Retrouvez la première partie de cette rubrique, novembre 2022
Retrouvez la deuxième partie de cette rubrique, décembre 2022
Retrouvez la troisième partie de cette rubrique, janvier et février 2023
Retrouvez la quatrième partie de cette rubrique, mars et avril 2023
Ecoutez l’intervention de Guy Dechesne dans l’émission Paroles de Paix sur RCN du 23 février 2023
Olga Taratuta
Olga Taratuta était une militante anarchiste d’origine juive ukrainienne, prisonnière politique aussi bien du temps du Tsar que du temps des bolchéviques, chargée en 1921 par le fondateur de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne, Nestor Makhno, d’organiser la « Croix noire » en soutien aux prisonniers politiques de toutes tendances révolutionnaires. Elle a été condamnée à mort et exécutée le 8 février 1938 pour activités anarchistes et antisoviétiques.
Son nom a été attribué à l’Initiative de solidarité avec les déserteurs, les pacifistes, les réfugiés en Ukraine, Russie et au Belarus [1] qui poursuit un triple objectif :
- Aider les réfugiés et les déserteurs, qu’ils soient russes, bélarusses ou ukrainiens, à fuir la guerre ;
- Apporter un soutien moral, politique et matériel aux anarchistes en Ukraine qui résistent sans avoir abandonné les principes, notamment au Groupe Assembleia [2] ;
- Servir de caisse de résonance à la résistance antiguerre en Russie et au Belarus.
« Nous cherchons particulièrement à soutenir les déserteurs et les pacifistes russes et bélarusses, qui tiennent entre leurs mains une partie de la solution contre la guerre. Nous participons aussi à la solidarité avec les réfugiés, dont nous appelons à ce qu’ils soient accueillis le plus largement possible en Europe. Notre initiative est indépendante de tout parti politique. Elle est strictement laïque. »
Le bulletin n° 4 de mai 2023 de l’Initiative interroge Ivan, un jeune Russe qui a fui la mobilisation. Arrivé dans un aéroport allemand, il a voulu déposer une demande d’asile. On l’a maintenu un mois dans un Centre de rétention administratif, où il a dû payer 135 euros par nuit. Expulsé en France, il a l’intention de ne jamais retourner en Russie.
Le même bulletin relate une manifestation tenue malgré une tempête de neige, en Lettonie, le 5 avril 2023, contre le rétablissement du service militaire obligatoire.
Rock
Splin
Le 20 août 2022, le leader de Splin, Alexander Vasiliev, lors d’une performance du groupe, a dédié la chanson « No Exit » aux musiciens qui ont dû quitter le pays « pour diverses raisons. » Après cela, les concerts du groupe ont été régulièrement annulés [3].
Pink Floyd et le cochon volant
« Malheureusement, tu es antisémite jusqu’à la moelle », écrit le guitariste David Gilmour à son ancien partenaire des Pink Floyd, Roger Waters. Sa lettre a été lue lors d’une manifestation de 1 500 personnes contre un concert de ce dernier à Berlin, après une prestation accusée d’aspects antisémites [4].
On reproche au musicien d’avoir précédemment fait planer au-dessus de son public un ballon en forme de porc, noir et marqué d’une étoile de David. Or l’imagerie porcine a été utilisée par Pink Floyd sur la pochette de son album Animals en 1977 et le cochon a volé pendant plusieurs années lors des concerts du groupe, avant et après le départ de Waters. Cela évoquait la division de la société en trois groupes : les moutons, suiveurs passifs, les chiens, gardiens et hommes d’affaires agressifs, et les cochons, riches et puissants. C’était librement inspiré du livre de George Orwell La ferme des Animaux, mais où la critique du bolchevisme était remplacée par celle du capitalisme.
L’ex-Pink Floyd a continué à utiliser seul le cochon volant, tagué de slogans contre Trump ou, en France, contre Jean-Marie le Pen [5]. Il fait valoir que sur son animal volant, il n’y a pas que l’étoile de David, mais aussi un crucifix, un croissant et une étoile, une faucille et un marteau, le logo de la compagnie pétrolière Shell, celui de McDonald’s, le symbole du dollar et l’emblème de Mercedes... soient les symboles de toutes les croyances, idéologies ou pouvoirs qu’il combat depuis des décennies. Waters précise « Protester de manière pacifique contre la politique intérieure et étrangère raciste d’Israël n’est pas antisémite » [6]. De la même façon, il utilise des accessoires marqués de deux marteaux entrecroisés que ses opposants associent à des symboles nazis mais qui étaient déjà utilisés par les Pink Floyd et qui font allusion au roman 1984.
La mort du père de Roger Waters pendant la seconde guerre mondiale a sans doute favorisé son antimilitarisme. Sa participation aux Pink Floyd a aussi été marquée par son antitotalitarisme, notamment contre l’invasion russe en Afghanistan. Dans son propre album Is this the life we really want ? (2017), il critique Donald Trump « décérébré » et « abruti », les drones meurtriers et le drame des migrants [7].
En 2019, R. Waters fait les démarches et finance l’exfiltration de deux enfants trinidadiens de l’État islamique [8].
