Armements nucléaires

Les États investissent dans les arsenaux nucléaires alors que les relations géopolitiques se détériorent - Parution du nouveau « SIPRI Yearbook »

Armes nucléaires Prolifération nucléaire

Mise en ligne : Dimanche 11 juin 2023
Dernière modification : Vendredi 30 juin 2023

(Stockholm, 12 juin 2023) - Le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) publie aujourd’hui les conclusions du « SIPRI Yearbook 2023 » qui fait état de la situation actuelle des armements, du désarmement et de la sécurité internationale. L’une des principales conclusions est que le nombre d’armes nucléaires opérationnelles a commencé à augmenter à mesure que les plans à long terme de modernisation et d’expansion des forces progressaient.

Les arsenaux nucléaires se renforcent à travers le monde

Les neuf États dotés d’armes nucléaires - États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine, Inde, Pakistan, République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) et Israël - continuent de moderniser leurs arsenaux nucléaires et plusieurs d’entre eux ont déployé de nouveaux systèmes d’armes nucléaires ou à capacité nucléaire en 2022.

Sur l’inventaire mondial total d’environ 12 512 ogives en janvier 2023, environ 9 576 étaient mis en stocks militaires pour une utilisation potentielle - soit 86 de plus qu’en janvier 2022 (voir tableau ci-dessous). Parmi celles-ci, environ 3 844 ogives ont été déployées avec des missiles et des avions, et environ 2 000 - dont la quasi-totalité appartient à la Russie ou aux États-Unis - ont été maintenues en état d’alerte opérationnelle élevée, ce qui signifie qu’elles étaient montées sur des missiles ou détenues dans des bases aériennes. accueillant des bombardiers nucléaires.

La Russie et les États-Unis possèdent à eux seuls près de 90 % des armes nucléaires mondiales. Malgré une baisse de la transparence des deux pays sur les forces nucléaires suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, la taille de leurs arsenaux nucléaires respectifs (c’est-à-dire les ogives utilisables) semble être restée relativement stable en 2022.

En plus de leurs armes nucléaires utilisables, la Russie et les États-Unis détiennent chacun plus de 1 000 ogives retirées dans un premier temps du service militaire et qu’ils démantèlent progressivement.

L’estimation du SIPRI de la taille de l’arsenal nucléaire de la Chine est passée de 350 ogives en janvier 2022 à 410 en janvier 2023, et elle devrait continuer de croître. Selon la manière dont elle décide de structurer ses forces, la Chine pourrait potentiellement avoir au moins autant de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) que les États-Unis ou la Russie d’ici la fin de la décennie.

« La Chine a entamé une augmentation significative de son arsenal nucléaire », déclare Hans M. Kristensen, chercheur principal associé au programme Armes de destruction massive du SIPRI et directeur du Nuclear Information Project à la Fédération of American Scientists (FAS). « Il est de plus en plus difficile de concilier cette tendance avec l’objectif déclaré de la Chine de n’avoir que le minimum de forces nucléaires nécessaires pour maintenir sa sécurité nationale. »

Bien que le Royaume-Uni ne semble pas avoir augmenté son arsenal d’armes nucléaires en 2022, le stock d’ogives devrait augmenter à l’avenir selon l’annonce en 2021 du gouvernement britannique de dépasser sa limite de 225 à 260 ogives. Le gouvernement a également déclaré qu’il ne divulguerait plus publiquement ses quantités d’armes nucléaires, d’ogives déployées ou de missiles déployés.

En 2022, la France a poursuivi ses programmes de développement d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) de troisième génération et d’un nouveau missile de croisière aéroporté, ainsi que la remise à neuf et la modernisation des systèmes existants.

