Ce lundi 28 juin, M. Hervé Morin inaugure le siège du Comité d’indemnisation prévu par la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Le Comité d’indemnisation siègera à Arcueil, dans les locaux du Département de suivi des conséquences des essais nucléaires. Ce lieu n’est pas anodin. En effet, le Département de suivi a pris la succession de l’organisme (DIRCEN) qui portait, au nom du ministère de la défense, la responsabilité des essais nucléaires de la France et donc la responsabilité des cancers et autres maladies des vétérans, des anciens travailleurs civils, des populations du Sahara et de Polynésie. On ne pouvait pas mieux démontrer que dans ce dossier des victimes des essais nucléaires, le ministère de la défense est à la fois juge et partie.
M. Hervé Morin commentera également le décret d’application de sa loi, paru au Journal officiel du 13 juin 2010. Si l’on se réfère à la version précédente de ce décret datée du 21 janvier 2010, aucune des dispositions contestées par les associations Moruroa e tatou et Aven, par les services du Médiateur de la République, par le Gouvernement de la Polynésie française, par l’Assemblée de la Polynésie française, par le Coscen et par les conseils juridiques des associations n’ont été prises en compte par la version définitive de ce décret.
Nos associations constatent que la liste des 18 cancers retenus est réduite, pour la quasi majorité des personnels civils et militaires employés sur les sites d’essais (en majorité des hommes), à 14 cas de cancers. Sur la « liste Morin », trois autres cancers sont des cancers féminins (sein, ovaire et utérus) et le cancer de la thyroïde est limité aux personnes qui étaient enfants au moment de leur exposition. Nos associations s’insurgent de ces limitations, alors que la demande unanime avait été de rajouter les autres cancers du système sanguin (myélome et lymphomes), le cancer de la thyroïde sans restriction d’âge, le cancer du sein masculin, toutes maladies reconnues comme radio-induites par les Nations unies (UNSCEAR) et indemnisées par la législation américaine depuis 1988 qui, de plus, admettent que des maladies cardiovasculaires et du système génétique sont également radio-induites.
Nos associations avaient contesté que la version précédente du décret remettait en cause le principe de présomption de causalité pourtant admis dans la loi Morin. Le décret du 11 juin rectifie le tir dans l’article 7 en affirmant que « la présomption de causalité bénéficie au demandeur lorsqu’il souffre de l’une des maladies prévue dans la liste ». Hélas, la suite de l’article admet que ce principe peut être écarté si le « risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable ». Le décret propose même au comité d’indemnisation de s’appuyer sur la méthodologie de l’AIEA pour l’évaluation de ce risque. Or les épidémiologistes, les médecins et les juristes contestent cette méthode de l’AIEA qui évalue statistiquement des risques de cancer sur plusieurs milliers de personnes atteintes par des radiations (les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki), en la jugeant scientifiquement inapplicable pour évaluer un risque de cancer pour des personnes individuelles.
Nos associations constatent que le Comité d’indemnisation désigné par le décret est composé de 8 membres, dont 5 doivent recevoir l’aval du ministère de la défense. La décision d’indemnisation est prise en finale par le ministre de la défense, mais le décret prévoit que l’absence de décision du ministre de la défense six mois après l’enregistrement de la demande d’indemnisation équivaut à un rejet. Les associations avaient pourtant noté une contradiction avec la loi Morin (article 4, III) déclarant que le rejet doit être « motivé ».
Nos associations constatent que les « zones géographiques » retenues par le décret du 11 juin 2010 sont inchangées malgré les protestations argumentées qui avaient été transmises au ministre de la Défense le 18 décembre 2009. Encore une fois, nous nous insurgeons que les zones retenues pour les essais au Sahara contournent les lieux d’habitation des populations sahariennes et que les zones retenues pour la Polynésie s’apparentent au mensonge officiel à propos du nuage de Tchernobyl. Alors que toute la Polynésie a été copieusement contaminée par 41 essais aériens entre 1966 et 1974, le décret Morin affirme que les nuages radioactifs sont retombés sélectivement sur quatre îles ou atolls et sur quelques communes de Tahiti… curieusement les moins peuplées. Le caractère ridicule de la « sélection géographique » du décret Morin atteint un sommet en ne retenant, pour l’atoll de Hao que trois installations où se manipulaient des matières nucléaires solides, liquides ou gazeuses simplement délimitées par des grillages ou des barbelés.
Enfin, le décret précise la nomination des 19 membres de la commission consultative de suivi. Moruroa e tatou constate que le ministre de la défense qui préside la commission s’attribue la nomination ou l’aval de la nomination de 13 des 19 membres de cette commission.
Nos associations affirment une nouvelle fois que l’État doit reconnaître clairement sa responsabilité et celle des organismes chargés de la conduite des essais – Armées et CEA – pour le préjudice sanitaire, environnemental, social, économique, culturel causé aux Polynésiens, aux Algériens et à tous les personnels civils et militaires du fait de ses 210 essais nucléaires.