Le 8 avril 2022, Pink Floyd a mis en ligne la chanson Hey Hey Rise Up qui inclut la voix du chanteur ukrainien de BoomBox, Andriy Khlyvnyuk qui, armé et en uniforme, reprend une chanson patriotique ukrainienne de la première guerre mondiale.
Le 4 mars 2022, Waters écrit : « La Russie est un pur paradis de gangsters capitalistes néolibéraux, modelé à l’époque de son horrible restructuration sous Boris Eltsine (1991-1999), calqué sur les États-Unis d’Amérique. Il ne faut pas s’étonner que son dirigeant autocratique et peut-être dérangé, Vladimir Poutine, n’ait pas plus de respect pour la Charte des Nations Unies et le droit international que les récents présidents des États-Unis ou les premiers ministres d’Angleterre n’en ont eu. (Par exemple, souvenez-vous de George W. Bush et de Tony Blair lors de l’invasion de l’Irak.) » [9]. Il critique les médias américains pour avoir laissé entendre que la guerre en Ukraine était une plus grande atrocité que les invasions occidentales en Afghanistan ou en Irak parce que « [les Ukrainiens] nous ressemblent ». « L’implication, c’est qu’il est en quelque sorte plus acceptable de faire la guerre à des personnes dont la peau est brune ou noire qu’à des personnes qui "nous ressemblent". Ce n’est pas le cas. Tous les réfugiés, toutes les personnes qui luttent sont nos frères et sœurs. »
« Je suis dégoûté par l’invasion de l’Ukraine par Poutine, écrit-il, peu après celle-ci, à une jeune Ukrainienne. C’est une erreur criminelle à mon avis, l’acte d’un gangster. Il doit y avoir un cessez-le-feu immédiat. Je regrette que les gouvernements occidentaux alimentent le feu qui va détruire votre beau pays en déversant des armes en Ukraine, au lieu de s’engager dans la diplomatie qui sera nécessaire pour arrêter le massacre.
Je ferai tout ce que je peux pour contribuer à la fin de cette guerre horrible dans votre pays, tout sauf agiter un drapeau pour encourager le massacre. C’est ce que veulent les gangsters, ils veulent que nous agitions des drapeaux. C’est ainsi qu’ils nous divisent et nous contrôlent, pour créer un écran de fumée afin de nous aveugler sur notre capacité innée à faire preuve d’empathie les uns envers les autres, tandis qu’ils pillent et violent notre fragile planète. » Il fustige aussi « les faucons gangsters de Washington » [10].
Le 6 août 2022, RogerWaters, dénonce le « criminel de guerre » Joe Biden qui avait « alimenté le feu en Ukraine [11]. » Dans une lettre ouverte à Olena Zelenska, en septembre 2022, il attribue au président Zelensky la responsabilité du conflit et espère que son épouse l’incite à mettre fin à « cette guerre meurtrière [12]. »
Le 8 février 2023, à l’invitation de la Russie, R. Waters s’exprime devant le Conseil de sécurité de l’Onu. Il reconnaît l’illégalité de l’invasion russe et la condamne fermement mais précise « Il n’est pas vrai que l’invasion russe de l’Ukraine ait été non provoquée. Alors je condamne aussi les provocateurs dans les termes les plus forts. » Vassily Nebenzia, ambassadeur russe à l’ONU, salue alors « un des militants les plus importants du mouvement contemporain contre la guerre » [13].
L’opposition russe
Denis Skopin
Denis Skopin, professeur de philosophie politique à l’université de Saint-Pétersbourg, a écopé, comme une centaine de personnes, de dix jours de détention pour une manifestation de deux minutes contre la mobilisation du 21 septembre 2022. Il a ensuite été licencié pour « comportement immoral. » Ses étudiants ont fait circuler une vidéo de soutien. Il a quitté son pays en janvier 2023. Après un transit par Berlin, il témoigne, dans une interview au journal lyonnais Le Progrès [14], « Il y a des situations où vous ne pouvez pas vous taire. » En prison, il a reçu une convocation militaire à laquelle il ne s’est pas rendu. Il raconte : « 85 % de mes collègues ont quitté la faculté et 70 % le pays. […] Des étudiants organisent des activités comme l’écriture de lettres à des prisonniers politiques. » Il qualifie sa faculté de libérale. Elle n’est pas représentative du reste du pays.
Des opposants russes à l’Assemblée nationale
Le député de La France insoumise, Arnaud Le Gall, a réuni, le 17 mai 2023, à l’Assemblée nationale, six représentants de la gauche, exfiltrés de Russie avec l’aide du Quai d’Orsay et de l’Élysée.
Se fondant sur de récentes études sociologiques, Alexey Sakhnin, membre de la coalition Socialistes contre la guerre, affirme que les adhérents à la guerre sont riches et âgés tandis que les partisans de la paix sont précaires et jeunes, quel que soit leur niveau d’études. Il cite des actes individuels de résistance : échapper à la conscription, déserter, se révolter sur la ligne de front (vingt émeutes de soldats ont été recensées), ou saboter (cent centres de recrutement ont été incendiés, trois cents voies ferrées ont été dégradées), actes souvent commis par de très jeunes gens, dont un tiers de mineurs.
Liza Smirnova, membre de la coalition Socialistes contre la guerre, insiste sur les craintes d’un pouvoir sur ses gardes face au mouvement d’opposition à la guerre dont témoignent les 20 000 personnes arrêtées, les dizaines de cas de torture, les 500 poursuites pénales et les 6 500 poursuites administratives engagées ainsi que les dispositions législatives échafaudées pour disqualifier les opposants.
