« […] L’art de la paix ne peut s’accomplir qu’en mobilisant les vertus d’humanité et d’inclusion. Il ne saurait se réduire à un secteur d’activité, puisqu’il couvre tous les domaines de la vie sociale et fait appel à toutes les individualités et toutes les compétences. […] » (p. 221) Ces deux phrases extraites de la conclusion sont un condensé des idées développées par l’auteur. Il les décline en neuf chapitres aux sous-titres à chaque fois simples et percutants. « La non-guerre n’est pas la paix ». « Placer le social avant la force », etc.

D’entrée de jeu, Bertrand Badie met au centre l’État, fauteur de guerre, empêcheur de paix. « L’État a besoin de la guerre pour se construire et la guerre a besoin de l’État pour se renforcer » (p. 29). Avec un constat dans ce premier chapitre : la paix par transaction entre États est fragile. Céder une portion de territoire par traité ne conduit pratiquement jamais à une paix durable. Une paix humaine ne peut que passer par la paix sociale (chapitre deux), qui implique logiquement de « chercher à comprendre l’Autre » (chapitre trois), et surtout à ne pas l’humilier. « L’humiliation comme comportement n’est pas seulement un ferment de stratégie martiale. Elle est aussi source de rage, […] où la pensée stratégique est remplacée par une colère uniquement destructrice » (p. 80) La rage qui justifie guerre, terrorisme, haine, vengeance. La paix doit être « consensuellement désirable, cherchant à saisir, dans le sens de l’Autre, les éléments qu’on peut rendre compatibles avec ses propres désirs ou ses propres attentes. » (p. 89)

Les deux chapitres suivants s’attachent à montrer le caractère systémique de la paix à construire. Pas de paix par petits bouts, par petites zones, c’est une paix globale qui est à inventer, sur un terrain désormais planétaire. Qui déborde largement le seul terrain de la guerre, avec par exemple les COP, qui certes, sont souvent des grands raouts assez éloignés des réalités concrètes des peuples, mais qui ont le mérite de pointer les problèmes qui menacent globalement, au plan planétaire, la sérénité des vies humaines.

Le chapitre six s’attache à « savoir trouver les justes normes universelles ». Cela passe par une remise en cause du fonctionnement actuel de nos institutions internationales, paradoxalement par une revalorisation du local (partir des réalités vécues par les populations), par la diminution de la puissance des membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU. La notion de maintien de la paix doit s’effacer devant la notion de construction de la paix. Il serait grand temps de se rendre compte que les organisations internationales doivent avant tout prévenir les conflits, plutôt que de tenter de les guérir. Puisque les guérisons ne sont jamais que provisoires. Tout l’art de la diplomatie doit être mis au service de la paix, et non au service des princes qui nous gouvernent.

Les trois derniers chapitres tournent justement autour de la diplomatie. « Le diplomate n’est pas le seul faiseur de paix, mais il en est l’incontournable artisan ». (p. 160). Il doit gérer l’Autre proche (de frontière à frontière) et l’Autre lointain (l’ONU, les diverses négociations autour de l’environnement, du commerce). Le rôle des ONG, d’instituts divers (souvent agissant au nom de la paix) vient en complément à ces discussions diplomatiques, toujours plus utiles pour la paix que les différentes manœuvres autour des guerres qui viennent. Les deux derniers chapitres se rejoignent autour de l’étranger, des migrations, de l’éducation à la paix. Trois chapitres généreux, qui ont le mérite de remettre la paix au centre d’un monde où la guerre seule semble donner le « la » aux relations internationales. Cela convient aux États, qui souhaitent garder la main sur la gestion d’un monde globalisé. Seule leur Puissance mérite d’être garantie, et ils craignent comme la peste une paix globale qui attenterait à cette Puissance.

Concernant les migrations, la perspective de « gouvernance globale des flux humains » (p. 196) me parait justement se heurter de plein fouet avec les « Puissances étatiques » défendues par un système international dominé par les cinq puissances du conseil de sécurité de l’ONU. La perspective est généreuse, reprise par de multiples ONG. Mais l’état du monde, les souverainismes, sont-ils à même d’aller dans une direction opposée à leurs intérêts souverainistes ?

Dans le dernier chapitre, l’auteur place ses espoirs dans l’éducation à la paix. C’est sans doute le bon moyen pour avancer dans la direction d’un monde de paix. Mais j’émets des réserves sur cette baguette magique de l’éducation, si souvent brandie, mais malheureusement mise en échec régulièrement par les tapis de bombes qui s’abattent sur les écoles…

Pessimisme de ma part ? Bertand Badie ne l’est pas. Il place sa confiance dans l’Unesco, l’Unicef, et les multiples ONG qui travaillent dans ce sens autour des Nations unies. L’Art de la paix, un optimisme à cultiver à tout prix. Dans ce livre foisonnant, la paix prend le pas sur la guerre. C’est assez rare, et cela mérite toute notre attention.

Jean-Michel Lacroûte