Son premier interlocuteur est Boris Vishnevsky, un parlementaire de la douma municipale de Saint-Pétersbourg. Pour embrouiller les électeurs, deux candidats, réels ou fictifs, portaient les mêmes nom et prénom que lui et leurs photos lui ressemblaient. Il est néanmoins un des deux élus de Iabloko, un des rares partis d’opposition. Quand il prend la parole à la douma, son micro est coupé. Il écrit dans Novaya Gazeta.

Le dessinateur est reçu dans l’appartement d’Elena Osipova, la « Conscience de Saint-Pétersbourg ». Elle est professeure d’arts plastiques retraitée. Depuis 2002, elle peint des tableaux et des pancartes avec lesquelles elle manifeste dans les rues contre le régime poutinien et pour la paix, ce qui lui a valu plusieurs arrestations dont les images ont été relayées sur Internet. Elle offre un tableau à Nicolas Wild et reçoit un de ses dessins.

Anna guide des visites de Saint-Pétersbourg sur le thème de l’histoire féministe et gay. L’organisation est clandestine ; la culture gay est interdite. Anna est artiste et coordinatrice d’un mouvement anti-guerre. Elle aussi a été arrêtée, elle se sait surveillée. Pourtant elle ne veut pas s’exiler. Elle souhaite rester connectée à la réalité russe. Elle défend la civilisation de sa république natale, l’Oudmourtie.

Dans un café, le bédéiste converse avec un vétéran de la guerre en Afghanistan, amer du manque de reconnaissance de son pays. Dans un parc, un homme le met en garde contre le grand remplacement qui menace la France. Il ajoute : « Nous, ici, on protège notre civilisation. »

Iouri Chevtchouk est un célèbre rocker qui a tenu tête à Vladimir Poutine lors d’un repas avec des artistes. Des vidéos en témoignent. À sa demande, Nicolas Wild lui apporte une bouteille de vin et un camembert. Depuis ses déclarations contre la guerre, les concerts du rocker sont interdits. Il résume la doctrine de Poutine : « Vous n’avez peut-être pas tout le confort moderne mais je vous offre la fierté de vivre dans un grand pays, une nation glorieuse. En gros vous n’avez ni gaz ni chiottes chez vous, mais vous avez Poutine. »

Les avocats qui se risquent à défendre les opposants sont très minoritaires. L’un d’eux plaide pour Lilia Chanysheva, collaboratrice de l’opposant Alexeï Navalny, condamné à neuf ans de détention. Une autre de ses clientes, Sasha Skotchilenko, est emprisonnée avec des criminelles pour avoir remplacé les étiquettes d’un magasin par des informations sur les crimes russes en Ukraine.

Le chroniqueur interroge aussi des passants qui lui répondent volontiers, souvent en reprenant les thèmes de la propagande ou en disant ne pas savoir où est la vérité. « Ma famille et moi sommes opposées à cette opération spéciale. Mais vous savez, cela fait plus de vingt ans que les jeunes Ukrainiens sont élevés dans la haine des Russes », affirme une femme pieuse.

« Pour moi, explique un homme, le christianisme est la base de la civilisation russe et européenne. Je suis contre la culture gay, les avortements, toutes ces choses décadentes à l’Ouest… Vous êtes Français ? J’aime beaucoup vos femmes. Mireille Mathieu, Patricia Kaas, Marine Le Pen ! »

En train vers Moscou, une jeune-fille chante en français une chanson de Lara Fabian et en propose une de l’Armée rouge. Elle participe à des camps d’entraînement militaire et envisage une carrière dans l’armée.

En quelques jours d’enquête à la lecture agréable, nous découvrons un panorama de ce que pensent les Russes. Les dessins sont réalistes, la plupart en noir et blanc avec parfois des notes de couleurs. Ils sont agrémentés de photos comme celles des mosaïques de la cathédrale militaire à la gloire des victoires de l’empire russe où la place des futurs exploits est prévue.

Guy Dechesne