Résistances

Les réfractaires depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie (15ème partie • juillet-août 2024)

Mis à jour le 31 août 2024

Actions contre la guerre Antimilitarisme Guerres

Mise en ligne : Lundi 8 juillet 2024
Dernière modification : Vendredi 6 septembre 2024

Depuis octobre 2022, Guy Dechesne recense longuement les actes de désertion, d’insoumission, de désobéissance et d’exil posés pour refuser de combattre, les actions de désobéissance civiles pour entraver la guerre et les appuis que les réfractaires reçoivent tant dans les pays concernés qu’à l’étranger dans le prolongement d’un dossier paru dans le numéro 164-165 de « Damoclès ». Cette rubrique est rédigée à partir d’un suivi méticuleux des médias. 15ème épisode, juillet-août 2024.

Retrouvez les épisodes précédents dans la rubrique Résistances

Appel à la conscience

Un avocat d’Appel à la conscience détaille les méthodes pour éviter la conscription prévue à l’automne 2024. Il énumère d’autres organisations de soutien aux réfractaires : Avocats militaires, École des conscrits, Mouvement des objecteurs de conscience, Les mères des soldats de Saint-Pétersbourg, Première ligne et Traverser la forêt [1].

Les conscrits contre l’offensive ukrainienne

Des conscrits combattent contre l’offensive de la Russie par l’armée ukrainienne. Cette action est décidée illégalement en raison de l’insuffisance de la période d’entraînement. 8 000 signataires ont souscrit à une pétition à Vladimir Poutine : « En tant que mères de jeunes soldats, nous demandons que nos fils soient retirés des zones de guerre. Ils n’ont ni l’expérience nécessaire ni les armes appropriées. […] Nous vous implorons : sauvez la vie de ces soldats qui ne sont pas formés au combat. » En 2022 et 2023, Poutine avait déclaré que les conscrits ne participeraient pas aux combats [2].

Une journaliste du Figaro visite un lieu de détention de conscrits emprisonnés. L’un d’eux confie : « Dès qu’il y a eu les premiers tirs, le commandant a pris la voiture et s’est enfui sans nous. Maintenant, ils ont probablement dit à ma femme que je suis un déserteur pour ne pas payer de compensation. » Et l’invasion de l’Ukraine ? « C’était la décision de vieux en costume. Ils n’avaient rien à faire un jeudi. Et maintenant, ça fait deux ans que ça dure. », rit-il. Un autre, encerclé par les Ukrainiens, a tenté de se suicider. En se réveillant il a été surpris d’être soigné par ceux dont il craignait les tortures [3].

Désormais, les volontaires pour le front russe recevront l’équivalent de 50 000 euros annuels. Les autres redoutent une nouvelle mobilisation. Les plus nationalistes exigent, comme l’un d’eux, qu’elle inclue « tous les médias, toute la culture, toute l’éducation, tout le pouvoir, tous les oligarques et le peuple tout entier. »

Boris Nadejdine et Ekaterina Duntsova, qui avaient tenté de se présenter aux élections présidentielles, figurent parmi les bénévoles qui collectent l’aide pour les habitants des régions envahies par l’Ukraine. À Koursk, Duntsova apporte des vivres et des médicaments « Nous, partisans de la paix, avons collecté tout cela [4]. »

Artem Chapeye

Artem Chapeye, écrivain ukrainien et combattant volontaire, juge les Russes ordinaires : « Je ne les considère pas comme des victimes. Aujourd’hui, des civils russes occupent Marioupol. Ils sont complices des militaires et des politiques [5]. »

Biélorussie

Alexandre Loukachenko, le dictateur biélorusse, a accordé une interview à la chaîne de télévision Rossiya et a suggéré de « mettre fin à ce combat » et d’entamer des négociations. Il a déclaré que la « dénazification » de l’Ukraine était achevée [6].

Selon le projet de défense des droits de l’homme Viasna, au 28 août 2024, il y avait 1 368 prisonniers politiques en Biélorussie [7].

Un citoyen biélorusse et sa mère ont participé à des manifestations dans le pays en 2020 et, après le début des persécutions massives des manifestants, ils se sont rendus en Suède et y ont demandé l’asile. Ils ont indiqué qu’une procédure pénale avait été ouverte contre eux en Biélorussie et qu’ils craignaient d’être persécutés pour des raisons politiques.

Les demandes d’asile ont été rejetées il y a un an. Après que leurs appels ont été rejetés, les autorités suédoises ont expulsé les Biélorusses vers leur pays, annonce la radio suédoise. L’homme a été arrêté alors qu’il passait le contrôle des passeports. On ne sait pas ce qu’est devenue sa mère [8].

Ilia Iachine

Moins d’une semaine après l’échange de prisonniers dont il a bénéficié, Ilia Iachine s’est adressé à une foule de sympathisants dans un parc berlinois. Il a évoqué les prisonniers politiques russes et biélorusses. Il a souligné l’importance des courriers qui leur sont adressés. Lui-même en a reçu 30 000. Il a appelé chacun à ne pas cesser de communiquer avec ses proches et amis restés en Russie, y compris avec ceux qui soutiennent le gouvernement actuel. Il a demandé aux auditeurs de ne pas s’en prendre à un contradicteur qui criait. Elena Gordon, la mère de Vladimir Kara-Mourza, a aussi pris la parole [9].

