La conversation démarre de façon taquine :
Araud : « Je suis diplomate et un diplomate ne peut pas aimer la guerre. »
Audoin-Rouzeau : « Cela se comprend. Après tout, quand la guerre éclate, vous n’avez plus de travail… […] Plus sérieusement, est-ce que le diplomate n’entretient pas une relation ambiguë avec l’usage de la force ? Il la rejette en tablant sur la vertu de la négociation Mais en même temps il en a besoin, ne serait-ce qu’à titre de menace, pour donner du poids à ses propositions. »
Araud : « C’est exact. […] Plus la guerre dure, plus il est difficile de faire la paix. Les sacrifices et les souffrances s’accroissent, il devient compliqué de "vendre" la paix à l’opinion publique. »
Ensuite, les interlocuteurs sont pratiquement toujours d’accord, d’abord sur l’aveuglement européen « Depuis quatre-vingts ans nos pays européens sont gorgés de paix, l’idée que la guerre reste un horizon n’était même pas concevable » ; « Nous avons péché par naïveté, une très belle naïveté, nous avons réalisé le très bel espoir des pacifistes et nous en payons le prix. » ; « On a cru à la guerre courte, on a cru à la guerre sans atrocités, on s’est bercé d’illusions. » (Audoin-Rouzeau). « Les Européens ont connu soixante-dix-sept ans de paix interétatique. C’est la période de paix la plus longue depuis la chute de l’empire romain. » ; « [Se préparer à une guerre possible] est d’autant plus difficile qu’on a élevé les nouvelles générations dans l’idée que la guerre était un archaïsme qui ne concernait plus que les pays arriérés et que l’Europe avait trouvé la solution d’une humanité apaisée. » (Araud).
Ils s’entendent aussi, à propos de l’Ukraine, sur un pessimisme relatif à une victoire et à la possibilité d’une fin de guerre sans cession territoriale. « Je ne vois pas comment mettre fin à une guerre sans négocier. On ne fait pas confiance à son ennemi par essence. » (Araud). « La question essentielle n’est pas de savoir si la Russie va ou peut perdre la guerre, c’est de savoir comment et à quel moment l’Ukraine peut perdre celle-ci. » (Audoin-Rouzeau). Ce pessimisme a peut-être été atténué après l’offensive ukrainienne en Russie, postérieure au débat.
Guy Dechesne