Réfugié en Allemagne, Sergei Tsukasov s’emploie à fédérer les anciens élus russes opposés à la guerre et exilés à travers l’Europe.
Maria Menshikova, qui appartient au groupe de soutien au mathématicien Azat Miftakhov [15] emprisonné pour appartenance à un réseau anarchiste et terroriste inventé de toute pièce par le FSB, se réjouit : « Les médias occidentaux prennent de plus en plus en considération les actions radicales anti-guerre, les seules désormais possibles dans une Russie totalement cadenassée. ».
Irina Shumilova avait, dès le début de la guerre, organisé à elle seule une micro-manifestation, c’est-à-dire un piquet de protestation solitaire. D’abord partie en Asie centrale puis en Turquie, elle a pu rallier la France grâce au syndicat FO et à LFI. Elle constate « Les revenus de la population russe sont en baisse tandis que le capital cumulé des oligarques a augmenté de 150 milliards de dollars. La Russie compte vingt-deux milliardaires de plus qu’avant la guerre. »
Les six militants estiment que la paix ne sera acceptée par la société russe que si les responsables de la guerre, le gouvernement et ses relais, sont punis et si les États occidentaux ne s’ingèrent pas dans les affaires russes [16].
Club démocratique russe
La fondation Russie-Libertés organise régulièrement des réunions. Le 24 mai 2023, s’est tenue à Paris la première réunion du Club démocratique russe qui rassemble une trentaine d’exilés opposants à Poutine, dans la perspective de sa succession. Y assistaient des chercheurs des militants des droits humains et des députés, dont Bernard Guetta, qui s’est déjà impliqué dans le soutien aux démocrates russes. « Arrêter cette guerre est l’objectif qui nous réunit tous. », a commenté Mikhaïl Khodorkovski, président du Comité antiguerre de la Russie. Les participants reconnaissent que la Crimée est ukrainienne, que l’Ukraine doit recevoir des compensations et qu’il faut rétablir les relations avec l’Occident. Ils se préoccupent des prisonniers politiques, des centaines de milliers d’exilés qui ont fui la mobilisation. Parmi eux, « il y a beaucoup de suicides, de familles détruites, des tendances à l’alcoolisme et à l’usage de drogue. », déplore Guennadi Goudkov, président de l’ONG For free Russia. Il souhaite que les forces démocratiques se coordonnent « car leur rôle sera essentiel pour reconstruire la Russie démocratique après la guerre. » La journaliste Marina Ovsiannikova, réfugiée en France après sa manifestation sur le plateau de la télévision russe, craint un empoisonnement et évite le buffet. « Mes gardes du corps m’ont interdit d’y toucher. »
Un nouveau procès du politicien opposant à Poutine, Alexeï Navalny s’est ouvert le 31 mai 2023. Le bureau du procureur lui a officiellement fourni 3 828 pages de descriptions de « crimes qu’il a commis alors qu’il était déjà en prison [17]. » Malgré les convergences de vue, les équipes de Navalny n’ont pas ratifié les décisions du Club démocratique russe et restent concentrées sur la lutte contre la corruption en Russie.
Les opposants doivent se réunir à nouveau en juin et en septembre [18].
Hiroshima
Le sommet du G7 s’est tenu à Hiroshima à partir du 19 mai 2023. Le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, dont la famille est originaire de la ville, et qui y est élu, voulait inciter ses invités, notamment le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, qui possèdent ensemble des milliers d’ogives nucléaires, à s’engager à faire preuve de transparence sur leurs stocks et à réduire leurs arsenaux.
Des étudiants d’extrême-gauche ont manifesté contre le sommet. « Ne vous laissez pas berner », recommande Ayano Matsumoto à RFI [19]. « Stopper la guerre en Ukraine, ce n’est pas du tout l’ambition des chefs d’État du G7. Tout ça, c’est un énorme mensonge. Ils veulent une nouvelle guerre froide. Regardez, ils passent leur temps à livrer des armes et des tanks à l’Ukraine. Tout ce qu’ils veulent, c’est que ça continue ».
Alimenter la guerre pour maintenir la paix, ça n’a pas de sens, crient les militants. D’ailleurs, il y a, selon eux, beaucoup plus simple et moins dangereux pour arrêter le conflit : « Il suffit que les cheminots cessent le travail, qu’ils sabotent les livraisons d’armes ou de nourriture en Russie, qu’ils se mettent en grève et que tous les travailleurs concernés les rejoignent. Si tout le monde s’y met, ça ne pourra plus continuer ».
