Hommages

M. Robert Badinter et la suppression des tribunaux militaires

Politique de défense Service national / conscription

Mise en ligne : Mardi 13 février 2024
Dernière modification : Mercredi 21 février 2024

Au cours des hommages pleinement mérités à Robert Badinter, une des réformes qu’il a initiées n’a pas reçu de réaction suffisante. Après l’abolition de la peine de mort et la suppression de la Cour de sûreté de l’État, et conformément au programme de François Mitterrand, Robert Badinter a obtenu la suppression des Tribunaux permanents des forces armées (TPFA) [1].

Le 7 janvier 1959, le général de Gaulle a pris l’ordonnance n° 59-147 portant organisation générale de la Défense. Tout non militaire, homme ou femme, de dix-huit à cinquante ans, peut être mobilisé selon sa profession « en tout temps et en toutes circonstances » pour le maintien des activités essentielles de la nation et astreint à la discipline des forces armées. Un salarié réquisitionné qui s’absente peut être jugé comme déserteur par un tribunal militaire. Cette ordonnance est toujours en vigueur.

À partir d’octobre 1968, pour la première fois, des civils, des objecteurs de conscience en grève du service civil, sont jugés par des tribunaux militaires. Ils le sont pour désertion à l’intérieur avec complot. Le représentant du parquet déclare : « Nous ne jugeons pas ici des objecteurs… Nous jugeons des affectés de défense qui sont, en vertu des décrets de 1959, assimilés à des militaires. » La grève des objecteurs s’amplifie pour réclamer leur jugement par une juridiction civile.

Les mouvements antimilitaristes se mobilisent contre les TPFA. À Lyon, le Groupe d’action et de résistance à la militarisation (GARM) associé à un collectif d’avocats assiste aux audiences du tribunal militaire et publie des statistiques et des commentaires.

À l’initiative d’Insoumission collective internationale, une plaquette est éditée à 100 000 exemplaires. Elle dénonce : « La justice militaire est une justice où l’armée est à la fois juge et partie, où le parquet militaire est le seul maître des poursuites, où n’existe pas le contrepoids de la constitution de partie civile, où il n’y a pas non plus de voie d’appel, où, enfin, les jugements n’ont pas à être motivés.

C’est une justice parallèle, où les irrégularités de procédure sont fréquentes. »

Le directeur de la publication et Cabu, qui l’a illustrée ainsi que l’affiche de la campagne, et des diffuseurs sont condamnés.

Mireille Debard, secrétaire du GARM, et Jean-Luc Hennig publient le livre Les juges kaki, illustré par Cabu et préfacé par Michel Foucault [2].

Le 21 juillet 1982, le Journal officiel publie la loi abolissant les tribunaux militaires.

Compétent pour tous les crimes et délits impliquant uniquement des militaires français en mission à l’étranger, le Tribunal aux armées de Paris (TAP) prend la suite. Il juge notamment la responsabilité de l’armée française dans le génocide rwandais et l’assassinat des militaires français à Bouaké, en Côte d’Ivoire, en 2006. La même année, la juge d’instruction Brigitte Raynaud, quitte ses fonctions après avoir dénoncé les obstacles auxquelles s’étaient heurtées ses investigations. Demandée par la Garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, la suppression du TAP est effective le 1er janvier 2012.

Guy Dechesne

[1Henri Noguères, « La fin des Tribunaux permanents des forces armées », Les Temps modernes, n° 435,‎ octobre 1982, p. 692 (ISSN 0040-3075).

[2Mireille Debard, Jean-Luc Hennig, Les Juges kaki, Éditions Alain Moreau, Paris, 1977.

Photo en une : Robert Badinter, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Débat relatif au projet de loi portant abolition de la peine de mort, première séance : 17 septembre 1981 - © AFP (DR)


L’Observatoire des armements est le seul centre d’expertise et de documentation indépendant dans le domaine de la défense et de la sécurité en France.

Je donne pour le désarmement


Aller plus loin

Mercredi 27 septembre 2023

Ce 29 septembre 2023, une nouvelle audience se déroule à Istanbul devant le Tribunal criminel contre Pinar Selek. Une importante délégation internationale de plus d’une soixantaine de personnes (…)

Vendredi 28 décembre 2018

Créé en 1967 par quelques militants déjà aguerris — leurs convictions étaient, de manière prépondérante, pacifistes, non-violentes, chrétiennes et / ou socialistes — le Garm (Groupe d’action et de (…)

Samedi 1er avril 1995

Dans ce premier dossier publié en avril 1985, nous cherchons par quels moyens la Gauche a développé la symbiose armée-nation depuis son arrivée au pouvoir en 1981, au travers notamment du (…)