Au fil de ses lignes, ce n’est pas vraiment des réponses que le lecteur rencontre. Il rencontre surtout des personnes, actrices et acteurs de la guerre, comme combattant, mais aussi comme soutien logistique, humanitaire. Il nous décrit les enthousiasmes du début. Malgré des motivations différentes (pour la Syrie, une révolution pour chasser Bachar El Assad, et pour l’Ukraine, la défense et la reconquête d’un territoire envahi), puis l’usure inexorable devant les combats qui durent, qui durent…
Tout au long du livre revient la notion d’effondrement du monde. Il évoque dès l’introduction une « expérience de la néantisation du monde ». Cet effondrement est celui des hommes tués, des bâtiments détruits, des populations civiles qui fuient, de celles qui s’accrochent malgré tout. C’est aussi l’effondrement intérieur, car celui qui est au front, ou juste derrière, s’habitue à la violence, à la banalisation de l’horreur. « La guerre est toujours sale, faite de trahisons et sinistres violences, mais il reste l’euphorie des causes justes et des lendemains meilleurs » (p. 357). Un des faits marquant pour l’auteur est cette euphorie qui apparaît, même à la guerre… Jusqu’au moment où « il n’y a plus rien de cela ».
Romain Huët consacre quatre chapitres aux « vies dans la guerre », où il raconte longuement et précisément le quotidien des révolutionnaires syriens, et les résistances des Ukrainiens. Il raconte le front, où « il se passe toujours quelques chose, où la violence est en train de se faire ». « Ici, on tente de tuer l’autre et on essaie de ne pas mourir. » Derrière le front, dans le Donbass, lors d’une mission où il livre avec un volontaire quelques colis aux rares habitants qui sont restés, il décrit « les différences importantes selon les niveaux de pauvreté. Ceux qui vivent dans un abri au milieu des décombres sont les plus pauvres. […] Ceux qui sont pauvres, mais un peu plus fortunés se sont exilés dans les villes environnantes, relativement peu menacées par les destructions. […] La petite bourgeoisie, quant à elle, a déserté ces zones de terreur. Ils ont émigré bien à l’ouest ou dans un pays d’Europe. Les bombardements font des distinctions entre classes sociales. […] La peur est commune, pas les conséquences. »
Cette expérience au cœur de la guerre, mais sans combattre, est une confirmation de l’horreur de la guerre. Les combattants s’habituent à des conditions d’existence sordides, ils se familiarisent avec la violence, ils acceptent l’inacceptable, comme par exemple évacuer et enterrer leurs morts dans des tombes creusées en avance, par précaution (p. 373). Mais c’est aussi la terrible réalité de la fascination pour cette vie « hors norme » que représente la vie à la guerre, au combat. Tellement exaltante en regard du quotidien civil, routinier, qui guette toute vie ordinaire. Dans ces lignes, le lecteur rencontre la virilité, la domination, le commandement, les « nobles raisons de la guerre ». Mais aussi l’ennui le soir, ou tout simplement l’ennui lors d’une garde, quand il ne se passe rien.
Et aussi, tapie en chacun des hommes, la peur de retrouver une vie banale et transparente, la vie « normale » des temps de paix. Les retours après la guerre sont toujours difficiles, y compris pour l’auteur lorsqu’il entre à Paris. « Les temps de paix offrent rarement la sensation de faire l’histoire » (p. 369). Il reste à la fin de ce livre une réalité indéniable : l’effondrement : « comment opposer des résistances à un monde au bord de l’effondrement ? »
« Et comment tout cela arrive-t-il ? Comment se défendre activement contre la possibilité de la guerre ? Comment trouver des façons convenables d’éviter la violence ? » Ce sont les derniers mots de ce livre utile qui, comme souvent, pose plus de questions qu’il ne donne de réponses. Mais ces descriptions rappellent à celles et ceux qui regardent les informations sur ces guerres la réalité de la vie des soldats « ordinaires ». Mais cette réalité n’empêche pas notre monde de continuer à penser que la guerre est à même de régler les conflits.
« Se défendre activement contre la possibilité de la guerre ? », se questionne Romain Huët. Peut-être tout simplement, pour reprendre le titre du livre, en espérant qu’un jour, la paix sera enfin dans la tête des gouvernants, des peuples…
Jean-Michel Lacroûte