Kevin Leak

Kevin Leak, 19 ans, faisait partie des seize prisonniers libérés par Moscou le 1er août 2024. Il était accusé injustement d’avoir transmis en Allemagne, son pays natal, des photos d’une unité militaire prises depuis sa fenêtre. Interviewé par Novaya Gazeta [10], il raconte : « Des gens m’ont écrit de presque toute la Russie. Ils ont écrit depuis différents pays, et cela a beaucoup aidé moralement. […] Mes camarades de classe ont cessé de communiquer avec moi après l’affaire pénale. Après que l’école a découvert que j’étais en prison, ils ont organisé une réunion de parents et ont averti tout le monde de ne pas correspondre avec moi ni de me contacter de quelque manière que ce soit. […]
Dans la première cellule, […] il n’y avait pas de place là-bas - je dormais sur un matelas posé par terre. Et dans la seconde, j’ai été battu. Tout a commencé quand l’un des prisonniers - Ali Mirzoev, reconnu coupable de meurtre - est revenu de prison et a commencé à exiger que j’avoue tout, en me demandant pourquoi j’avais pris les photos, à qui je les avais envoyées et qui étaient mes complices. »

Mines

Le Japon, en collaboration avec le Cambodge, effectuera des travaux de déminage sur le territoire ukrainien. C’est ce qu’a annoncé la ministre japonaise des affaires étrangères, Yoko Kamikawa, lors de sa visite à Phnom Penh. Comme l’a fait remarquer M. Kamikawa, un pays qui a vécu une telle expérience sera en mesure d’apporter une contribution significative au déminage de l’Ukraine. Le Cambodge est considéré comme l’un des leaders mondiaux en matière de technologie de déminage. Après 30 ans de guerre civile, des millions de mines subsistent au Cambodge. Depuis 1998, le pays collabore avec le Japon pour nettoyer son territoire. L’Ukraine est le pays le plus miné au monde, dépassant l’Afghanistan et la Syrie (données du groupe de réflexion international Globsec). Près d’un tiers du territoire ukrainien (174 000 kilomètres carrés) est considéré comme miné [11].

GNL

Depuis plus d’un an, une coalition d’organisations en Belgique, menée par Vredesactie (Action pour la paix), demande la fin des importations et des transbordements de gaz naturel liquéfié (GNL) dans le port de Zeebrugge. Après deux mois d’âpres discussions, un accord a été trouvé le 20 juin 2024 entre les 27 ambassadeurs auprès de l’Union européenne. Il devrait contenir des dispositions visant à empêcher certaines entreprises de contourner les sanctions en utilisant des filiales dans des pays tiers. Les exportations de biens technologiques civils et militaires à double usage seront également visées et une centaine de nouveaux noms devraient s’ajouter à la liste des personnes et entités sanctionnées [12].

Le prix des œufs

Responsable de la diaspora ouzbèke Vatandoch à Moscou, Oussman Baratov a publié sur un réseau social un dessin à propos de l’augmentation du prix des œufs : Des poules en colère caquettent : « Que dalle ! Vous n’aurez pas un œuf ! Faites revenir les coqs du front ! ». Il a été condamné à quatre ans de prison pour « incitation à la haine » à l’égard des participants à l’opération russe en Ukraine [13].

Invasion militaire de l’Ukraine en Russie

Le Comité anti-guerre de Russie, fondé par l’opposition et des personnalités publiques en exil, a publié une déclaration sur l’offensive de l’armée ukrainienne dans la région de Koursk.

« Nous considérons cette mesure comme l’exercice par l’Ukraine de son droit à l’autodéfense et à des actions de réponse dans le contexte de l’invasion à grande échelle d’un État souverain par les troupes de Poutine. »

Le comité regrette que des citoyens russes aient été blessés lors des combats dans la région de Koursk et a appelé les forces armées ukrainiennes à se conformer à la Convention de Genève et à « faire tout leur possible pour limiter les dommages causés aux non-combattants » [14].

Diplomatie

Dans une interview, Volodymyr Zelensky déclare : « J’estime qu’il ne faut pas libérer tous nos territoires par la force et par les armes, car cela nous coûte beaucoup de temps et de vies humaines. C’est pourquoi je pense que nous pouvons récupérer nos territoires par la voie diplomatique [15]. »

Échange de prisonniers

La Turquie a coordonné à Ankara un échange de vingt-six personnes dont vingt-quatre prisonniers entre la Russie et plusieurs pays occidentaux. Parmi ces personnes figurent le journaliste américain Evan Gershkovich, l’Américain Paul Whelan, accusé d’espionnage, la journaliste russo-américaine Alsu Kourmasheva et les opposants Vladimir Kara-Mourza, Liliya Chanysheva, Oleg Orlov, Alexandra (Sasha) Skotchilenko, Ksenia Fadeïeva, Andrei Pivovarov, Dieter Voronin, le Russo-Allemand Kevin Leak, German Moizhes, Vadim Ostanine et l’Allemand Patrick Shöbel, accusé de détention de bonbons à la marijuana.

Sept pays ont participé à l’échange : Russie, Biélorussie, États-Unis, Allemagne, Pologne, Slovénie et Norvège [16].

L’accord, négocié depuis plus d’un an, aurait dû inclure Alexeï Navalny s’il n’était décédé en prison [17].

Moscou a récupéré « des espions, des hackers et des criminels », observe El Mundo, cité par Courrier international [18].

Une conférence de presse a réuni quelques prisonniers échangés. L’homme politique partisan de la non-violence, Ilia Iachine a déclaré « Je me suis battu consciemment pour le droit de rester en Russie. Je considère ce qui s’est passé non pas comme un échange, mais comme une expulsion illégale du pays contre ma volonté. […] Nous ne devons pas exiger des échanges, mais rechercher une amnistie politique à grande échelle. Mais pour que cela se produise, il faut que la guerre en Ukraine prenne fin. » Il estime que la voix des opposants porte plus si elle s’exprime en Russie « et non depuis un café parisien » [19]. Il a refusé de signer une demande de grâce « car je ne considère pas qu’il me soit possible de m’adresser au président Poutine, que je considère comme un criminel de guerre, un tyran et un meurtrier. » Les agents du FSB l’ont convaincu que son retour en Russie empêcherait d’autres échanges [20].