Wagner
Rendu à la liberté, comme promis, après avoir combattu pendant huit mois pour Wagner, un ancien prisonnier se confie à un journaliste. Il a été emprisonné après une tentative de meurtre sur une femme et deux enfants qu’il a tenté de brûler. Il a accepté le recrutement de Prigojine pour éviter les dix ans qui lui restait à purger. Sur les 86 prisonniers de sa colonie qui ont fait de même, seuls une vingtaine sont revenus. « Je suis revenu vivant parce que je suis un sniper, donc à l’écart du danger. Ma mission consistait à viser entre les deux yeux. […] C’est un miracle si j’ai survécu, Dieu était avec moi. […] Quant aux civils [de Bakhmout], on nous a donné l’ordre de tous les liquider, vieillards, grands-mères, enfants… […] Ils auraient pu être armés, avoir des explosifs sur eux. […]
Je ne me sens pas de retourner vivre chez moi. J’ai tiré sur des gens, je les ai tués et si jamais je pète un plomb, j’ai une dispute avec ma femme, je ne sais pas ce qui pourrait se passer. J’ai peur de moi-même [20]… »
À propos de Wagner, le député communiste et ancien général, Viktor Sobolev, s’étonne : « Je ne comprends pas le rôle de cette organisation. À mes yeux, l’État - nous avons bien un État ! - doit conserver un monopole absolu sur l’utilisation des forces armées. » En réponse, Prigojine l’a traité de « grande gueule en carton » et des mercenaires de Wagner ont menacé de le violer sur la place Rouge.
Prigojine propose aussi l’introduction de la loi martiale, la mobilisation générale, de « fusiller 200 personnes comme aurait fait Staline » et de « vivre quelques années sur le modèle de la Corée du Nord [21]. »
Le 1 hebdo consacre un numéro à « Wagner, le bras armé de Poutine » [22]. Il y cite Le Prince de Machiavel : « Le prince dont le pouvoir n’a pour appui que des troupes mercenaires ne sera jamais ni assuré ni tranquille ; car de telles troupes sont désunies, ambitieuses, sans discipline, infidèles, hardies envers les amis, lâches contre les ennemis ; et elles n’ont ni crainte de Dieu, ni probité à l’égard des hommes. »
Dans le même numéro, Thomas Schlesser, historien de l’art, étudie « L’art de réclamer des armes », depuis la Première guerre mondiale, avec ses constantes, comme le doigt pointé de la célèbre affiche de l’Oncle Sam jusqu’aux revendications ordurières de Evguéni Prigojine.
Toujours dans Le 1 hebdo, Sylvain Cypel rappelle comment la société privée militaire américaine Blackwater a précédé Wagner y compris dans l’enrichissement et les crimes, en particulier en Irak [23].
Orthodoxie
« Depuis le débit de la guerre, choisir son affiliation religieuse est devenu un moyen pour les civils d’afficher leur soutien à Kiev et d’exprimer une position politique. », constate la professeure Catherine Wanner, spécialiste de la religion en Ukraine. De moins en moins de croyants restent fidèles à l’Église orthodoxe soumise au patriarche belliciste de Moscou. 700 paroisses sont passées du patriarcat de Moscou à celui de Kiev. Mais des ecclésiastiques ont fui chez l’envahisseur au début de la guerre. Des poursuites et des condamnations ont frappé des prêtres collaborateurs. L’un d’eux a été échangé contre 28 prisonniers ukrainiens.
L’abbé d’un monastère, surnommé Pavlo Mercedes pour son goût des belles cylindrées, est accusé d’incitation à la haine religieuse et d’approbation de l’invasion russe. Il a été assigné à résidence dans sa luxueuse villa en marbre de 600 mètres carrés construite sur un terrain acquis illégalement [24].
Une propagande embrouillée et sans doute contre-productive
L’armée ukrainienne tente de recruter à l’aide d’un clip vidéo où un militaire invoque « Dieu, notre Père, protégez-nous [25]. » L’armée s’adresse sans doute au dieu des orthodoxes. Le président Zelensky est, paraît-il, juif. Contre l’avis affiché des USA, des chars américains pénètrent d’Ukraine sur le territoire de la Russie qui prétend dénazifier son pays voisin.
Les combattants appartiennent à deux groupes. Le premier est constitué de transfuges de l’armée russe de la légion Liberté de la Russie, coordonnée sur le plan politique par Ilia Ponomarev, un ancien député du Parti communiste russe. Alors qu’il défendait Bakhmout, « César », le porte-parole de la légion, a raconté « Au premier jour de la guerre, mon cœur, le cœur d’un vrai homme russe, d’un vrai chrétien, m’a dit que je devais venir ici pour défendre le peuple d’Ukraine. ». « Je mène un noble combat et je fais mon devoir militaire et chrétien ; Je défends le peuple ukrainien. Et quand l’Ukraine sera libre, je porterai mon épée en Russie pour la libérer de la tyrannie [26]. »
Le deuxième groupe de combattants est le Corps des volontaires russes, dirigé par Denis Nikitine (Kapoustine, de son vrai nom), une figure du milieu hooligan et des mouvances néonazies de Russie et d’Allemagne [27]. Pour ces volontaires, mélange de tsaristes, néonazis, suprémacistes blancs et traditionalistes, la guerre menée contre l’Ukraine est fratricide et la Russie multiethnique de Poutine est une menace pour la race blanche [28].
L’insoumission à prix d’or
Le journal Ukrainska Pravda surnomme sarcastiquement « le bataillon Monaco » les riches Ukrainiens en âge d’être mobilisés qui ont fui leur pays par dizaines, avec leurs proches et leurs voitures de luxe, pour vivre de longues vacances dans des villas à la mesure de leurs fortunes, entre Nice et Monaco. D’autres ont préféré les Émirats arabes unis, Bahreïn, l’Autriche ou l’Italie.
