière critique risque de finir derrière les barreaux.
La législation répressive visant à éradiquer toute dissidence a été constamment renforcée depuis 2012. De 2018 à 2022, au moins 50 lois répressives ont été adoptées, et depuis le 24 février 2022, plus de 60 autres. En Russie, aucun acquittement n’est enregistré dans des affaires à motivation politique. La sévérité des peines s’accroît : des peines de 10, 15 et 20 ans de prison ne surprennent personne. La Douma d’État exige régulièrement le rétablissement de la peine de mort.
Les chances que de telles affaires soient traitées équitablement par les tribunaux russes étaient déjà minces, mais après le refus de la Russie d’appliquer les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme en 2022, elles ont complètement disparu.
Dans la Russie moderne, les institutions de défense des droits de l’homme ont été complètement remplacées par des organismes qui se contentent d’imiter les activités des droits de l’homme. En conséquence, la santé et la vie des prisonniers sont menacées, et les cas de torture et de pressions ne font généralement l’objet ni d’enquêtes ni de sanctions. Les prisonniers politiques sont plus souvent détenus que les autres dans des conditions plus difficiles et sont privés de toute possibilité de libération conditionnelle ou d’allègement de leur régime de détention. La pratique consistant à ouvrir de nouvelles affaires pénales sur la base de dénonciations d’autres condamnés s’est généralisée.
Malgré tout cela, nous n’avons pas perdu notre voix, nous n’avons pas disparu. Nous avons conservé notre position civique, qu’il nous importe d’exprimer.

  • Nous appelons les deux parties aux négociations entre la Russie et l’Ukraine à procéder immédiatement à un échange de prisonniers de guerre et de civils selon la formule « tous contre tous », y compris les otages civils ukrainiens.
  • Nous appelons à la libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers politiques malades mourant dans les prisons russes.
  • Nous espérons que les hommes politiques de différents pays créeront les conditions pour la libération de tous ceux qui sont persécutés en Russie pour des raisons politiques.
  • Nous appelons les médias de différents pays à ne pas rester silencieux et à couvrir les activités des citoyens russes qui continuent de risquer leur vie dans la lutte pour la liberté et la démocratie.
  • Nous demandons aux hommes politiques des pays démocratiques de soutenir la lutte des Russes et d’adopter des résolutions au nom des parlements, des associations politiques et des partis.
    Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons rapprocher le temps de la liberté et de la paix.

Parmi les auteurs de la lettre figurent l’ancien député municipal de Moscou Alexeï Gorinov (celui-ci a déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie. Il a souligné l’inconstitutionnalité de l’article sur les « fausses informations » sur l’armée russe, pour lequel il a été condamné à sept ans de prison, affirmant qu’il vise à réprimer la dissidence en Russie et à appliquer des mesures répressives contre ceux qui ne partagent pas la position des autorités. La Cour a refusé d’examiner la plainte [51]), l’étudiante de Novossibirsk Anna Arkhipova, l’entrepreneur Vladimir Domnine, le sociologue et publiciste Boris Kagarlitsky, l’activiste de Saint-Pétersbourg Daria Kozyreva, Dmitri Pchelintsev et Ilya Shakursky, l’activiste civil Andreï Trofimov , l’ancien chef du district de Serpoukhov de la région de Moscou Alexandre Chestun, le poète Artem Kamardin et le mathématicien Azat Miftakhov [52].

Piquets solitaires à Novossibirsk

Dans le centre de Novossibirsk (District fédéral de Sibérie), les militants Vladimir Soukhov et Helix Safin ont organisé des piquets de protestation solitaire avec des pancartes pour exprimer leur soutien à la prisonnière politique Maria Ponomarenko, condamnée pour ses publications anti-guerre, et pour rappeler la violation du droit constitutionnel à la libre diffusion de l’information.

Dans son intervention, Helix Safin a évoqué l’article 29 de la Constitution russe, qui garantit la liberté de pensée, d’expression et interdit la censure.

Les deux militants ont souligné qu’ils considéraient comme de leur devoir de rappeler le droit des citoyens à l’accès à l’information et de soutenir ceux qui souffrent pour avoir exprimé leur opinion.

À Novossibirsk, des « samedis de protestation » ont lieu chaque semaine [53].

Une tour de communication détruite près d’une unité militaire

Les résistants du mouvement « Liberté pour la Russie » ont annoncé l’incendie d’une tour de communication située près de l’unité militaire n° 22669 dans le kraï de Khabarovsk (District fédéral de l’Extrême-Orient).

Selon leur déclaration, l’objectif de l’attaque était de perturber les communications de l’armée russe. « La résistance reçoit de plus en plus souvent des informations cruciales de la part de Russes engagés, et prouve une fois de plus sa capacité à les utiliser efficacement », indique le communiqué du mouvement, précisant que les coordonnées exactes de la tour leur avaient été transmises par un informateur local [54].