Oleg Orlov a aussi refusé de rédiger une demande de grâce. « Je plaide non coupable. Pourquoi diable demanderais-je une grâce présidentielle alors que j’ai été emprisonné pour avoir exercé mes droits légaux à la liberté d’expression [21]. »

""Cela va certainement passer" est écrit sur le bracelet porté par Oleg Orlov pour maintenir son moral en prison"

Comme Iachine, il a évoqué les opposants encore incarcérés : Alexeï Gorinov, Igor Baryshnikov, Maria Ponoramenko, Mikhaïl Krieger, Daniel Kholodny et les avocats d’Alexeï Navalny, Alexeï Liptser et Vadim Kobzev.

"Vladimir Kara-Mourza et Ilia Iachine dans un hôpital de Coblence, le 2 août 2024. Kara-Mourza a perdu 25 kg en captivité."

Vladimir Kara-Mourza a été condamné à une peine de vingt-cinq ans. Comme il le rappelle « La dernière fois que des peines de 25 ans ont été prononcées contre des prisonniers politiques, c’était sous Staline. » Il a passé deux ans et quatre mois en prison dont onze mois en isolement ininterrompu. Interviewé, il explique : « La torture morale et psychologique peut être plus forte que la torture physique. Et je peux dire qu’un isolement complet de toute communication humaine est totalement insupportable. […] Nous avons autant besoin de communiquer les uns avec les autres que de manger, de boire et d’air. […] Vous perdez votre concentration, vos pensées commencent à s’embrouiller. […] Les livres […] étaient généralement impossibles à lire. Les lignes sont confuses. Vous lisez la page et ne comprenez pas ce qui y est écrit, vous la relisez, encore et encore. […] J’avais un gros avantage lorsque j’étais dans la colonie à régime spécial. […] Il y avait un pont pour les gardes, et des chats y venaient […] Les chats étaient mes seuls interlocuteurs dans cette prison. » Il a pu téléphoner une fois avec sa femme et deux fois avec ses trois enfants. Ceux-ci chronométraient leurs conversations de quinze minutes pour les partager équitablement. « Nos familles sont punies uniquement parce qu’elles sont des personnes proches de nous. »
« Souvent, les gens qui n’ont jamais été en prison imaginent les geôliers comme des sortes de méchants caricaturaux tirés des films. Mais la grande majorité […] sont tout à fait normaux. Et cela est également terrible, car le mal dans notre monde est commis par des gens ordinaires qui exécutent des ordres et, comme on dit, "rien de personnel". »
« Je dis toujours et je ne me lasse pas de le répéter : écrivez aux prisonniers politiques. […] Mais vous n’en avez aucune idée, les mots ne peuvent pas décrire la quantité de lumière et de chaleur contenue dans ce petit morceau de papier. »

"Evgenia, Vladimir Kara-Mourza et leurs enfants à Bonn, le 4 août 2024. Photo sur la page du compte d’Evegenia Kara-Mourza du réseau social X"

« Lorsque l’avion a décollé, mon officier du FSB m’a dit : "Regardez par la fenêtre, c’est la dernière fois que vous verrez votre patrie." J’ai ri : "Je suis historien de formation et je ne me contente pas de penser ou de croire, je sais avec certitude que je reviendrai. Et ce sera bien plus tôt que vous ne le pensez [22]." »

La politiste Marie Mendras termine ainsi une tribune dans Le Monde : « Les opposants libérés sont des personnalités hors du commun, d’une éducation et d’une intelligence exceptionnelles, et qui ont risqué leur vie pour leur pays. Libres, ils vont renforcer les rangs de la résistance à l’étranger et l’organiser. Il est temps qu’une représentation de la résistance russe, reconnue par tous les États démocratiques, offre des perspectives pour la Russie après Poutine [23] »

Grève de la faim

Le pianiste Pavel Koushnir est décédé dans un centre de détention provisoire à Birobidjan après une grève de la faim et de la soif. Il a été arrêté à cause d’une vidéo contre la guerre et contre Poutine [24]. Ni ses avocats, ni ses proches, ni ses amis, qui ignoraient généralement même son arrestation, n’ont signalé sa grève de la faim [25]. Son décès a été annoncé par Olga Romanova, fondatrice de l’ONG La Russie en prison, informée par ses codétenus.

Pavel Koushnir s’est mobilisé dès 2014 contre l’annexion de la Crimée. Il publiait des tracts et collait des affiches, raconte son amie Olga sur Radio Svoboda. Elle a lu une lettre qu’il lui avait écrite : « Cette guerre scélérate que Poutine mène en notre nom est un défi à ma conscience, à mes valeurs, à tout ce qu’il y a de meilleur en moi [26]. »

Maria Andreïeva

Maria Andreïeva, figure de proue, en Russie, du mouvement féminin Retour à la maison qui réclame la démobilisation des époux et des fils des manifestantes, a annoncé mettre fin à son combat, après avoir été déclarée « agente de l’étranger » par les autorités et avoir, de ce fait, perdu son travail [27].

Enterrés avec les honneurs militaires mais bien vivants

Des dizaines de soldats russes prisonniers en Ukraine sont déclarés « tombés au combat » et même « enterrés avec les honneurs militaires » dans des cercueils plombés. Vajnye Istorii (Histoires importantes) a trouvé 64 cas figurant sur des listes ukrainiennes de prisonniers [28].

Économie russe

Chaque mois, 10 000 à 30 000 Russes en âge de travailler s’engagent sur le front. 490 000 contrats ont été signés en 2023. La solde peut s’élever jusqu’à 60 000 dollars, contre 30 333 dollars pour un soldat britannique.

Le secteur de la défense manque d’environ 160 000 spécialistes. 650 000 Russes auraient fui le pays. La tech a perdu entre 50 000 et 70 000 employés. Après l’attaque terroriste de mars 2024, les flux de migrants d’Asie centrale, sujets à des contrôles plus stricts, sont au plus bas. Les offres d’emplois adressées aux pays africains augmentent. Les fonds publics sont engloutis sur le front [29].