Forces nucléaires mondiales, janvier 2023

Source : SIPRI Yearbook 2023

Notes : Toutes les estimations sont approximatives. Le SIPRI ajuste chaque année ses données sur les forces nucléaires mondiales en fonction de nouvelles informations et de la mise à jour des estimations précédentes. Les données de janvier 2023 remplacent toutes les données SIPRI précédemment publiées sur les forces nucléaires mondiales. Les pays sont classés par date du premier essai nucléaire connu. Il n’existe aucune preuve concluante de source ouverte qu’Israël ait testé ses armes nucléaires. Les chiffres pour la Russie et les États-Unis ne correspondent pas nécessairement à ceux de leurs déclarations de 2010 dans le cadre du Traité sur des mesures visant à réduire et limiter davantage les armements stratégiques offensifs (New START) en raison des règles de comptage du traité.
a - Les « ogives déployées » désignent les ogives placées sur des missiles ou situées sur des bases avec des forces opérationnelles.
b - Les « ogives stockées » désignent les ogives stockées ou de réserve qui nécessiteraient une certaine préparation (par exemple, le transport et le chargement sur des lanceurs) avant de pouvoir être déployées.
c - Le « stock total » fait référence aux ogives destinées à être utilisées par les forces armées.
d - L’« inventaire total » comprend à la fois les ogives stockées et les ogives retirées en attente de démantèlement.
e - Le SIPRI avait précédemment estimé que le Royaume-Uni comptait environ 45 ogives retirées en attente de démantèlement ; cependant, l’évaluation du SIPRI en janvier 2023 montre que ces ogives sont susceptibles d’être reconstituées pour faire partie du stock plus important du Royaume-Uni au cours des prochaines années et le stock s’est maintenu à 225 ogives en janvier 2022.
f - Le gouvernement britannique a déclaré en 2010 que son inventaire d’armes nucléaires ne dépasserait pas 225 ogives. On estime ici que l’inventaire est resté à ce nombre en janvier 2023. Une réduction prévue de son inventaire à 180 ogives d’ici le milieu des années 2020 est rendu caduc par un examen gouvernemental publié en 2021. L’examen a introduit un nouveau plafond de 260 ogives.
g - Les informations sur l’état et la capacité de l’arsenal nucléaire nord-coréen s’accompagnent d’une grande incertitude. La Corée du Nord aurait produit suffisamment de matières fissiles pour construire 50 à 70 ogives nucléaires ; cependant, il est probable qu’elle ait assemblé moins d’ogives, peut-être environ 30.

L’Inde et le Pakistan semblent étendre leurs arsenaux nucléaires, et les deux pays ont introduit et continuent de développer de nouveaux types de systèmes de vecteurs nucléaires en 2022. Bien que le Pakistan demeure la principale motivation de la dissuasion nucléaire indienne, l’Inde semble mettre de plus en plus l’accent sur des armes à longue portée, dont celles capables d’atteindre des cibles à travers la Chine.

La Corée du Nord continue de donner la priorité à son programme nucléaire militaire en tant qu’élément central de sa stratégie de sécurité nationale. Bien que la Corée du Nord n’ait effectué aucune explosion nucléaire à des fins expérimentales en 2022, elle a procédé à plus de 90 essais de missiles. Certains de ces missiles, parmi lesquels de nouveaux ICBM, pourraient être capables d’emporter des ogives nucléaires. Le SIPRI estime que le pays a désormais assemblé environ 30 ogives et possède suffisamment de matières fissiles pour un total de 50 à 70 ogives, deux données significatives car en augmentation par rapport aux estimations de janvier 2022.

Israël – qui ne reconnaît pas publiquement posséder des armes nucléaires – est également soupçonné de moderniser son arsenal nucléaire.

« La plupart des États dotés d’armes nucléaires durcissent leur rhétorique sur l’importance des armes nucléaires, et certains profèrent même des menaces explicites ou implicites sur leur utilisation potentielle », précise Matt Korda, chercheur associé au programme Armes de destruction massive du SIPRI et chercheur principal du Nuclear Information Project au FAS. « Cette compétition nucléaire accrue a considérablement augmenté le risque que des armes nucléaires soient utilisées par colère pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. »

« Avec des programmes à un milliard de dollars pour moderniser et, dans certains cas, étendre les arsenaux nucléaires, les cinq États juridiquement reconnus comme dotés de l’arme nucléaire par le Traité sur la non-prolifération nucléaire semblent s’éloigner de plus en plus de leur engagement en faveur du désarmement conformément au traité », souligne Wilfred Wan, directeur du programme Armes de destruction massive du SIPRI.