Irina Izmaïlova

Irina Izmaïlova, une artiste de 36 ans et militante anti-guerre originaire de Samara (District fédéral de la Volga), aurait, selon l’enquête, fabriqué du tripéroxyde d’acétone (TATP) plusieurs mois avant une perquisition menée sans la présence d’un avocat. Lors de cette perquisition, les agents ont affirmé avoir découvert des traces d’explosifs. Les enquêteurs ont insisté sur le fait qu’Izmaïlova adhérait prétendument à « idéologie radicale pro-ukrainienne ».

Le 11 juin, elle a été condamnée à 20 ans de prison et à une amende de 250 000 roubles (soit 11,1 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie), après avoir été reconnue coupable de « fabrication d’explosifs » et de « haute trahison ».

Sa défense soutient que les poursuites pénales sont liées à son engagement anti-guerre. Irina Izmaïlova ne cachait pas ses convictions civiques, menait une activité publique contre la guerre et publiait régulièrement des critiques du régime sur les réseaux sociaux [55].

Les pillards de Choïgou crèvent comme des mouches

Sergueï, un habitant d’Anjero-Soudjensk (District fédéral de Sibérie), avait fait ce commentaire au sujet des militaires russes : « Eh bien oui, c’est normal, les pillards de Choïgou [secrétaire du Conseil de sécurité de Russie, poursuivi par la Cour pénale internationale] crèvent comme des mouches. »

Le 12 juin, le tribunal l’a reconnu coupable « d’incitation à la haine » et l’a condamné à une amende de 10 000 roubles (soit 0,45 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) [56].

Dmitri Toktarov

Dmitri Toktarov, étudiant de 23 ans à l’Université d’Agriculture de Tchouvachie (District fédéral de la Volga), avait écrit plusieurs slogans anti-guerre : « Une Russie sans Poutine », « Poutine est un trou du cul. Non à la guerre ! » avec un Z barré, et « Poutine pushtedyche ! » (« meurtrier » en langue ouralienne marie). Pour la première inscription, le 12 juin, il a été reconnu coupable de « vandalisme » et condamné à une amende de 10 000 roubles. Les verdicts concernant les deux autres inscriptions n’ont pas encore été rendus [57].

Soutien à un incendiaire

Irina M., 45 ans, spécialiste du département du travail de mobilisation au sein du gouvernement du kraï de Khabarovsk (District fédéral de l’Extrême-Orient), avait laissé en juin 2022 un commentaire favorable à Vladimir Zolotarev, un habitant de Komsomolsk-sur-l’Amour qui avait incendié un bâtiment de la Garde nationale (Rosgvardia) pour protester contre la guerre. Irina l’avait qualifié de « héros » et avait fait remarquer qu’il restait « peu de personnes assez courageuses ». Une procédure pénale a été ouverte à son encontre [58].

Gloire à l’Ukraine

Valeri Kiritchenko, habitant de Stary Oskol (District fédéral central), avait envoyé plusieurs messages vocaux à son épouse, dans lesquels on entendait notamment les phrases suivantes : « Gloire à l’Ukraine ! Je viens d’Ukraine en fait […] j’ai une telle haine envers vous, envers vos Russes… ». Kiritchenko a été reconnu coupable « d’incitation à la haine et à l’hostilité » ainsi que de « démonstration de symboles interdits ». Pour la première infraction, il a écopé d’une amende de 10 000 roubles, et pour la seconde, d’une amende de 1 000 roubles [59].

Evgueni Melikhov

En 2023, Evgueni Melikhov, un entrepreneur originaire de Tcheliabinsk, avait commenté une actualité liée à la mobilisation pour la guerre en Ukraine dans un canal Telegram. Le contenu exact du commentaire n’a pas été rendu public.

Lors d’une perquisition à son domicile, les forces de l’ordre avaient découvert sur son téléphone des « abonnements à des chaînes anti-russes ». Melikhov avait reconnu être opposé à la guerre et avoir publié ce message en soutien à l’Ukraine.

Il a été condamné à cinq ans et demi de privation de liberté pour « incitation à commettre un crime à caractère terroriste » [60].

[1Ariane Chemin « En Ukraine, des prisonniers libérés mais brisés », Le Monde, 10 août 2025.

[2Thomas D’Istria, « À Kiev ? des appels à faire justice aux obsèques d’une journaliste », Le Monde, 10 août 2025.

[4Andrey Karev, https://novayagazeta.ru/articles/2025/08/14/etogo-zhe-prava-u-menia-nikto-ne-otbiral-trebovat, 14 août 2025, consulté le 15 août 2025.

[6Ariane Chemin, « Dans le Donbass, une mère et sa fille contre la russification », Le Monde, 20 août 2025.