Soldates ukrainiennes

L’armée ukrainienne compte plus de 7 000 officières, près de 12 000 sous - officières, 23 000 soldates et 1 300 cadettes. Sept prisonnières se sont enrôlées en échange d’une libération conditionnelle [30]. Environ 4 000 femmes participent aux combats. L’une d’elles dirige une unité de sapeurs. Elle explique : « Notre terre est minée à une densité inimaginable, mais je ne démine pas. Au contraire ! Il faut défendre notre sol aujourd’hui, donc il faut miner, piéger, démolir l’ennemi ! » Elle poursuit « J’ai un mal fou à encaisser les pertes, morts et blessés. […] C’est dur, mais je dois faire bonne figure pour motiver les nouveaux. Si je montre mes larmes, ça va faire des dégâts sur le moral ! »

Elle voit parfois des hommes craquer. « Certains s’effondrent moralement parce qu’ils ont le sentiment que leur épouse démarre une autre vie à l’étranger. Ils commencent à douter d’eux-mêmes, à se torturer avec des questions d’infidélité réelle ou supposée. Je dois les aider à surmonter leurs tourments et endosser un rôle de psychologue. »

Elle est hostile à la mobilisation forcée à cause de la fragilité psychologique qu’elle observe chez beaucoup d’hommes. « J’en vois arriver qui se bourrent de sédatifs pour surmonter leur panique. Je dois m’occuper d’eux, les calmer, les former, ce qui me prend beaucoup d’énergie et me détourne de mes tâches essentielles. »

Elle ne comprend pas qu’on lui fasse des remarques sur ses ongles longs et soignés. « Si je suis tuée, je mourrai en beauté [31] ! »

Manifestation féminine à Moscou

Parfois avec de jeunes enfants, une dizaine de femmes ou de mères de militaires russes mobilisés en Ukraine se sont rassemblées, le 8 juillet 2024, devant le ministère de la Défense, à Moscou, pour réclamer leur retour du front, comme elles l’avaient déjà fait début juin. Elles étaient prêtes à camper sur place pour être reçues. Un représentant du ministère leur a « proposé des aides sociales, donc rien de nouveau ni d’intéressant », a estimé l’une d’elles [32].

Citoyens d’honneur

La mairie de Paris a décerné le titre de citoyens d’honneur de la ville au militant des droits de l’Homme Oleg Orlov et à l’homme politique Ilia Iachine, tous les deux emprisonnés. « Le courage face à la répression du régime Poutine mérite reconnaissance et soutien. En tant que capitale des droits de l’homme, nous réaffirmons notre solidarité avec la société civile russe qui résiste courageusement à l’autoritarisme et à la guerre en Ukraine [33]. »

Condamnation pour le contournement des sanctions contre la Russie

Le Tribunal régional suprême de Stuttgart a condamné un homme d’affaires du Land de la Sarre à six ans et neuf mois de prison pour avoir fourni des composants à la Russie en contournant les sanctions. De nationalité russo-allemande, il commercialisait des produits électroniques depuis plus de 15 ans. De janvier 2020 à mai 2023, il a vendu plus de 120 000 pièces à des entreprises russes liées à la production d’équipements militaires, dont le drone Orlan-10. Waldemar Weirich est membre du parti La Gauche, qui organise notamment des marches contre les livraisons d’armes à l’Ukraine [34].

Le retour du front des anciens prisonniers russes

Un vétéran de Wagner a dispensé dans une école des cours de patriotisme. Il avait été condamné pour incitation d’adolescents au suicide en grimpant sur les toits ou en affrontant un train en marche.

Après la milice Wagner, les prisonniers sont recrutés par les détachements « Storm Z » du ministère de la Défense [35]. Depuis l’été 2003, les contrats des prisonniers ont été allongés à un an. Ils sont automatiquement renouvelables tant que durera l’opération spéciale. Les poursuites pénales ne peuvent être annulées que si le combattant reçoit une décoration d’État, ou s’il est démobilisé. En avril 2024, 60 000 prisonniers ont été envoyés sur le front. Olga Romanova, fondatrice de l’ONG « La Russie derrière les barreaux » avance le nombre de 150 000 prisonniers sortis de prison depuis le début de la guerre. Elle considère que personne n’avait envisagé les meurtres commis par les délinquants de retour du front. « Dans l’esprit des recruteurs, les anciens prisonniers ne devaient jamais retourner sur le territoire russe. Ils devaient soit mourir sur le front, ou rester dans les territoires occupés. » ; « Le tueur peut être attrapé sur le cadavre encore chaud de sa victime et envoyé sur le front, sans même passer par la case arrestation, il n’a qu’à manifester son souhait de combattre. » L’affaire est clôturée. Il n’en reste aucune trace. Plusieurs dizaines d’anciens prisonniers ont parcouru le circuit trois fois.

Vladislav Kanius, pendant plus de trois heures, a infligé 56 coups de couteau à son ancienne amie puis l’a étranglée. Condamné à dix-sept ans de colonie pénitentiaire, il a été recruté par Prigojine puis gracié. Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin avait invoqué le « rachat du crime sur le champ de bataille par le sang, dans les brigades d’assaut, sous les balles et les obus. » Mari Davtyan, avocat spécialisé dans les violences domestiques, gronde : « Du point de vue du pouvoir, ils se battent dans une guerre sacrée pour défendre la sainte Russie. Alors que toutes ces bonnes femmes, ce n’est rien [36]… »

Répression en Russie

Le 19 juillet 2024, le journaliste du Wall Street Journal, Evan Gershkovitch a été condamné à seize ans de colonie pénitentiaire pour espionnage. La Russie semble se constituer une réserve de prisonniers occidentaux à échanger.