Le journaliste d’Ukrainska Pravda a créé le scandale, dans son pays et parmi les réfugiés contraints, en filmant, sur la Côte d’Azur, le jogging d’un député et de l’ancien directeur de la protection économique au sein de la police nationale, puis dans les Alpes françaises les sports d’hiver d’oligarques.
La plupart des demeures de la Côte d’Azur ont été achetées par des sociétés civiles immobilières domiciliées dans des paradis fiscaux. Des intermédiaires proposent la location de villas et de voitures. L’Ukrainien le plus fortuné du pays a acheté une bâtisse de 1 700 mètres carrés avec 14 hectares de terrain, ancienne propriété du roi des Belges Léopold II. La police municipale de Saint-Jean-Cap-Ferrat est intervenue quand deux gardes de sécurité privée se sont postés devant une villa, armés de kalachnikovs. Dans cette ville, seuls deux réfugiés sont déclarés. « Les autres ne veulent visiblement pas qu’on sache qu’ils sont là. », commente le directeur des services de la ville.
Les autorités ukrainiennes viseraient deux frères, personnalités du monde du football et importateurs d’alcool et de tabac, qui loueraient à l’année une suite à l’hôtel Monte-Carlo Bay Hotel pour environ deux millions d’euros. De riches Ukrainiens sont liés au pouvoir russe. Karina Degtyar est la fille d’un politicien du Parti (pro-russe) des régions, qui a acheté de la viande avariée pour son usine alimentaire.
Les oligarques prétendent fournir des aides humanitaires et militaires à leurs concitoyens.
Seyar Kurshutov, un homme d’affaire de Crimée, vivant à Kiev depuis 2014, récolte, avec l’aide d’inconnus, des preuves de pots-de-vin de plusieurs milliers de dollars qui ont permis à ses concitoyens – 10 000 hommes, évalue-t-il – de quitter illégalement l’Ukraine. Il a reçu, en mars 2022, une photo de plusieurs valises de billets saisies à la frontière hongroise. Les douaniers ukrainiens n’auraient « pas remarqué » ce transit de plus de 28 millions de dollars opéré par l’épouse d’un ancien député.
Le lanceur d’alerte a découvert qu’un ancien député, déclaré mort par son épouse en 2022, a échappé à la conscription en fuyant en Roumanie, à pied, à travers champs.
Toutes ces révélations ne sont pratiquement pas suivies de poursuites judiciaires. Le philosophe ukrainien, Mikhaïl Minakov, constate : « Le chef de l’administration présidentielle et numéro deux de Zelensky a déclaré publiquement que ce n’était “pas le bon moment”. » Il raconte que, lors d’une perquisition chez un propriétaire de plusieurs chaînes de télévision, soutien du président, « avant d’entrer chez lui, les enquêteurs ont enlevé leurs chaussures. Ces oligarques ne sont définitivement pas traités comme le reste de la population » [29].
Selon Nice Matin, des voitures immatriculées en Ukraine, qui n’appartiennent pas nécessairement aux oligarques, ont été dégradées avec la mise en garde « Go home, deserter » ou la lettre Z [30].
Lassitude
Grégoire Leménager écrit dans L’Obs [31] « Tout passe, tout lasse, certes. Même la guerre, même lorsqu’elle déroule son cortège d’atrocités dans un pays proche et menace de faire exploser l’ordre mondial. Il faut bien vivre. Payer ses factures, qui s’alourdissent. Protester contre une réforme des retraites mal fichue. Regarder le printemps qui est si beau. Et même dormir. »
Le 14 mai 2023, dans l’émission « C Politique » sur la Cinq, l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau déclare « Que les Ukrainiens ressentent de la lassitude après quinze mois de guerre, ils en ont le droit. Mais nous, aucunement. […] Le sort de millions de personnes est en jeu, en Ukraine, en Russie. Le nôtre l’est également. […] Il y a une sorte de déni de réalité, refus du retour du tragique guerrier. […] Il y a aussi une préoccupation écran : la question des retraites. […] Cette guerre surdétermine toutes les autres questions. […] Nous n’avons pas encore compris l’importance vitale de ce conflit pour nous […] pas seulement pour les Ukrainiens et les Russes. »
Résistants russes contre la guerre de Poutine
Une exposition
L’association Russie-Libertés, le mouvement Résistance féministe anti-guerre et Memorial ont organisé à Paris l’exposition « En Russie, des femmes contre la guerre, au risque de leur vie ».
Lors du vernissage, Tamilla Imanova, avocate de Memorial énumère les noms de prisonnières politiques : « Valeria Goldenberg, retraitée. Deux ans de colonie pour avoir déversé de la peinture rouge sur la tombe d’un soldat russe. Victoria Petrova, 29 ans, manager, accusée de diffusion d’"informations sciemment fausses" sur les actes et l’utilisation des forces armées russes, elle se trouve en détention depuis le 6 mai 2022… ». Entre mars et avril 2022, V. Petrova a fait, sur le réseau social russe VKontakte, quatre publications anti-guerre, dont des partages de vidéos d’opposants au régime. Elle encourt jusqu’à dix ans de prison. Quelques semaines après l’ouverture de l’exposition, elle a été visée par une expertise psychiatrique, pour avoir proclamé sa position anti-guerre auprès de ses voisines de cellule.
