Ce livre, pas très bien construit (annexes citées, mais inexistantes, photos elles aussi citées et elles aussi inexistantes, nombreuses coquilles non corrigées), retrace et analyse cette évolution récente qui a conduit, pas forcément de manière bien linéaire, à l’avènement du SNU.

Après un bref historique du service militaire, assorti de son ancrage dans la culture masculine de notre pays, Vivien Bureu, militaire de carrière, breveté de l’École de guerre, qui a participé à plusieurs Opex (opérations extérieures), nous montre la fragilisation du service national, à partir de la guerre d’Algérie dans les années 1960. Deux évènements viennent accentuer cette fragilisation : la dissolution du pacte de Varsovie en 1991, qui implique une autre vision pour la défense du territoire, assorti à la dissuasion nucléaire dans laquelle le contingent n’est, de fait, aucunement impliqué.

La notion d’armée « mixte » (professionnels et appelés) ne convainc pas grand monde, et le contingent devient, de fait, excédentaire. L’idée de professionnalisation des armées nécessite une réflexion particulière pour l’armée de terre, qui est celle qui utilise le plus largement les appelés. La professionnalisation implique de fait la disparition d’hommes, de casernes, etc. Le président Jacques Chirac annonce en 1996 la suspension du service militaire pour 2002. Cette demande correspond peu ou prou à la volonté des militaires, et peu d’oppositions se font connaître à cette époque dans les armées comme dans le monde politique. La jeunesse, la société civile, le monde religieux tout comme le monde laïc réagissent peu sur ce sujet, ni dans un sens, ni dans l’autre.

Les armées se sont adaptées à cette situation, qui leur permet d’être plus opérationnelles, et les dédouane d’un rôle de formation auprès des appelés qui leur prenait beaucoup de temps, d’énergie et d’argent… Mais si la suppression a été peu contestée, petit à petit, chez les politiques en particulier, une nostalgie du service militaire s’installe. Le brassage social, la cohésion armée-nation, les valeurs d’obéissance, de solidarité ne semblent plus portées nulle part. Les émeutes de 2005 dans les quartiers, l’affaire Merah, et les attentats terroristes instillent petit à petit l’idée d’un manque au niveau de la jeunesse. Pour certains, y compris à gauche, la réponse semble évidente avec le retour à un service national.

Le candidat Macron fait la promesse d’un service national universel, mais beaucoup de problèmes se posent pour son instauration. L’armée de terre, pourtant assez largement représentée dans l’élaboration du projet, en particulier en la personne du général Menaouine [1], ne souhaite pas être à la manœuvre. Depuis la professionnalisation, elle n’a plus de personnel disponible pour la formation, l’accompagnement des jeunes recrues. De plus, elle apprécie son autonomie dans la gestion des opérations en France (surveillance Vigipirate) et dans les Opex. C’est l’éducation nationale qui pilote. Une formule de compromis voit le jour, avec le SNU tel qu’il est mis en place depuis 2019. La gestion de la crise du Covid 19 vient perturber sa mise en place, à ce jour très fluctuante et sans doute pas encore définitive (par exemple, le livre ne prend pas en compte les dernières propositions de « classes d’engagement » mises en place par les professeurs volontaires en classe de seconde).

Tout au long de ce livre, la société civile est bien absente, en particulier la jeunesse. C’est pourtant elle la première concernée. Dans l’élaboration du SNU, bien sûr, le monde politique est présent. Mais il ne représente souvent que lui-même, puisqu’il a montré à de maintes fois qu’il était bien peu capable de comprendre l’évolution sociologique d’une France qui se coupe de plus en plus de ses élites. La solution magique d’un service national obligatoire, quel que soit le pourcentage de militarisme en son sein, ne réglera jamais le problème des inégalités sociales entre les quartiers, les régions. Pas plus que l’école ne peut régler à elle seule ces problèmes.

Ceci dit, les derniers mois viennent de montrer, à travers la contestation de la caravane du SNU aux mois de mai et juin 2023, que la jeunesse, et une bonne partie de la société civile, rejettent ce service que certains (et en première ligne le président Macron) souhaitent rendre obligatoire dès l’âge de 16 ans.

Cette étude entre l’articulation de la fin de la conscription et l’avènement du SNU est intéressante pour montrer cet imaginaire centraliste et autoritaire qui imprègne la société française. Seule une culture militaire bien verticale est susceptible de régler tous les problèmes qui se présentent à notre « vivre ensemble » : la bombe atomique comme défense infranchissable, et l’armée comme seule capable d’éduquer une jeunesse sans boussole lorsqu’elle est laissée à sa seule initiative, ou à celle d’une éducation nationale qui ne transmet pas ces valeurs centralistes et autoritaires.

Dans notre souhait d’une France en marche vers le désarmement, nous n’avons aucun regret quant à la suppression du service militaire obligatoire. Quant au Service national universel, nous savons qu’il ne réglera pas plus les problèmes sociaux et écologiques que la jeunesse affrontera inévitablement.

Le monde politique, le monde militaire, le monde de l’éducation, de la culture, ont un vrai projet de fond à construire. Avec les jeunes. Ce livre ne propose rien dans ce sens.

Jean-Michel Lacroûte

[1Devenu en mai 2023 délégué général adjoint au SNU.