Tatiana Laletina, une jeune artiste sibérienne, risquait jusqu’à 20 ans de prison pour une modeste aide financière à une œuvre de charité ukrainienne, une trahison d’État. « Hourra, ils ne m’ont donné "que" 9 ans ! » a-t-elle écrit à une amie. Ksenia Karelina, une ballerine russo-américaine, encourt le même risque. Revenue visiter sa famille russe, elle a été arrêtée pour un virement de cinquante dollars à une organisation pro-ukrainienne. Elle est jugée à huis clos.

Binationale aussi, la journaliste Alsu Kurmasheva, a recueilli des témoignages de Russes antiguerre pour un livre édité par Radio Liberty : Six ans et demi de colonie pénitentiaire.

Des soutiens de l’organisation de feu Alexeï Navalny passent aussi plusieurs années derrière les barreaux [37].

Poésie

Gennady Rakitine a publié sur VKontakte des poèmes sur la guerre, les soldats morts, la patrie, la Russie et le leader du peuple. Le tout agrémenté de photos de Vladimir Poutine. Gennady Rakitine comptait, parmi ses nombreux abonnés, 95 députés à la Douma d’État et 28 sénateurs.

Début juin 2024, Rakitine a reçu un diplôme du 18ème Concours panrusse de poésie patriotique organisé par l’Union des écrivains professionnels. Un de ses poèmes a été inclus dans la sélection de poésie militaire dans les matériaux pour les élèves. Plusieurs chaînes ont reproduit d’autres textes.

Le diplôme décerné à Rakitine

Le journaliste Andreï Zakharov a révélé que l’œuvre du poète était traduite d’auteurs allemands à la gloire du nazisme et d’Adolf Hitler. La photographie du prétendu auteur a été créée par intelligence artificielle. Le canular a été monté par un groupe opposé à la guerre [38].

Photographie

Maxim Dondyuk est un photographe ukrainien publié par Time, Der Spiegel, The New Yorker et bien d’autres publications. Il a obtenu de très nombreux prix et récompenses. Liliya Yapparova l’a interviewé pour Meduza [39].

« Il y a des photographes qui parcourent le monde à la recherche de conflits armés. Cela m’est étranger et incompréhensible. Je prends des photos pour exprimer ma haine de la guerre. […]
J’ai vu pour la première fois les corps en décomposition de soldats russes. Enflés, pourris. Et j’ai réalisé que c’était tout ce qu’ils avaient accompli : que leurs mères ne pourraient même pas les enterrer. Je n’oublierai jamais cette odeur.
C’est à ce moment-là que je suis devenu farouchement anti-guerre. Je crois que chaque jour de conflit est la pire chose qui puisse arriver dans la vie. Et pour les deux côtés. Je suis prêt à risquer ma vie et même à mourir en documentant ce qui se passe. Mais je ne pourrai jamais tuer quelqu’un. Je ne comprends tout simplement pas comment une personne peut vivre avec le sentiment d’avoir tué quelqu’un. Vous pouvez me traiter de pacifiste ou comme vous voulez. […]
J’ai filmé à l’hôpital pour enfants d’Okhmatdit. Il y a eu un enfant blessé par la Russie. Une roquette a touché la voiture de sa famille : son père, sa mère et sa sœur ont été tués sur le coup, et le garçon a été emmené aux soins intensifs. À l’hôpital, ils l’appelaient simplement "Patient inconnu n° 1" parce que personne ne connaissait son nom. J’ai pris une ou deux photos de lui allongé comme un petit Jésus, les bras tendus. Le matin, il est mort. Ensuite, sa grand-mère a été retrouvée et a dit qu’il s’appelait Semyon. […]
Un éclat d’obus m’a touché à l’épaule. Les objets volaient et explosaient constamment.
Je comprends la haine des Ukrainiens envers la Russie lorsque cela se produit. Mais quand on commence à jouir de la mort d’un autre peuple, c’est déjà un problème psychologique. Si une personne au petit-déjeuner peut voir quelqu’un se faire tuer et se réjouir, ce n’est pas normal. »

Maxim Dondyuk a photographié Volodymyr Zelenski pour le magazine Time. « Une seule personne ne peut pas toujours contrôler tout ce qui se passe. Aujourd’hui, la corruption est endémique dans le pays et soit il ne voit pas le problème, soit il en fait partie. J’essaie de croire qu’il ne voit tout simplement pas. […]
Désormais, tous les documentaristes et journalistes indépendants, dont beaucoup filment la guerre depuis 2014, n’ont aucune possibilité de travailler. On ne nous donne pas accès. Dans le même temps, il y a des journalistes et des blogueurs qui se sont retrouvés dans le pool [constitué par les attachés de presse des forces armées ukrainiennes] et qui voyagent partout, même si certains d’entre eux n’ont aucune expérience ni aucune compréhension de l’éthique de la photographie militaire.
Ces personnes font partie de la propagande ukrainienne. […]
Aujourd’hui, la démocratie est passée au second plan et l’administration présidentielle contrôle tous les événements dans le pays. Une censure accrue se produit dans n’importe quelle guerre et dans n’importe quel pays. […]
C’était étonnant que la moitié des soldats qui vivaient avec nous se soient retrouvés au front parce qu’ils avaient été simplement capturés dans la rue. Ce genre de mobilisation a lieu. Il était étonnant que beaucoup se retrouvent en première ligne sans pratiquement aucune formation et combattaient avec presque aucun équipement. […]
Il y a eu des menaces, il y a eu des demandes de retrait du matériel. Ils m’ont demandé de faire pression sur le magazine. Le New Yorker lui-même a également été contacté de manière informelle. […] En général, nous avons réalisé que les plus hauts dirigeants sont non seulement mécontents, mais furieux de notre article. […] Il est fort probable que quelqu’un au pouvoir ne s’intéresse pas à la liberté d’expression. Ou a peur. Ou est tout simplement trop stupide pour comprendre que notre travail aide réellement l’Ukraine. La corruption actuelle, en temps de guerre, conduit littéralement à la mort des gens. Les gens sont emmenés illégalement et les commissaires militaires s’achètent des villas. Je ne comprends pas la formule "la guerre n’est pas le moment de la critique".
Il m’est devenu impossible de continuer à travailler en Ukraine. Après m’avoir appelé à plusieurs reprises avec des menaces, j’ai commencé à donner des interviews sur la censure et, semble-t-il, depuis lors, je suis sur une sorte de "liste noire". Je n’ai pas d’accréditation [du service de presse militaire]. Ils m’ont appelé au SBU, je n’ai toujours pas bien compris pourquoi, "juste pour parler". Je n’avais pas le droit d’aller à l’étranger […]. J’ai l’impression que le pays n’a absolument pas besoin de moi. Et tout ce que je fais, de leur point de vue, interfère avec l’Ukraine. »