Natalia Morozova, une autre avocate, et Tamilla Imanova, ont dû fuir leur pays quand une répression sans précédent y a commencé, au moment de l’offensive en Ukraine. La première analyse : « La terreur poutinienne est comparable à la terreur stalinienne. Certes, on ne fusille personne en Russie aujourd’hui, il n’y a pas de peine de mort, et il y a moins de prisonniers politiques. Mais comme dans les années 30, [cette répression est] totalement aléatoire. » C’est ainsi que « les autorités russes créent l’autocensure. »
Varia Iakovleva a peint Lina Barabach à partir d’une photo qui représentait une action de la militante : enchaînée, elle affichait un texte qui appelait les militaires, mais aussi les forces de l’ordre, à ne pas devenir Gruz dvésti (« Cargo 200 »), expression utilisée pour désigner le transport des dépouilles des soldats. Après avoir elle-même participé à des actions contre l’invasion de l’Ukraine, la peintre a été contrainte de quitter son pays en été 2022 : elle avait « du mal à respirer », « une réaction physiologique à la propagande massive, aux mensonges et à la violence ».
« Au moment où je suis entrée dans le studio, ce qui allait m’arriver, à titre personnel, n’avait plus aucune importance », se rappelle Marina Ovsiannikova, qui est présente. C’est la journaliste qui a brandi, le 14 mars 2022, une pancarte anti-guerre en plein journal de la première chaîne de l’État russe. Elle s’émeut : « Je peux très bien m’imaginer comment ces jeunes femmes doivent tressaillir au son des menottes qui se ferment sur leurs poignets, comment les surveillantes arrachent leurs bijoux, avec tant de haine, les forcent à se dénuder entièrement et à se tourner face au mur, puis leur envoient des jets d’eau froide. »
Selon l’ONG russe OVD-Info, au moins 32 personnes ont subi des « actes de torture et/ou de violence. » Parmi elles, Alexandra Kalujskikh, une activiste féministe et queer, qui, le 6 mars 2022, a été torturée dans les locaux de la police.
« Je n’ai pas de mots pour décrire ce que je ressens, confie Nadejda Skotchilenko en dévisageant le portrait de sa fille Alexandra. J’essaie de ne pas imaginer ce qu’elle traverse, ce qu’elle a déjà traversé. Car elle doit endurer tant de choses » « L’amour, je pense est le mot. Et le désir qu’elle soit libre », conclut-elle. Sa fille risque jusqu’à dix ans de prison pour avoir remplacé les étiquettes des prix dans un supermarché par des messages sur le bombardement du théâtre de Marioupol par l’armée russe. « Aujourd’hui, nous avons enfin la possibilité de lui transmettre quelques médicaments, qui l’aident. »
Natalia Morozova s’indigne : « Ces personnes sont détenues dans des conditions terrifiantes. Car le SIZO russe est quelque chose qui, en Europe, serait inimaginable : dans une cellule pour dix personnes, vingt personnes sont détenues. C’est-à-dire qu’au lieu de vingt lits, il n’y a que dix lits. »
Le 25 avril 2023, une femme malade de 65 ans, Marina Novikova, a demandé lors de son procès une peine de prison ferme, en affirmant qu’elle n’a pas les moyens de payer l’amende, même minimale, s’élevant à 700 000 roubles (environ 8 300 euros) [32]. Elle est quand même condamnée à une amende d’un million de roubles [33].
Evguéni Roïzman
Evguéni Roïzman a un passé trouble dont trois ans derrière les barreaux pour vols, cambriolages et fraude. De cette époque, il garde le vocabulaire argotique des bas-fonds. Élu maire d’Ekaterinbourg, il a mené avec la pègre des campagnes anti-drogue qui incluaient « certaines mesures extrêmes, telles que faire défiler les trafiquants de drogue présumés dans la rue avec des pancartes autour du cou, incendier les maisons de ceux qui seraient trafiquants de drogue et tabasser les trafiquants de drogue et les consommateurs présumés [34]. » Ses actions avaient des relents racistes à l’égard des communautés locales rroms et tadjikes [35].
Après son mandat, Evguéni Roïzman, a qualifié de « guerre » et de « triomphe du mal » « l’opération spéciale » menée par le Kremlin en Ukraine, et l’a abondamment critiquée sur les réseaux sociaux. Il se déclare partisan d’une presse et d’élections libres et d’une justice indépendante. En août 2022, il a été arrêté par une dizaine d’hommes en armes, puis relâché. Le 18 mai 2023, il a été condamné pour discrédit de l’armée à une amende de 260 000 roubles, soit environ 3 000 euros. Il encourait cinq ans de prison. Pour des faits similaires, Ilia Iachine et Vladimir Kara-Mourza, ont été condamnés à huit ans et demi et 25 ans de prison. Sa peine est donc modérée. Elle est conforme à la requête du procureur, qui l’a lui-même qualifiée d’« inattendue » et de « végétarienne ».
