Armements nucléaires

Rôle prépondérant des armes nucléaires dans un contexte géopolitique qui se détériore – Parution du nouveau SIPRI Yearbook

Armes nucléaires Prolifération nucléaire

Mise en ligne : Dimanche 16 juin 2024
Dernière modification : Jeudi 20 juin 2024

Le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) a publié le 17 juin 2024 son évaluation annuelle de l’état des armements, du désarmement et de la sécurité internationale. L’une des principales conclusions du « SIPRI Yearbook 2024 » est que le nombre et les types d’armes nucléaires en cours de développement augmente à mesure que les États s’appuient davantage sur la dissuasion nucléaire.

Les arsenaux nucléaires se renforcent dans le monde

Les neuf États dotés de l’arme nucléaire – États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine, Inde, Pakistan, République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) et Israël – continuent de moderniser leurs arsenaux nucléaires et plusieurs d’entre eux ont déployé de nouveaux systèmes d’armes nucléaires ou à capacité nucléaire en 2023.

Sur le total de l’inventaire mondial soit 12 121 ogives nucléaires en janvier 2024, environ 9 585 ogives étaient mises en stocks militaires en vue d’une utilisation potentielle (voir le tableau ci-dessous). Environ 3 904 de ces ogives ont été déployées avec des missiles et des avions – 60 de plus qu’en janvier 2023 – et le reste a été stocké dans un entrepôt central. Environ 2 100 ogives déployées ont été maintenues en état d’alerte opérationnelle élevée sur des missiles balistiques. Presque toutes ces ogives appartiennent à la Russie ou aux États-Unis, mais pour la première fois, la Chine disposerait de certaines ogives en état d’alerte opérationnelle élevée.

« Alors que le nombre total d’ogives nucléaires mondiales continuait de diminuer à mesure que les armes datant de la guerre froide étaient progressivement démantelées, nous constatons malheureusement une augmentation d’année en année du nombre d’ogives nucléaires opérationnelles », souligne Dan Smith, directeur du SIPRI. « Cette tendance qui va probablement se poursuivre, voire s’accélérer, dans les années à venir est extrêmement préoccupante. »

L’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord recherchent la capacité de déployer plusieurs ogives nucléaires sur des missiles balistiques, ce que possèdent déjà la Russie, la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et, plus récemment, la Chine. Cela entraînerait potentiellement une augmentation rapide du nombre d’ogives déployées ainsi que la possibilité pour les pays dotés de l’arme nucléaire de menacer de destruction beaucoup plus de cibles.

La Russie et les États-Unis possèdent à eux seuls près de 90 % des armes nucléaires mondiales. La taille de leurs arsenaux militaires respectifs (c’est-à-dire les ogives utilisables) semble être restée relativement stable en 2023, même si l’on estime que la Russie a déployé environ 36 ogives de plus avec ses forces opérationnelles qu’en janvier 2023. Il y a de moins en moins de transparence sur les forces nucléaires de la part des deux pays depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, et les annonces publiques autour d’accords sur le partage nucléaire ont gagné en importance.

Ce fut le cas notamment en 2023, où plusieurs annonces faisaient état d’un déploiement d’armes nucléaires par la Russie sur le territoire biélorusse, alors qu’il n’existe aucune preuve visuelle concluante qu’un tel déploiement ait eu lieu.

En plus de leurs stocks militaires, la Russie et les États-Unis détiennent chacun plus de 1 200 ogives nucléaires retirées du service militaire qu’ils démantèlent progressivement.*

Forces nucléaires mondiales, janvier 2024

La taille de l’arsenal nucléaire de la Chine, estimée par le SIPRI, est passée de 410 ogives nucléaires en janvier 2023 à 500 en janvier 2024, et elle devrait continuer à croître. Pour la première fois, la Chine pourrait également déployer un petit nombre d’ogives nucléaires sur des missiles en temps de paix. Selon la manière dont elle décidera de structurer ses forces, la Chine pourrait potentiellement posséder au moins autant de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) que la Russie ou les États-Unis d’ici la fin de la décennie, même si son stock d’ogives nucléaires devrait rester bien plus restreint que le stock de l’un ou l’autre de ces deux pays.