Tortures

Deux échanges de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie ont eu lieu en mai et en juin 2024.

La Mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine (HRMMU) de l’ONU a rencontré environ 600 des 3 300 prisonniers de guerre ukrainiens. Elle rapporte : « Chaque prisonnier interrogé a rendu compte de cas de torture, de coups brutaux, de positions de stress prolongées, de décharges électriques sur les parties génitales et d’attaques de chiens. » Elle dénonce « la faim constante et l’absence de soins médicaux appropriés ».

Les prisonniers relatent au Monde [40] les tabassages systématiques, la terre et les insectes dans la nourriture, des pommes de terre pourries. L’un d’eux a eu « l’impression de pourrir vivant ». Un autre a subi un AVC mais les tortures ont continué. Avant l’échange les détenus ont reçu une crème de soin pour leurs plaies. « Si quelqu’un avait trop de traces de torture, il n’était pas échangé. »

Pour des vidéos de propagande, « Ils sélectionnaient quelques prisonniers auxquels ils donnaient des vêtements propres et ils les filmaient recevant des colis de la Croix-Rouge. C’était de faux colis, avec des déchets dedans. »

Le HRMMU fait aussi état de mauvais traitements infligés aux prisonniers russes pendant leur évacuation du champ de bataille mais pas après leur arrivée sur les lieux de détention.

« L’Équipe contre la torture » a publié, fin juin 2024, le livre Anatomie de la décomposition, un vaste aperçu socio-juridique et historique de la façon dont le système juridique russe s’est désintégré au cours des vingt-cinq dernières années, comment les droits de l’Homme, qui dans les années 2000 étaient encore à l’ordre du jour, sont devenus pratiquement nuls, comment les tribunaux ont perdu leur indépendance et comment la torture s’est généralisée.

En 1998, la Russie a signé et ratifié la Convention européenne contre la torture et est devenue membre du Conseil de l’Europe. C’était l’apogée de l’État de droit et des droits de l’Homme, mais ce sommet est aussi devenu le début de l’effondrement.

La Russie s’est retirée de la Cour européenne le 15 mars 2022, peu après l’invasion de l’Ukraine.

Olga Sadovskaya, co-rédactrice du livre, raconte comment un juge, qui a refusé une condamnation, a subi des inspections. Ses jugements précédents ont été vérifiés par d’autres juges et presque tous annulés et il a été déclassé [41].

Natalia Taranushenko

Le ministère de l’Intérieur a inscrit sur la liste des personnes recherchées Natalia Taranushenko, professeur de langue et littérature russes, contre laquelle une affaire pénale a été ouverte pour « fausses nouvelles » concernant l’armée. Au cours d’une leçon, l’enseignante a parlé aux élèves des crimes de l’armée russe à Boutcha, leur a montré plusieurs vidéos des médias ukrainiens et a qualifié l’invasion russe de l’Ukraine de violation du droit international. Deux parents d’élèves l’ont dénoncée. Elle a quitté la Russie [42].

Satan, sujet brûlant

La Douma, la Chambre basse du Parlement russe, s’est penchée, le 1er juillet 2024, sur un thème de société jugé brûlant : la lutte contre le satanisme. Le député Chamanov, ex-commandant des forces russes pendant les deux guerres de Tchétchénie, présidait la réunion. « Les phénomènes infernaux se multiplient et menacent directement la sécurité nationale », s’est alarmée la députée Timofeeva. Une liste a été dressée : les personnes LGBT, les défenseurs du droit à l’avortement, les membres de l’unité Azov des forces armées ukrainiennes, Meta (Facebook)… « Le personnel militaire russe trouve des objets sataniques dans les tranchées. » « À huit reprises déjà, les forces occultes ont empêché la Douma d’adopter une loi contre ce mal », s’épouvante la députée.

L’éducation patriotique doit être renforcée, ont estimé les participants, notamment à travers les cours dispensés dans les écoles et les collèges par des contractuels de retour du front [43].

Déclaration pour une paix populaire

Une déclaration commune d’organisations éco socialistes, libertaires, féministes, écologistes et de groupes en solidarité avec la résistance ukrainienne et pour une reconstruction sociale et écologique autodéterminée de l’Ukraine a été publiée. Extraits :