« Je ne regrette rien et je n’ai peur de rien, a affirmé Roïzman face au tribunal. Personne ne peut m’enlever le droit de dire ce que je pense [36]. »
Reconnaissance faciale
Les autorités de Moscou utilisent désormais les caméras de reconnaissance faciale, très répandues dans la capitale russe, pour localiser d’éventuelles recrues militaires. L’agence de presse officielle TASS a indiqué que les caméras sont utilisées pour identifier le lieu de résidence des conscrits. Les hommes âgés de 18 à 27 ans sont tenus d’effectuer un service militaire pendant un an. Jusqu’à présent, cependant, de nombreux conscrits ont pu s’échapper [37].
Allemagne
Droit d’asile
Le nombre de demandeurs d’asile russes augmente en Allemagne. Selon les chiffres de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés, ils ont été 2 381 entre janvier et mars 2023. L’agence attribue cette augmentation à la mobilisation de Moscou dans la guerre contre l’Ukraine.
Il y a eu une augmentation significative du groupe d’âge des hommes et des femmes de 19 à 30 ans en provenance de Russie, et la proportion d’hommes demandeurs d’asile en provenance de Russie est passée de 59 à 64 %. Environ 27 % des demandeurs d’asile russes ont reçu une protection en 2023. L’année précédente, le taux était d’environ 18 % [38].
Manifestation pour la protection des réfractaires
Le 15 mai 2023, Journée internationale de la lutte pour les objecteurs de conscience, environ 80 personnes ont manifesté devant le bureau de la Commission européenne à Berlin, pour la protection des objecteurs de conscience de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine. Des pacifistes des trois pays ont pris la parole. Yurii Sheliazhenko du mouvement pacifiste ukrainien était connecté depuis Kiev où il fait campagne pour des actions de résistance non violentes. 50 000 personnes ont signé un appel pour que les déserteurs et les objecteurs de conscience reçoivent protection et asile en Allemagne.
« Compte tenu de la guerre en Ukraine, nous avons besoin d’un engagement clair de la part du gouvernement fédéral et des institutions européennes » pour que la protection des réfugiés soit garantie en cas de désertion et d’insoumission, a déclaré Rudi Friedrich du réseau pour l’objection de conscience Connection eV [39].
Les affaires continuent
Après le début de la guerre entre la Fédération de Russie et l’Ukraine, le fabricant allemand d’appareils photo Leica Camera AG a annoncé son retrait de Russie. En fait, non seulement la société n’a pas réduit ses activités sur le marché russe, mais elle a commencé à importer des jumelles avec un télémètre laser et des viseurs de vision nocturne dans le pays [40].
Retour en Russie d’un déserteur de Wagner
Réfugié à Oslo depuis janvier 2023 après avoir, au risque de sa vie, traversé illégalement la frontière pour demander l’asile politique, Andreï Medvedev, un repenti du groupe Wagner ayant combattu en Ukraine, annonce à la surprise générale qu’il va retourner en Russie. Il se disait pourtant prêt à témoigner des atrocités commises par ses anciens collègues. « J’espérais trouver la paix et la tranquillité ici, laisser derrière moi la politique, la guerre, l’armée, mais j’ai visiblement échoué. »
« Tu es un homme libre, et tu vis dans un pays libre. C’est ta décision. », lui répond, non sans tristesse, Vladimir Ossetchkine, dont le réseau de défense des droits humains, Gulagu.net, est à l’origine, comme dans le cas d’autres déserteurs russes de haut vol, de son exfiltration. Il n’en est pas à sa première déconvenue. Un autre de ses protégés, l’ancien parachutiste Pavel Filatiev, qu’il a fait venir à Paris en août 2022, est aujourd’hui suspecté d’avoir sciemment omis de parler dans son livre à succès, Zov (traduit en France chez Albin Michel), des exactions de l’armée russe en Ukraine. « Nous ne ferons plus ce genre d’exfiltrations avant de savoir exactement à qui nous avons affaire », affirme Ossetchkine, lui-même réfugié en France [41].
Dix ans de prison pour un mercenaire Kirghiz
Un tribunal de la capitale kirghize a reconnu un accusé coupable de mercenariat au bénéfice de la Russie et l’a condamné à dix ans de prison. Le mercenaire s’était engagé pour recevoir un passeport russe. Les migrants originaires d’Asie centrale, démunis économiquement, loin de leur pays d’origine et généralement russophones, sont devenus des cibles prioritaires de recrutement pour l’armée russe et le Groupe Wagner qui offrent une solde avantageuse ou l’effacement du casier judiciaire à ceux qui souhaitent rejoindre leurs rangs [42].
De la cancel culture à la neutralité complice
Opposées ou non à l’invasion de l’Ukraine, les personnalités russes du monde de la culture se retrouvent dans le viseur d’activistes ukrainiens soutenus par leur gouvernement.
La journaliste russo-américaine Masha Gessen a claqué la porte du PEN America, un club d’écrivains faisant, depuis un siècle, la promotion de la liberté d’expression. Voix remarquée de la communauté LGBTQ russe et critique acerbe de Vladimir Poutine, elle a démissionné du bureau de l’organisation après l’annulation de la table ronde qu’elle devait animer trois jours plus tôt. Deux écrivains ukrainiens et combattants dans les forces armées ukrainiennes avaient boycotté la manifestation en raison de la participation de deux Russes. Pourtant, ceux-ci, Anna Nemzer et Ilia Veniavkine, ont quitté la Russie peu après que leur pays a envahi l’Ukraine et s’opposent de façon claire à l’invasion russe.