« La Chine développe son arsenal nucléaire plus rapidement que n’importe quel autre pays », précise Hans M. Kristensen, chercheur principal associé au programme Armes de destruction massive du SIPRI et directeur du Nuclear Information Project à la Federation Of American Scientists (FAS). « Et dans presque tous les États dotés de l’arme nucléaire, l’augmentation des forces nucléaires est soit prévue soit actée. »

Bien que le Royaume-Uni ne semble pas avoir augmenté son arsenal d’armes nucléaires en 2023, son stock d’ogives nucléaires devrait augmenter à l’avenir conformément à l’annonce en 2021 du gouvernement britannique selon laquelle il prévoyait de passer de 225 à 260 ogives. Le gouvernement a également déclaré qu’il ne divulguerait plus publiquement ses quantités d’armes nucléaires, d’ogives nucléaires ou de missiles déployés.

En 2023, la France a poursuivi ses programmes de développement d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) de troisième génération et d’un nouveau missile de croisière à lancement aérien, ainsi que de remise à neuf et de modernisation des systèmes existants.

L’Inde a légèrement élargi son arsenal nucléaire en 2023. L’Inde et le Pakistan ont continué à développer de nouveaux types de vecteurs nucléaires en 2023. Même si le Pakistan reste le principal objectif de la dissuasion nucléaire indienne, l’Inde semble mettre de plus en plus l’accent sur les armes à plus longue portée, notamment celles capables d’atteindre des cibles dans toute la Chine.

La Corée du Nord continue de donner la priorité à son programme nucléaire militaire comme élément central de sa stratégie de sécurité nationale. Le SIPRI estime que le pays a désormais assemblé environ 50 ogives nucléaires et possède suffisamment de matières fissiles pour atteindre un total de 90 ogives nucléaires. Cela représente une augmentation significative du nombre d’ogives par rapport aux estimations de janvier 2023. Bien que la Corée du Nord n’ait procédé à aucun essai nucléaire en 2023, il semblerait qu’elle ait effectué son premier test de missile balistique à courte portée à partir d’un silo rudimentaire. Elle a également achevé le développement d’au moins deux types de missiles de croisière d’attaque terrestre (LACM) conçus pour transporter des armes nucléaires.

« Comme plusieurs autres États dotés de l’arme nucléaire, la Corée du Nord remet l’accent sur le développement de son arsenal d’armes nucléaires tactiques », précise Matt Korda, chercheur associé au programme Armes de destruction massive du SIPRI et chercheur principal au Nuclear Information Project à la Federation Of American Scientists (FAS). « Par conséquence, on craint de plus en plus que la Corée du Nord ait l’intention d’utiliser précocement ces armes lors d’un conflit. »

Il semblerait également qu’Israël - qui ne reconnaît pas publiquement posséder des armes nucléaires - modernise son arsenal nucléaire et procède à une mise à niveau de son réacteur nucléaire à Dimona.

Les tensions liées aux guerres en Ukraine et à Gaza mettent à mal la diplomatie nucléaire

La diplomatie du contrôle des armements nucléaires et du désarmement a subi plus de revers en 2023. En février 2023, la Russie a annoncé qu’elle suspendait sa participation au Traité de 2010 sur les mesures visant à réduire et à limiter davantage les armements stratégiques offensifs (New START) - le dernier traité en matière de contrôle des armements nucléaires limitant les forces nucléaires stratégiques russes et américaines. En guise de contre-mesure, les États-Unis ont également suspendu le partage et la publication des données liées à ce traité.

En novembre, la Russie a retiré sa ratification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), invoquant un « déséquilibre » avec les États-Unis qui n’ont toujours pas ratifié le traité depuis son ouverture à la signature en 1996. Cependant, la Russie a confirmé qu’elle resterait signataire et continuerait à participer aux travaux de l’Organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE). Dans le même temps, la Russie a continué à proférer des menaces concernant l’utilisation d’armes nucléaires face au soutien occidental à l’Ukraine. En mai 2024, la Russie a annoncé avoir débuté des exercices militaires sur l’utilisation d’armes nucléaires tactiques près de la frontière ukrainienne.

