La mouture établie par la CMP remplace la formule des sénateurs visant à élargir les attributions de la délégation au renseignement que nous avions jugé inappropriée et trop limitée pour mener le travail nécessaire sur le sujet. La commission ad hoc permettra d’opérer un suivi spécifique et sur le long terme des exportations d’armes, ce qui manque actuellement au Parlement. Elle est le fruit de trente ans de mobilisation de la société civile, dont l’Observatoire des armements qui a démarré après... la première guerre du Golfe ! Cette Commission fait donc office de rattrapage par rapport à d’autres pays qui ont mis en place ce type des mécanismes similaires (Royaume-Uni, Suède) ou équivalents (Pays-Bas, Allemagne) il y a dix ou vingt ans. Sans parler de l’Italie dont le Parlement a un rôle de contrôle notoirement beaucoup plus étendu que la France : suite à des motions parlementaires, le gouvernement a suspendu la livraison de bombes et munitions en 2019 et 2020 à Riyad et Abu Dhabi en raison de la guerre au Yémen [1].
Un rattrapage modeste qui plus est car en lui affublant le titre « de commission d’évaluation de la politique du gouvernement » et en faisant retirer de ses attributions la possibilité de se voir communiquer les licences, les parlementaires positionnent leur « contrôle » à un stade justement trop tardif. Or le principal intérêt d’une telle mission est de jouer le rôle d’alerte auprès de l’exécutif avant que l’armement soit livré ! Le dispositif doit être renforcé : le gouvernement doit avoir l’obligation de communiquer automatiquement et sous quinze jours les licences au Parlement, comme dans les systèmes néerlandais et allemands. Ce n’est pas un détail : en Allemagne, les parlementaires ont bataillé plus de dix ans après la publication du premier rapport pour obtenir ce type de mesures (en 2014) qui pousse justement le gouvernement à assumer et devoir justifier auprès de son Parlement ses exportations d’armement. Il importe de prendre en compte les expériences étrangères que nous avons détaillées ici [2].
Pour que la commission et la société civile puissent travailler, la transparence devra s’améliorer rapidement tant sur les biens militaires que ceux à double usage. En Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, les parlementaires et citoyens ont accès depuis belle lurette aux types précis de matériel faisant l’objet d’une licence, aux quantités, aux destinataires et à l’utilisateur final, aux notifications de refus détaillés via le rapport au Parlement et une bases de donnée en ligne, des données dont nous sommes privés.
C’est d’autant plus primordial que la surveillance des membres de la Commission se basera avant tout, dixit le texte en discussion, sur les rapports au Parlement, qui paraissent avec plusieurs mois de retard, et les auditions des ministres et de l’administration… sans que ne soit mentionnées les ONG et la société civile ! De façon significative, les parlementaires évoquent l’étude « du marché mondial », « de la concurrence internationale », ou de « l’évolution de la demande » mais ne font pas référence au respect de la Position commune européenne sur les exportations d’armes et au Traité sur le commerce des armes, que la France a adopté ! Le Parlement doit revoir sa copie à ce niveau…
Nous demandons à ce que les ONG travaillant sur les conséquences des exportations d’armements soit auditionnées tous les trimestres par la Commission quand elle sera mise en place. Il est enfin nécessaire d’élargir celle-ci à une représentation de l’ensemble des groupes politiques parlementaires, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le nombre de membres doit être porté à quinze pour se mettre à peu près au niveau de son équivalent britannique.
La Commission doit rendre compte de son activité et de ses enquêtes dans un rapport annuel, ce qui ne figure plus dans la version adoptée dans la Commission mixte paritaire.
Enfin, un réel contrôle parlementaire des moyens investis dans la dissuasion nucléaire doit être mis en place, de même qu’un grand débat citoyen dans le droit fil des amendements déposés par les sénateurs/trice Michelle Gréaume et Pierre Laurent et retoqués par la CMP [3].