Nouveau coup dur pour la diplomatie nucléaire suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie

Le contrôle des armements nucléaires et la diplomatie du désarmement ont subi des revers majeurs suite à l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie en février 2022. En raison de l’invasion, les États-Unis ont suspendu leur dialogue bilatéral sur la stabilité stratégique avec la Russie. En février 2023, la Russie a annoncé qu’elle suspendait sa participation au Traité de 2010 sur les mesures visant à réduire et à limiter davantage les armements stratégiques offensifs (New START), dernier traité de contrôle des armements nucléaires limitant les forces nucléaires stratégiques russes et américaines. Les pourparlers sur un traité de suivi de New START, qui expire en 2026, ont également été suspendus. Néanmoins, selon les estimations du SIPRI, les forces nucléaires stratégiques déployées par les deux pays sont restées dans les limites fixées par New START en janvier 2023.

Le soutien militaire de l’Iran aux forces russes en Ukraine et la situation politique du pays ont également éclipsé les pourparlers sur la relance du Plan d’Action Global Commun (PAGC), l’accord de 2015 destiné à empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires. La renaissance du PAGC semble désormais de plus en plus improbable.

Les États-Unis et le Royaume-Uni ont tous deux refusé de rendre public les informations concernant leurs forces nucléaires en 2022, ce qu’ils faisaient pourtant les années précédentes.

« En cette période de forte tension géopolitique et de méfiance, avec des canaux de communication fermés ou fonctionnant à peine entre des rivaux dotés d’armes nucléaires, les risques d’erreur de calcul, de malentendu ou d’accident sont inacceptablement élevés », déclare Dan Smith, directeur du SIPRI. « Il est urgent de restaurer la diplomatie nucléaire et de renforcer les contrôles internationaux sur les armes nucléaires. »

Péril croissant pour la sécurité et la stabilité mondiales

La 54e édition du SIPRI Yearbook révèle la détérioration continue de la sécurité mondiale au cours de l’année écoulée. Les impacts de la guerre en Ukraine sont visibles dans presque tous les aspects liées aux armements, au désarmement et à la sécurité internationale, examinés dans l’annuaire. Néanmoins, c’est loin d’être le seul conflit majeur en cours en 2022, et les tensions géopolitiques aiguës, la méfiance et la division étaient déjà palpables bien avant l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie.

« Nous glissons vers l’une des périodes les plus dangereuses de l’histoire de l’humanité », déclare Dan Smith, directeur du SIPRI. « Il est impératif que les gouvernements du monde trouvent les moyens de coopérer afin de calmer les tensions géopolitiques, de ralentir la course aux armements et de faire face aux conséquences graves de la dégradation de l’environnement et de l’augmentation de la faim dans le monde. »

En plus de la couverture détaillée habituelle des questions de contrôle des armements nucléaires, de désarmement et de non-prolifération, le SIPRI Yearbook présente des données et des analyses sur l’évolution des dépenses militaires mondiales, les transferts internationaux d’armes, la production d’armes, les opérations de paix multilatérales, les conflits armés et plus encore. Des sections spéciales du SIPRI Yearbook 2023 explorent la montée en puissance des entreprises militaires et de sécurité privées tel que le groupe Wagner, et leurs effets sur la paix et la sécurité ; comment la guerre en Ukraine a affecté la gouvernance de l’espace et du cyberespace ; les attaques contre les centrales nucléaires pendant les combats en Ukraine et leurs implications ; et la réglementation des nouvelles technologies telles que les systèmes d’armes autonomes.

Traduction française : Aziza Riahi, Observatoire des armements

À l’attention des rédacteurs

Le SIPRI Yearbook est un condensé d’informations pointues sur le développement des armements, le désarmement et la sécurité internationale. Trois grands ensembles de données du SIPRI Yearbook 2023 ont été publié en 2022-23 : top 100 arms-producing companies (décembre 2022), international arms transfers (mars 2023), world military expenditure (avril 2023).
Le SIPRI Yearbook est publié par Oxford University Press.

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