La réalisation d’une paix socialement juste et écologiquement durable exige le retrait inconditionnel et complet des forces d’occupation russes de l’Ukraine et le retour de l’ensemble du territoire dans ses frontières internationalement reconnues.
La Russie détruit systématiquement les villes, les infrastructures et l’environnement pour démoraliser la population et déclencher une grande vague de réfugiés. Contre cette terreur quotidienne, nous exigeons que les gouvernements « occidentaux » soutiennent l’Ukraine dans la protection de sa population et de ses infrastructures contre les bombardements et les attaques de missiles par la puissance d’occupation russe. Nous sommes favorables à un soutien humanitaire, économique et militaire massif des États riches d’Europe en faveur de l’Ukraine. La population ukrainienne a besoin de toute urgence d’être protégée des bombes et des roquettes russes.
Nous nous opposons aux tentatives des gouvernements « occidentaux », des représentants de l’OTAN et de l’UE de faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle fasse des concessions massives à la puissance occupante russe. Nous nous opposons à l’idée que l’Ukraine doive céder plusieurs millions de concitoyens au régime de Poutine. C’est au peuple ukrainien de décider comment faire face à cette situation atroce d’occupation permanente, voire croissante. Nous soutenons la résistance armée et non armée des Ukrainiens contre la puissance occupante russe.
Nous demandons que tous les Russes qui refusent le service militaire bénéficient d’un statut de résident sûr dans les pays d’Europe et d’Amérique du Nord. La désertion massive est importante pour affaiblir la machine de guerre russe.
Nous soutenons la lutte politique des syndicats ukrainiens, des organisations de femmes et des initiatives environnementales contre les politiques néolibérales anti-ouvrières du gouvernement du président Volodymyr Zelensky. Ces politiques sapent la défense socialement étendue de l’Ukraine contre l’occupation russe et rendent impossible une reconstruction socialement juste et écologiquement durable.
Nous sommes solidaires du mouvement anti- guerre, de l’opposition démocratique et des luttes ouvrières indépendantes en Russie. Nous sommes également solidaires des nationalités opprimées en Russie qui souffrent particulièrement de la guerre et luttent pour leur autodétermination. C’est leur jeunesse qui est exploitée comme chair à canon par le régime de Poutine. Ces mouvements sont déterminants pour parvenir à une paix juste et à une Russie démocratique.
La Russie a emprisonné de nombreuses personnes originaires d’Ukraine en tant que prisonniers politiques. Beaucoup ont été condamnés à des décennies de prison et de camps pénitentiaires. Nous exigeons leur libération inconditionnelle. Nous exigeons que la Croix-Rouge internationale soit autorisée à maintenir un contact régulier avec tous les prisonniers de guerre. La libération des prisonniers de guerre est une condition préalable à toute paix juste.
La Russie doit payer des réparations au peuple ukrainien. Les oligarques de Russie et d’Ukraine doivent être expropriés. Leurs biens doivent être mis à disposition pour la reconstruction de l’Ukraine et, après la chute du régime de Poutine, du développement démocratique de la Russie.
[…] La reconstruction doit se faire sous le contrôle démocratique de la population, des syndicats, des initiatives environnementales, des organisations féministes et des quartiers organisés dans les villes et les villages.
Nous nous opposons à tous les projets des gouvernements européens et nord-américains, des organisations internationales, qui visent à imposer un programme économique néolibéral au peuple ukrainien. Cela prolongerait et aggraverait la pauvreté et la souffrance. Nous dénonçons également tous les efforts visant à vendre les biens et les actifs de la population ukrainienne à des sociétés étrangères. La récupération et la réorganisation de l’agriculture, de l’industrie, des systèmes énergétiques et de l’ensemble de l’infrastructure sociale doivent servir à la transformation socio écologique de l’Ukraine, et non à la fourniture de main- d’œuvre, de céréales et d’hydrogène bon marché aux pays d’Europe de l’Ouest.
Un soutien militaire efficace de l’Ukraine ne nécessite pas une nouvelle vague d’armements. Nous nous opposons aux programmes de réarmement de l’OTAN et aux exportations d’armes vers des pays tiers. Au contraire, les pays d’Europe et d’Amérique du Nord doivent fournir, à partir de leurs énormes arsenaux existants, les armes qui aideront l’Ukraine à se défendre efficacement. En ce sens, nous demandons que l’industrie de l’armement ne serve pas au profit du capital. Au contraire, nous voulons travailler à l’appropriation sociale de l’industrie de l’armement. Cette industrie doit servir les intérêts immédiats de l’Ukraine. En même temps, pour des raisons écologiques sociales et urgentes, nous soulignons l’impératif de convertir démocratiquement l’industrie de l’armement en une production socialement utile à l’échelle mondiale.
Nous voulons lancer un débat sur une réorganisation radicale de l’Europe. Nous voulons contribuer à développer une perspective européenne commune pour des réformes socio écologiques radicales et ultérieurement pour une transformation éco socialiste fondamentale de l’ensemble du continent européen dans la solidarité mondiale. Dans ce cadre, nous soutenons la volonté du peuple ukrainien d’adhérer à l’UE, même si nous rejetons les fondations néolibérales de l’UE qui appauvrissent des millions de personnes et favorisent un développement inégal en Europe. Nous prenons la perspective d’une adhésion de plusieurs pays d’Europe de l’Est et du Sud-Est comme une occasion de réfléchir ensemble à la manière dont un changement socio écologique radical peut être initié dans toute l’Europe, notamment par une stratégie énergétique commune, une reconversion industrielle écologique, des systèmes de retraite par répartition, une réglementation sociale du travail, une politique migratoire solidaire, des paiements de transferts interrégionaux et une sécurité militaire accompagnée d’une reconversion de l’industrie de l’armement. Les forces syndicales, féministes, écologiques, antiautoritaires et socialistes d’Europe de l’Est devraient jouer un rôle important dans ce débat.

Cette déclaration a été lancée conjointement par Sotsialnyi Rukh en Ukraine, Posle Media Collective en Russie, Bewegung für den Sozialismus / Mouvement pour le Socialisme et solidaritéS - mouvement anticapitaliste, féministe, éco socialiste en Suisse, Emanzipation - Zeitschrift für ökosozialistische Strategie (DE, AT, CH). Juin 2024 [44].

