Elle observe que les difficultés économiques, l’isolement sur la scène internationale et la mobilisation qui affecte des centaines de milliers de familles ne semblent pas ébranler le soutien des Russes à Vladimir Poutine. Elle interroge : « Comment comprendre ce soutien de masse au bombardement d’un pays voisin où les Russes sont nombreux à avoir de la famille et des amis ? Comment expliquer leur docilité face à un nouveau totalitarisme en train d’étendre son contrôle sur tous les aspects de la vie privée et qui, en fin de compte, représente une menace directe pour la vie de leurs frères, maris et amis envoyés au front ? »

Le dynamisme de Poutine alors qu’il se revendiquait démocrate, la hausse du niveau de vie, due aux revenus pétroliers, et l’ouverture tolérée sous la présidence de Dmitri Medvedev occultèrent l’enrichissement des oligarques. En vingt ans, la Russie devint le cinquième pays en nombre de milliardaires. Les Russes négligèrent les persécutions, voire les assassinats, des journalistes et des opposants, perpétrés par le pouvoir mafieux, et les ingérences dans la politique des pays voisins.

En 2011 et 2012, plus de 100 000 personnes manifestèrent contre les fraudes électorales. Les meneurs furent emprisonnés ou fuirent le pays. Le Kremlin jugea sévèrement les critiques des classes moyennes et se tourna vers les couches plus populaires en flattant leur nationalisme par la création d’un mouvement séparatiste en Ukraine et l’annexion de la Crimée. Poutine poursuit un but : sauvegarder son pouvoir et ses intérêts privés et contrôler ceux des oligarques. Ce fut une motivation importante pour l’invasion de l’Ukraine en 2022.

Les réseaux du pouvoir sont basés sur la corruption, le népotisme, le chantage, les pots-de-vin, l’extorsion de fonds, les partages des bénéfices des oligarques avec les fonctionnaires et les forces de sécurité. Les siloviki (силовики) sont les fonctionnaires de tous types chargés de faire régner la loi et l’ordre. Ils gagnent trois fois plus que le salaire du Russe moyen. Eux et leurs enfants bénéficient de nombreux privilèges et souvent de l’impunité pour des crimes ou des délits.

Après le sombre tableau de la société russe qui ne veut pas la guerre mais la tolère ou veut l’ignorer, l’autrice propose quatre pistes d’espoir :

Les jeunes, particulièrement les citadins, sont moins conditionnés à la peur et à la soumission que leurs aînés qui ont vécu sous la férule communiste. Ils apprécient plus l’Occident. Ils sont les premiers à se désolidariser de la guerre.

De nouvelles solidarités se nouent dans les milieux étudiants et professionnels, notamment dans la presse. 43 lettres ouvertes de différents corps de métier ont dénoncé l’invasion de l’Ukraine.

La société s’auto-organise pour pallier les lacunes des pouvoirs publics. Les organisations non-gouvernementales sont passées de quelques centaines en 2000 à 219 000 en 2019. Elles couvrent des domaines comme les soins palliatifs, la lutte contre les violences domestiques ou l’urbanisme.

Enfin, faute de pouvoir agir au niveau national, de nouveaux engagements politiques mobilisent des citoyens à l’échelon local.

Guy Dechesne