Il s’agit d’articles publiés dans Le Monde pendant l’été 2023. Comment cinq guerres ont pris fin, et, plus original, comment une sixième a pu être évitée. Dans l’avant-propos, les auteurs indiquent que « si le président russe Vladimir Poutine n’avait pas décidé de lancer ses troupes à l’assaut de l’Ukraine au petit matin du 24 février 2022, cette enquête historique n’aurait sans doute jamais vu le jour ». Naissance d’un conflit qui couvait, certes, mais son déclenchement a sidéré bien du monde. Et puis, la guerre s’est installée. Et dure encore aujourd’hui. Alors, faire la paix ? Bien évidemment.

Jérôme Gautheret et Thomas Wieder sont allés explorer l’histoire. Cinq sorties de guerre : 1815, la défaite de Napoléon - 1871 : la France défaite par l’Allemagne - 1919 : le traité de Versailles – 1945 : la seconde guerre mondiale, et le procès de Nuremberg – 1995 : l’ex-Yougoslavie, les accords de Dayton. Je ne reprendrai pas point par point ces différentes sorties de guerres. Leur point commun : pas grand-chose. La paix, bien sûr. Mais quelle paix ?

De fait, il ne s’agit jamais des mêmes paix. En 1815, « le congrès de Vienne, qui est aussi la naissance du concert européen, a longtemps été considéré comme le triomphe de la diplomatie des cabinets contre la diplomatie des peuples ». Un constat bien concret : « Depuis la victoire de Wellington à Waterloo, la France et l’Angleterre ne se sont plus jamais fait la guerre. » (p. 36/37). Sauf au rugby…

En 1871, la France a payé le prix fort à l’Allemagne. La défaite est totale pour la France. Les conditions de l’armistice sont humiliantes. « Une paix terrible ». À l’étranger, on comprend vite que cette guerre franco-allemande n’est pas qu’un conflit entre deux pays, mais que ses conséquences intéressent toute l’Europe. La France déplace ses ambitions vers l’empire colonial. L’esprit de revanche est certes pour partie derrière le déclenchement de la guerre de 1914. Mais il sera surtout central à la fin de la première guerre mondiale,

En 1919, il s’agira de faire payer l’Allemagne. « C’était une mise en scène très élaborée et calculée pour humilier l’ennemi au maximum, écrira Edward House, conseiller diplomatique du président Wilson. » (p. 66). La galerie des Glaces à Versailles comme une vengeance contre l’empire allemand ? Sans doute. Mais les historiens s’accordent aussi pour dire que la guerre de 1939 fut aussi, très largement, la conséquence de la crise de 1929.

1945. Le nazisme aux oubliettes. Enfin, presque… Une réalité : du 18 octobre 1945 au 1er octobre 1946 se tient le tribunal militaire international de Nuremberg. Vingt-et-un dignitaires nazis sont jugés. Américains, Britanniques, Français et Soviétiques ont longuement débattu avant de signer les accords de Londres, qui comprennent les statuts du tribunal militaire international chargé de juger les grands criminels de guerre et définissent les crimes dont ils peuvent être inculpés. Il s’agit d’une première étape fondamentale dans la mise en œuvre d’une juridiction pénale internationale. Volodymyr Zelensky, le 4 mai 2023, fait référence au procès de Nuremberg pour réclamer la création d’un « tribunal spécial » chargé de juger le « crime d’agression » commis contre son pays par la Russie de Vladimir Poutine. Y aura-t-il un jour un procès ? Aujourd’hui, nul de le sait. La justice pour éviter la guerre ? Tout semble en place depuis 1945. Pourtant…

L’ex-Yougoslavie et les accords de Dayton en 1995 nous rappellent que la guerre en Europe ne s’est pas arrêtée en 1945. « En 2023, au matin du 11 juillet, comme tous les ans, une cérémonie commémorative s’est tenue au mémorial du massacre de Srebrenica, sur le site de Potočari, où se tenait l’ancienne base des casques bleus néerlandais. » (p. 126). Pour mémoire, 8 372 hommes et adolescents ont perdu la vie. Les Casques bleus de la Forpronu ne parviennent pas à empêcher les massacres. Des centaines de civils musulmans sont sans défense contre l’armée serbe. « Un pays, deux entités, trois peuples parlant peu ou prou la même langue, mais ne pratiquant pas la même religion. […] On savait bien que c’était trop compliqué. » (p. 124). Une paix fragile existe depuis en Bosnie-Herzégovine. Fragile, soumise à la pression constante des nationalistes serbes. Faire la paix ? Bien sûr. Les peuples en ont besoin. Une obligation pour sortir de la guerre.

Mais en 1992, au cœur des Alpes, la guerre de Bolzano n’a pas eu lieu. Bolzano ? Une petite ville (Haut-Adige pour les Italiens, Sud-Tyrol pour les Autrichiens) à la frontière nord de l’Italie. Saxons ou Latins, les habitants de ce petit territoire ? Après la première guerre mondiale, on italianise cette région, mais bien entendu, ça ne plaît pas à tout le monde. À la sortie de la deuxième guerre, en 1945, les alliés sont face à un choix impossible. Rattacher le sud-Tyrol à l’Autriche ? Impossible après la défaite du nazisme. L’Autriche est encore occupée par les alliés. Une solution de compromis émerge : accorder à la province une large autonomie, sans remettre en discussion la souveraineté italienne. Un accord est signé entre l’Italie et l’Autriche en 1946. En 1955, lorsque l’Autriche retrouve sa pleine souveraineté, la situation se tend. Un climat de quasi occupation militaire par Rome se met en place. Mais un homme, Silvio Magnago, joue intelligemment la carte régionale. Trieste plutôt que Rome. L’équilibre est fragile, mais la petite province perdue au cœur des Dolomites, qui avait tout pour devenir un enfer – Irlande du Nord, Kosovo – a trouvé la paix jusqu’à présent. « Les guerres évitées ne font pas de bruit, aussi les hommes qui parviennent à empêcher que le sang coule sont-ils souvent oubliés des livres d’histoire » (p. 129).

S’installer à Bolzano ? Pas nécessaire, évidemment. Par contre, pour faire la paix, le plus simple et le plus utile reste de ne pas faire la guerre. C’est notre credo à l’Observatoire des armements, et ce petit livre le confirme.

Jean-Michel Lacroûte