Exail est une société spécialisée dans les robots militaires navals qui est le produit du rapprochement entre ECA group et IxBlue en 2022. Elle est particulièrement en vue puisqu’elle vient de signer un contrat pour la livraison de seize systèmes à l’armée française [1]. Une commande annoncée lors du dernier salon d’armement Euronaval qui s’est tenu du 4 au 7 novembre 2024 à Villepinte. Ce contrat rapportera au minimum 60 millions d’euros à la multinationale qui possède des sites de développement à Toulon et Toulouse, notamment.

Exail : une centaine de transferts d’objets « hétéroclites » au Kazakhstan en 2024

Si on se fie aux résultats d’une base de données d’import/export [2], Exail aurait multiplié les transferts vers le Kazakhstan en février 2024 ; on en dénombre une centaine. Parmi le matériel déclaré, des « câbles optiques », « modem satellite » mais aussi d’étonnants « marteaux en bois » et autres « scies à métal ». Certaines déclarations à la douane française ont-elles été falsifiées ? Des transferts au poids menu qui suggèrent plutôt un échange soutenu en matière de recherche et développement ou la livraison de systèmes entiers en pièces détachées.

L’entreprise toulousaine a pour client JSC Gidropribor, un centre de recherche sur la robotique, basé au Kazakhstan (Oural), qui a une origine russe liée au temps où ce dernier appartenait à l’ex-URSS [3]. Avec l’effondrement de l’Union soviétique, il s’est scindé en deux entités juridiques différentes : l’une située au Kazakhstan, l’autre en Russie.

Cependant, son ex-pendant russe JSC Gidropribor, spécialisée dans les armes marines et sous-marines, déclare intéresser des pays comme le Kazakhstan et la France [4].

Ces dix dernières années, Eca Group avait déjà livré au Kazakhstan et à la Russie divers robots navals, spécialisés dans le déminage [5]. Cette dernière coopération l’a amené à travailler à la fois avec l’industrie d’armement russe (Rostec) et la marine russe.

Delair : 6 drones UX11 livrés au Kazakhstan depuis 2020

Quant à l’entreprise Delair, elle fabrique des drones militaires aériens. Six lots ont été livrés à une entreprise kazakhe Geotron entre 2020 et 2024 dont deux après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il s’agit visiblement d’une entreprise spécialisée dans les activités de géodésie (mesure et cartographie du territoire) dont les faibles effectifs interrogent (0 à 5 personnes). S’agit-il d’un revendeur ? Et le cas échéant, comment Delair garantit-elle l’usage final de ses équipements ?

Cette question se pose dans la mesure où le Kazakhstan et la Russie demeurent des partenaires proches dans le domaine militaire, malgré une prise de distance récente. En 2024, Astana a réceptionné un nouveau lot d’avions militaire russes [6] et la capitale a été mise en cause par un média ukrainien pour avoir entretenu les avions russes Su-30 à l’aide d’équipements français fournis par Thales et Safran [7]. Ce qui ne dissuade visiblement pas Paris de lui fournir son « nec plus ultra » en matière de robotique !

Enfin, les drones peuvent tomber dans les mains du régime autoritaire kazakh et servir à la surveillance des populations. Le partenariat stratégique liant le Kazakhstan à la France depuis 2008 doit donc être interrogé à plusieurs titres [8], à l’heure où les relations entre les deux pays sont au beau fixe. Le président Kassym-Jomart Tokaïev était d’ailleurs en visite à Paris le 5 novembre.

Contactée par La Dépeche du Midi, l’entreprise Exail dément tout lien avec la société "Exail Robotique S.A.S.U." Nous avons fourni au journaliste des versions traduites en français des fichiers pour faciliter la compréhension des données figurant en russe. Mais c’est bien "Exail Robotics S.A.S.U" qui apparait dans le fichier original, comme le prouve la capture ci-dessous. Nous avons d’autre part vérifié l’adresse de l’expéditeur, le pays d’envoi, la dénomination juridique de l’entreprise, le profil de ses membres fourni par la base de données, l’historique de la société….

Quant à la société Delair, elle réfute toute forme de « double jeu » et déclare avoir expédié « des drones civils qui font de la topographie pour des géomètres ». « L’an dernier, des concurrents polonais nous accusaient de vendre des drones militarisés à des alliés de la Russie pour ternir notre réputation » ajoute Bastien Mancini, le président de l’entreprise. Une remarque qui pointe bien l’enjeu : ce sont les opérations avec le Kazakhstan qui posent en elles-mêmes problème, plus que les intentions de l’entreprise… Le modèle d’aéronefs UX11 fourni aux « géomètres kazakhs » équipe également l’armée française. C’est aussi celui qui est en train d’être envoyé aux forces ukrainiennes pour servir de « drones kamikazes »…

Enfin, la notion de « double jeu » explique pour une part la préparation de la guerre en Ukraine et sa perpétuation actuelle. Dans une étude parue en janvier dernier [9], le groupe d’experts ukrainiens Yermer-McFaul explique que 95 % des composants issus du matériel russe retrouvés sur le champ de bataille proviennent des pays occidentaux et 44 % des pièces importées par la Russie en 2023 en sont toujours issues.

Nos recommandations

Plus de cinq mois après les élections législatives, l’Assemblée nationale n’a toujours pas nommé les nouveaux membres de la commission parlementaire de contrôle des exportations, mise en place cette année, afin qu’elle puisse — enfin ! — démarrer ses travaux… Or, la délégation au renseignement est, quant à elle, déjà fonctionnelle [10] !

Il est temps que les parlementaires enquêtent sur les contournements de l’embargo russe et sur l’état de nos coopérations avec les différents pays en guerre, dont Israël. Souhaite-t-on continuer à engranger des contrats qui contribuent — potentiellement ou non — à aggraver les guerres ? Ou va-t-on se décider à examiner enfin sérieusement les conséquences de ces exportations sans limite, ni contrôle ?

À l’adresse de nos décideurs politiques, nous réclamons enfin un audit aux régions d’Occitanie, de Provence-Alpes-Côte d’Azur, aux métropoles de Toulouse et Toulon permettant de mesurer l’impact de l’industrie aéronautique sur les conflits et répressions internationaux.

Enfin, nous sommes prêts à accompagner tout citoyen prêt à réaliser un travail de veille permanent, d’interpellation sur les entreprises locales et à s’engager dans un groupe d’enquête sur le sujet. Car l’engagement de chacun est essentiel pour éveiller le débat au niveau local.

[2Tradeindata.com

[9Challenges-of-Export-Controls-Enforcement.pdf (kse.ua)