« On n’a jamais vu les armes nucléaires jouer un rôle aussi prépondérant dans les relations internationales depuis la guerre froide », souligne Wilfred Wan, directeur du programme Armes de destruction massive du SIPRI. « Il est difficile de croire qu’à peine deux ans auparavant les dirigeants des cinq plus grands États dotés de l’arme nucléaire (P5) ont réaffirmé conjointement qu’“une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée”. »

Un accord informel conclu entre l’Iran et les États-Unis en juin 2023 semble temporairement apaiser les tensions entre les deux pays qui s’étaient intensifiées suite au soutien militaire de l’Iran aux forces russes en Ukraine. Cependant, le début de la guerre entre Israël et le Hamas en octobre a bouleversé cet accord, les attaques par procuration de groupes soutenus par l’Iran contre les forces américaines en Irak et en Syrie mettant apparemment fin aux efforts diplomatiques irano-américains. La guerre a également sapé les efforts visant à impliquer Israël dans la Conférence sur la création au Moyen-Orient d’une zone exempte d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction.

Sur une note plus positive, la visite à Pékin en juin 2023 du secrétaire d’État américain Antony Blinken semble avoir accru l’espace de dialogue entre la Chine et les États-Unis sur une série de questions, y compris possiblement sur le contrôle des armements. Plus tard dans l’année, les deux parties ont convenu de reprendre les communications militaires.

Un péril grandissant pour la sécurité et la stabilité mondiales

La 55e édition du SIPRI Yearbook révèle la détérioration continue de la sécurité mondiale au cours de l’année écoulée. Les impacts de la guerre en Ukraine et à Gaza sont visibles dans presque tous les aspects liés aux armements, au désarmement et à la sécurité internationale, examinés dans l’annuaire. Au-delà de ces deux guerres, qui ont occupé une place centrale dans l’actualité mondiale, les échanges diplomatiques et la politique internationale - des conflits armés étaient en cours dans 50 autres États en 2023. Les combats en République démocratique du Congo et au Soudan ont entraîné le déplacement de millions de personnes, et le conflit a repris au Myanmar dans les derniers mois de 2023. Les gangs criminels armés ont constitué un problème de sécurité majeur dans certains États d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, conduisant notamment à l’effondrement effectif de l’État en Haïti en 2023 et en 2024.

« Nous vivons actuellement l’une des périodes les plus dangereuses de l’histoire de l’humanité », déclare Dan Smith, directeur du SIPRI. « Il existe de nombreuses sources d’instabilité : rivalités politiques, inégalités économiques, perturbations écologiques, course aux armements qui s’accélère. L’abîme nous fait signe et il est temps pour les grandes puissances de prendre du recul et de réfléchir. De préférence ensemble. »
En plus de la couverture détaillée habituelle des questions de contrôle des armements nucléaires, de désarmement et de non-prolifération, le SIPRI Yearbook présente des données et des analyses sur l’évolution des dépenses militaires mondiales ; les transferts internationaux d’armements et leur production ; les opérations de paix multilatérales ; les conflits armés et plus encore. Des sections spéciales du SIPRI Yearbook 2024 explorent la montée en puissance des entreprises militaires et de sécurité privées russes dans les conflits ; les efforts visant à réduire les risques pour la paix et la sécurité liés à l’intelligence artificielle, à l’espace extra-atmosphérique et au cyberespace ; et les questions liées à la protection des civils dans les guerres à Gaza et en Ukraine.

Traduction française : Aziza Riahi, Observatoire des armements

À l’attention des rédacteurs : le SIPRI Yearbook est un condensé d’informations pointues sur le développement des armements, le désarmement et la sécurité internationale. Trois grands ensembles de données du SIPRI Yearbook 2024 ont été publié — et traduit en français par l’Observatoire des armements — en 2023-24 » : Top 100 des entreprises d’armements (décembre 2023) ; Transferts internationaux d’armements (mars 2024) ; Dépenses militaires mondiales (avril 2024). Le SIPRI Yearbook est publié par Oxford University Press. Pour plus d’informations : www.sipriyearbook.org.

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