L’autrice évoque d’abord l’histoire millénaire. En 882, le prince Oleg, d’origine scandinave, s’empare de Kiev, une ville de 40 000 habitants, alors que Moscou n’est mentionnée qu’à partir de 1147. En 1051, Anne de Kiev épouse le roi de France Henri Ier. Du IXème au XIIIème siècle, la Rous de Kiev est un État multinational et multilingue, à une époque où les nations ukrainienne et russe n’existaient pas. Elle est un mythe fondateur revendiqué par l’Ukraine et la Russie. Celle-ci annexe Kiev en 1564. En 1863, l’impression et l’enseignement en ukrainien sont interdits.
En 1918, un Conseil national proclame l’indépendance de la République populaire d’Ukraine. Les bolcheviks occupent Kiev. En 1930, Staline impose le russe comme langue de communication et les autres sont accusées de propager le nationalisme. Les intellectuels ukrainiens sont réprimés, voire assassinés. Staline déclenche sciemment une meurtrière famine en Ukraine.
Après le pacte germano-soviétique, l’Allemagne envahit la Pologne et l’URSS annexe à l’Ukraine des territoires étrangers. Le 22 juin 1941, l’Allemagne renie le pacte et met l’Ukraine sous son administration. En évacuant les territoires, les soviétiques mettent à mort 20 000 détenus. Des centaines de milliers de prisonniers soviétiques meurent de faim de maladie ou sont exécutés. Plus de deux millions d’Ukrainiens sont déportés pour le travail forcé. On estime que cinq millions de civils sont tués, dont un million de juifs. La population locale participe aux pogroms.
Les Allemands sont accueillis par des Ukrainiens, par antisoviétisme, antisémitisme ou nationalisme. Des unités ukrainiennes sont intégrées à l’armée allemande et massacrent des juifs. L’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) combat les soviétiques. Stepan Bandera dirige des combattants partisans d’un nationalisme ethnique radical. L’UPA provoque des dizaines de milliers de victimes polonaises : viols, expulsions, pillages, assassinats. Les Russes continuent à stigmatiser les Ukrainiens comme bandéristes et nazis, sans évoquer le pacte Molotov-Ribbentrop. Des Ukrainiens honorent toujours leurs héros nationalistes.
La majorité des Ukrainiens combattent dans l’Armée rouge. 1,5 million d’entre eux meurent au combat. À la fin de la guerre, le territoire ukrainien s’agrandit d’annexion sur les pays voisins. D’importants échanges forcés de population frappent la Pologne et l’Ukraine. 100 000 Ukrainiens sont déportés en Sibérie. Des Allemands, des Tatars et des minorités de Crimée sont déportés aussi.
En 1991, 92,3 % des voix approuvent l’indépendance ukrainienne. Les premières années sont marquées par l’instabilité politique, la corruption et les dysfonctionnements démocratiques. Un journaliste et une militante anticorruption sont assassinés.
Le 21 novembre 2013, quelques centaines de manifestants se réunissent sur la place de l’Indépendance (Maïdan) à Kiev pour protester contre le refus du président Ianoukovitch de signer l’accord d’association avec l’Union européenne. La Révolution de la dignité s’amplifie et des centaines de milliers de protestataires défilent à travers le pays. Maïdan est occupée pendant plusieurs mois. Alors que la majorité des manifestants est pacifique, Secteur droit, un mouvement d’extrême droite, revendique sa violence et est largement cité par la propagande russe qui prétend que l’Occident orchestre la révolte. Une opération « antiterroriste » fait 95 morts parmi les manifestants et 19 parmi les policiers. En présence des ministres allemands et polonais des Affaires étrangères et d’un haut fonctionnaire français, un l’accord prévoit une élection présidentielle anticipée. Le représentant russe refuse de signer et son pays parle de coup d’État fasciste. Le président fuit en Russie et est destitué, y compris par ses anciens partisans. Les partis d’extrême droite obtiennent des résultats électoraux dérisoires, surtout comparés à celui de leurs équivalents français actuels, par exemple.
En 2014, la Russie, soutenue par des séparatistes locaux, ampute l’Ukraine de la Crimée et des républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk. Le conflit cause 14 000 morts et 2,5 millions de déplacés. Un des prétextes de l’agression est de protéger d’un génocide les russophones qui sont abusivement qualifiés de compatriotes par le Kremlin. Vladimir Poutine a affirmé : « Les Russes et les Ukrainiens forment un seul peuple, un tout. » Le Parlement ukrainien a voté l’abrogation d’une loi protégeant les langues minoritaires, dont le russe, mais l’exécutif ne l’a jamais entérinée. Elle sera finalement invalidée. En 2019, une nouvelle loi sur l’ukrainisation linguistique est jugée discriminatoire par le Conseil de l’Europe. En 2022 une loi sur les minorités nationales apaise les tensions avec la Hongrie.
L’enseignement dans les territoires occupés est en russe, au détriment de l’ukrainien et du tatare.
L’Ukraine est candidate à l’adhésion à l’Union européenne. La démocratie et la lutte contre la corruption y progressent, les élections et la presse sont libres. Alexandra Goujon n’évoque pas les atteintes aux droits du travail que les employeurs mettent à profit en raison de la guerre.
Guy Dechesne