Il y a même, au début du livre, une courte incursion dans la Deuxième Guerre mondiale avec Marie-Madeleine Fourcade, une femme à la tête d’un réseau de Résistance. De fait, Camille Boutron, sociologue, chercheuse indépendante, se préoccupe des différentes formes d’engagement des femmes dans la violence armée.
Sa première recherche, la plus longue, concerne la participation des femmes au conflit armé qui a déchiré le Pérou dans les années 1980–1990. Cela a abouti à la soutenance de sa thèse en 2009. De nombreuses personnes avaient insisté sur l’importance des femmes engagées dans les guérillas pendant le conflit. Ces combattantes avaient une visibilité sans précédent dans l’histoire des guérillas péruviennes.
La deuxième enquête a débuté en 2015, à Bogota, en Colombie. L’auteure a cherché à comprendre quels étaient les rôles des femmes dans le cadre des négociations de paix entre la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et le gouvernement colombien. Il s’agissait particulièrement de décrypter la façon dont les combattantes tentaient de se faire entendre aussi bien des diverses institutions engagées dans les négociations que de leurs propres camarades de lutte.
À son retour en France en 2018, Camille Boutron investit un troisième terrain. Le ministère des armées, sous le mandat de Florence Parly, souhaite voir se développer les recherches sur la mixité dans les armées françaises. L’ONU est en train mettre en place un vaste programme multilatéral intitulé « Femmes, paix et sécurité », qui vise à mieux prendre en compte les femmes dans les questions relevant de la sécurité internationale. C’est dans ce cadre-là qu’elle s’intéresse à l’armée française, à la place des femmes dans cette armée régulière, que ce soit dans les Opex, ou dans la gestion quotidienne des armées.
« […] Pendant mes terrains comme lors de la rédaction de ce livre, j’ai cherché, à travers le prisme des combattantes, à porter un autre regard sur l’univers guerrier, qu’il s’agisse des mouvements révolutionnaires ou des armées professionnelles, en interrogeant systématiquement la place donnée aux femmes – ou la place qu’elles prennent. […] » (p. 18).
Au fil des pages, de nombreux itinéraires de combattantes accompagnent ces réflexions. Avec en toile de fond, souvent, pour ce qui concerne les luttes révolutionnaires menées au Pérou ou en Colombie, une réflexion sur la place des femmes vis-à-vis des hommes, la gestion des combats (en première ligne, ou en retrait, attachées aux taches féminines : le soin, l’intendance), les questions sexuelles avec le désir des hommes omniprésent, que le combat ne suffit pas à canaliser la plupart du temps, la hiérarchie (les femmes commandants sont rares). Et le retour à la vie civile après le combat, où malheureusement, peu de changement intervient en ce qui concerne les rôles genrés.
Pour ce qui est de l’armée française, si le nombre de femmes s’accroit en particulier parce qu’il faut recruter des soldat.e.s à tous les niveaux avec le retour de plus en plus évident d’un climat de guerre, il semble que la proportion de femmes ne change guère le fond de l’univers militariste. Faire la guerre, c’est combattre dans un monde d’hommes. Avec la masculinité, la virilité en bandoulière.
Le dernier chapitre qui fait le point sur toutes ces observations, ces réflexions, s’intitule « féminiser la guerre ou militariser les femmes ? ». Dans un monde de plus en plus militarisé, c’est malheureusement un accroissement de la militarisation des femmes qui est en marche. Féminiser la guerre semble être un leurre qui ne change rien sur le fond : « […] Aujourd’hui, la guerre est toujours une affaire d’hommes : ils sont à la tête des gouvernements, des états-majors, des entreprises de l’industrie de défense. L’agenda « Femmes, paix et sécurité », plutôt que de constituer une véritable avancée pour le droit des femmes dans le monde, illustre la façon dont les combats féministes ont été réinvestis par la technocratie internationale, en particulier par les organisations de défense et de sécurité. […] Les femmes en armes ne pourront jamais, je le crains, changer le visage de la guerre, parce qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible de la concevoir en dehors d’une grille de lecture patriarcale. […] » (p. 279).
Pour nous à l’Observatoire des armements se pose forcément la question du désarmement. Désarmer, c’est sans aucun doute diminuer, éradiquer les armes, toutes les armes. Les analyses en fonction du genre permettent de prendre en compte plus finement l’évolution de la société, dans l’armée, dans la société civile, dans la sexualité, dans la maternité. Passer d’une « maternité militarisée à une parentalité combattante », écrit l’auteur. Dans les dernières pages est aussi citée la montée en puissance de la diplomatie féministe, d’abord mise en avant par la Suède, et abandonnée en 2022 suite à l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir (tiens donc ?). Elle est mise en avant par plusieurs pays (Canada, France Allemagne, Mexique sont cité dans le livre). Malgré un décalage entre les discours et les actes, cette « diplomatie féministe témoigne d’une remarquable montée en puissance des questions de genre sur la scène internationale, avec des efforts de mise en œuvre menés à plusieurs niveaux » (p. 268).
Ce livre est de fait un livre de combat. Sans armes. Il nous dit clairement que, si la guerre reste le domaine du patriarcat et de la masculinité, y compris avec la présence de femmes combattantes, le féminisme, sans uniforme, ne peut que faire évoluer positivement le combat contre la guerre, pour la paix.
La conclusion s’intitule : « faire la paix avec des femmes en guerre ». Je n’ai jamais beaucoup aimé l’expression « guerre à la guerre ». Mais si les femmes s’y mettent, je signe…
Jean-Michel Lacroûte