Contre la guerre et le libéralisme

Alors que la guerre et la survie économique absorbent l’attention de la population, « un démantèlement à bas bruit des droits sociaux se poursuit », alertait Le Monde diplomatique de novembre 2023. En mars 2022 déjà, un premier projet de loi visait la réglementation des relations de travail en temps de guerre. Ce projet a été adopté sans débat ni vote par le Parlement ukrainien. « Une méthode, explique Mediapart (21 juin 2023), facilitée par l’interdiction des grèves et des manifestations par la loi martiale, en vigueur depuis l’invasion russe. » Les employeurs peuvent désormais augmenter le temps de travail hebdomadaire de 40 à 60 heures, licencier leurs employé∙es dans un délai de dix jours ou suspendre temporairement leurs contrats de travail. En juillet 2022, les parlementaires votaient un second projet de texte suspendant les accords collectifs d’entreprise et donnaient à l’employeur toutes marges de manœuvre pour modifier unilatéralement les conditions de travail.

Alexander Rodnyansky, principal conseiller économique du président ukrainien, ne cache pas que l’Ukraine doit devenir attractive par « un vaste programme de privatisations et une remise à plat du droit du travail » (The Guardian, octobre 2022) [45].

Démocratie dans l’armée

Un projet de loi ukrainien prévoit de permettre aux unités militaires de déposer des réclamations collectives contre le commandant et d’exprimer sa méfiance. Une telle plainte doit être signée par au moins 60 % du personnel de l’unité. Elle devrait être examinée par la Commission interministérielle créée par le gouvernement. Lors de l’examen de la plainte par la commission, il est proposé que le commandant soit démis de ses fonctions [46].

LGBT

Malgré les menaces des missiles russes, les tentatives de contre-manifester de l’extrême droite nationaliste et la pluie battante, la marche LGBT pour l’égalité s’est déroulée dans une atmosphère combative et enthousiaste à Kyiv le dimanche 16 juin 2024. C’était la première marche LGBT dans la capitale depuis l’invasion russe.

On notait une présence importante de soldats, soldates et vétérans de guerre. L’invité d’honneur de la marche était le syndicat des militaires LGBT [47].

[2Aruzhan Yeraliyeva, « À Koursk, des conscrits russes en première ligne », Libération, 17 août 2024.

[3Clara Marchaud, « Paroles de conscrits capturés dans la région de Koursk », 27 août 2024.

[4Benjamin Quénelle, « À Moscou, la peur d’une nouvelle mobilisation », Le Monde, 20 août 2024.

[5Propos recueillis par Romain Gubert, « Faire la guerre, c’est se sauver soi-même », Le Point, 22 août 2024.

[6https://novayagazeta.ru/articles/2024/08/22/iaitsa-po-korzinam, publié et consulté le 22 août 2024.

[9Elizaveta Antonova, https://meduza.io/feature/2024/08/08/ya-budu-rabotat-tak-kak-esche-nikogda-v-zhizni-ne-rabotal, 8 août 2024, consulté le 9 août 2024.

[10Andrey Karev, https://novayagazeta.ru/articles/2024/08/14/seichas-ponimaiu-chto-vozmozhno-ne-vyzhil-by, publié et consulté le 14 août 2024.

[11Comité français du Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine, 7 juillet 2024.

[12Comité belge du Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine, 3 juillet 2024.

[15Stéphane Siohan, « Volodymyr Zelensky, "Je pense que nous pouvons récupérer nos territoires par la voie diplomatique" », Libération, 1er août 2024.

[17Julian Colling, « Vladimir Poutine accueille en libérateur les détenus relâchés par l’Occident », Le Figaro, 3 août 2024.

[19Julian Colling, « Entre Moscou et les Occidentaux, un échange de prisonniers spectaculaire », Le Figaro, 2 août 2024.

[21Kristina Safonova, https://meduza.io/feature/2024/08/03/glavnyy-vopros-u-nas-byl-gde-gorinov-gorinova-net, 3 août 2024, consulté le 4 août 2024.

[23« Vladimir Poutine a payé très cher le retour en Russie de ses espions », 7 août 2024..

[25Zoya Svetova, https://novayagazeta.ru/articles/2024/08/05/obmen-kak-pobeda-zhizni-nad-smertiu, publié et consulté le 5 août 2024.

[26Marie Jégo, « Russie : mort d’un pianiste antiguerre en prison », Le Monde, 7 août 2024.

[29Clara Galtier, « En manque de main-d’œuvre, la Russie recrute jusqu’en Afrique », Le Figaro, 7 août 2024.

[31Emmanuel Grynszpan, « Au Donbass, résister, un point c’est tout », Le Monde, 9 juillet 2024.

[35https://zona.media/article/2024/06/10/42174, 10 juin 2024, consulté le 11 juin 2024.

[36Veronika Dorman, « Russie, le retour du front meurtrier des tueurs recrutés en prison », Libération, 17 juillet 2024.

[37Romain Oriel, « En Russie, les procès pour "trahison" ou "espionnage" se multiplient », Le Figaro, 25 juillet 2024.

[40Rémy Ourdan, « Les Ukrainiens dans l’enfer des prisons russes », 2 juillet 2024.

[41Zoya Svetova, Vera Chelishcheva, https://novayagazeta.ru/articles/2024/07/06/utsenka-zhizni, publié et consulté le 6 juillet 2024.

[43Marie Jégo, « Satan et les "phénomènes infernaux" s’invitent au Parlement russe », Le Monde, 5 juillet 2024.

[44Brigades éditoriales de solidarité, « Une paix populaire, pas une paix impériale », Soutien à l’Ukraine résistante, n° 31, 24 juin 2024.

[45Yves Sancey, Brigades éditoriales de solidarité, « Syndicats contre guerre et libéralisme », Soutien à l’Ukraine résistante, n° 31, 24 juin 2024.

[46Brigades éditoriales de solidarité, « Syndicalisme aux armées », Soutien à l’Ukraine résistante, n° 31, 24 juin 2024.

[47Brigades éditoriales de solidarité, « Marche LGBT pour l’égalité à Kyiv », Soutien à l’Ukraine résistante, n° 31, 24 juin 2024.

Retrouvez la quatorzième partie de cette rubrique, juin 2024

Retrouvez la treizième partie de cette rubrique, avril-mai 2024

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