[7Benjamin Quénenelle, « Six militants de l’organisation Vesna, jugés à Saint-Pétersbourg, risquent jusqu’à quinze ans de prison », Le Monde, 30 juillet 2025.

[8Propos recueillis par Doan Bui « Moi, V., déserteur russe », 24 juillet 2025.

[10Veronika Dorman, « À Paris, l’exil en commun de jeunes Russes et Ukrainiens », Libération, 30 juillet 2025.

[11Kristina Berdyskykh, « En Ukraine, le "pouvoir du peuple" rétablit l’indépendance des agences anticorruption », Libération, 1er août 2025 ; Clara Marchaud, « L’Ukraine rétablit l’indépendance de ses agences anticorruption, Le Figaro, 1er août 2025.

[12Stéphane Siohan, « Anticorruption : Zelensky remet la loi à l’endroit, mais peine à sortir de l’ornière », 1er août 2025.

[13« Arrestations dans le cadre d’un "système de corruption à grande échelle" », Le Soir, 4 août 2025.

[14Thomas D’Istria, « Ukraine : la confiance en Zelensky ébranlée », Le Monde, 6 août 2025.

[16Ariane Chemin, « En Ukraine, la présidence accusée d’utiliser la justice contre ses opposants », Le Monde, 19 juillet 2025.

[17Stéphane Siohan, « Affaire Shabunin : la présidence s’en prend aux organes anti-corruption », Le Soir, 22 juillet 2025.

[19Stéphane Siohan, « Zelensky torpille la lutte contre la corruption et déclenche la colère », Le Soir, 24 juillet 2025.

[20Ariane Chemin, « Ukraine : Les instances anticorruption mises à mal », Le Monde, 24 juillet 2025.

[24Ariane Chemin, « En Ukraine, les cimetières militaires se multiplient », Le Monde, 20 juillet 2025.

[25Nelly Didelot, « Arctique, pour les riches Russes, la croisière s’annule », Libération, 20 juillet 2025.

[27Tatiana Ashurkevitch, Hristo Grozev, Roman Dobrokhotov, https://theins.ru/inv/283135, publié et consulté le 22 juillet 2025.

[28https://kruzhok.org, publié et consulté le 22 juillet 2025.

[31Tatiana Weimer, « Valery Gergiev perona non grata en Italie”, Le Monde, 24 juillet 2025.

[32Axel Gyldén, « À qui appartient la Crimée ? », L’Express, 24 juillet 2025.

[33Morgane Bona « Quand l’armée ukrainienne recrute en cellule », Marianne, 24 juillet 2025.

[34https://zona.media/article/2025/07/02/charov, 2 juillet 2025, consulté le 6 juillet.

[35https://meduza.io/en/feature/2025/07/01/i-don-t-want-this-exchange-anymore, 1er juillet 2025, consulté le 7 juillet 2025.

[36Filip Meyer, « Les États sont impuissants face au recrutement de leurs ressortissants comme mercenaires », Le Monde, 11 juillet 2025.

[38Défaitisme, désertion et résistance…, p. 136-143.

[40Thomas D’Istria, « À Kiev, le retour des bombardements », Le Monde, 1er juillet 2025.

[41Ian Birrell, The I Paper, repris dans Courrier international, 26 juin 2025.

[42Stéphane Siohan, « À Soumy, la crainte des drones et de l’artillerie russes », Le Soir, 28 juin 2025.

[44https://globalinitiative.net/analysis/who-is-making-russias-drones, 8 mai 2025, consulté le 1er juillet 2025.

[47https://zona.media/news/2025/06/20/sidorkina?mc_cid=07d5bf670c, 20 juin 2025, consulté le 27 juin 2025.

[48https://t.me/astrapress/83773?mc_cid=07d5bf670c, consulté le 27 juin 2025.

[49https://t.me/horizontal_russia/47320?mc_cid=07d5bf670c, 18 juin 2025, consulté le 27 juin 2025.

[50https://t.me/horizontal_russia/47320?mc_cid=07d5bf670c, 18 juin 2025, consulté le 27 juin 2025.

[51https://memorial-france.org/chronique-de-la-russie-qui-proteste-09, 15-juin-2025, consulté le 4 juillet 2025.

[52https://meduza.io, 3 juillet 2025, consulté le 4 juillet 2025.

[53https://memorial-france.org/chronique-de-la-russie-qui-proteste-09, 15-juin-2025, consulté le 4 juillet 2025.

[54Ibidem.

[55Ibidem.

[56Ibidem.

[57Ibidem.

[58Ibidem.

[59Ibidem.

[60Ibidem.

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Retrouvez la deuxième partie de cette rubrique, décembre 2022

Retrouvez la première partie de cette rubrique, novembre 2022

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Lundi 10 novembre 2025

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Vendredi 7 novembre 2025

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Dimanche 7 septembre 2025

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