Classé en Russie comme agent de l’étranger, l’écrivain et humoriste Viktor Chenderovitch fut le tout premier artiste russe à subir les foudres de Vladimir Poutine en 2002, lorsque son show satirique a été banni de la télévision. Il est membre du Comité anti-guerre de Russie. Des militants pro-ukrainiens ont manifesté contre lui à Vilnius. Chenderovich a tenté de leur parler. Ils l’ont aspergé de ketchup. « Comme Ibsen l’a dit dans la pièce "Ennemi du peuple", "Ne mettez jamais de pantalon neuf quand vous allez défendre la vérité" », a commenté l’écrivain [43]. Peu après, sans explication, la conférence que Chenderovich devait prononcer à l’University College de Londres a été annulée.
Un festival estonien a déprogrammé l’écrivaine russo-israélienne Linor Goralik (exilée depuis 2014). Deux poétesses ukrainiennes ont dénoncé « La soi-disant intelligentsia libérale ayant quitté la Russie. Elle n’est pas allée au front pour se battre du côté ukrainien. Elle n’est pas restée pour lutter contre le régime. Elle ne désire pas la défaite de son pays. »
Un autre boycott a visé le festival Arsmondo, consacré, à Strasbourg, aux arts slaves. Les organisateurs auraient utilisé « les expressions dangereuses de la propagande russe : “monde slave” et “univers slave”. » Le directeur général de l’Opéra national du Rhin, coorganisateur du festival, a répondu avoir « clairement condamné la guerre d’agression de la Russie envers l’Ukraine », sans avoir jamais « mis sur un même plan la victime et l’agresseur [44]. »
La théologienne Anne-Marie Pelletier adresse des reproches au Pape François [45] : « Depuis le début de la tragédie ukrainienne, le Vatican peine à nommer les choses avec justesse et à tenir une position claire, sans évoquer la désinvolture avec laquelle il parle de réconciliation à des Ukrainiens qui vivent sous la terreur russe. De même, le parti pris réitéré du pape de ne se rendre à Kiev qu’à la condition d’aller aussi à Moscou laisse pantois. Comme si, en la matière, nous avions affaire à une guerre mettant symétriquement face à face deux camps adverses dans un conflit qui devrait bien finir par un compromis autour d’une table de négociation. »
Soutenez les réfractaires
Le Parlement européen a organisé le 2 mars 2013 un colloque sur le thème de l’objection de conscience comme droit de l’Homme et en particulier des objecteurs russes. Sont intervenus un expert de la Haute Commission des droits de l’Homme de l’ONU, des juristes d’associations russes de défense des droits de l’Homme et Sam Biesemans, vice-président du Bureau européen de l’objection de conscience (BEOC). Ce dernier a présenté « ObjectWarCampaign », la campagne de solidarité avec les objecteurs et déserteurs de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie créée par le Mouvement international de la réconciliation, l’Internationale des résistants à la guerre, le BEOC et le mouvement allemand « Connection e.V ». En Ukraine et en Russie, les statuts des objecteurs de conscience, reconnus respectivement en 1992 et en 2004, sont suspendus en temps de guerre. La Biélorussie, comme l’Azerbaïdjan et la Turquie, ignore le droit à l’objection de conscience. Plus de vingt mille personnes ont fui l’enrôlement et ont quitté la Biélorussie le plus souvent pour les pays baltes et la Pologne.
En Russie les « Mères des soldats » poursuivent leur travail de solidarité avec la discrétion nécessitée par les menaces de répression. Le Mouvement russe des objecteurs au service militaire et l’association Citizen, Army, Law soutiennent près de trois cents emprisonnés. La Confédération révolutionnaire anarcho-syndicaliste – Association internationale des travailleurs (AIT) organise la solidarité [46].
« La poursuite de la guerre elle-même constitue un échec tragique de la diplomatie et des politiciens, ainsi qu’une victoire sanglante du militarisme et des profiteurs de guerre. La mobilisation militaire et la poursuite de ceux qui s’opposent à la guerre constituent une violation flagrante de leurs droits humains fondamentaux, ainsi que les sanctions européennes aveugles contre tous les Russes, au lieu d’accorder des visas (type C et D) au moins à ceux qui s’opposent à la guerre. », a déclaré, le 12 mai 2023, dans le Rapport annuel 2022/23 du BEOC, sa présidente Alexia Tsouni.
« Le BEOC dénonce tous les cas de recrutement forcé voire violent dans les armées des deux camps, ainsi que tous les cas de persécution des objecteurs de conscience, des déserteurs et des manifestants anti-guerre non violents. Le droit à l’objection de conscience au service militaire est inhérent au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, garanti par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel il ne peut être dérogé même en période d’actualité publique d’urgence, comme indiqué à l’article 4(2) du PIDCP.
Le BEOC appelle la Russie à libérer immédiatement et sans condition toutes ces centaines de soldats et de civils mobilisés qui refusent de s’engager dans la guerre et sont illégalement détenus dans un certain nombre de centres situés dans des zones ukrainiennes contrôlées par la Russie. Les autorités russes auraient recours aux menaces, à la violence psychologique et à la torture pour forcer les personnes détenues à retourner au front.
Le BEOC appelle l’Ukraine à annuler immédiatement la suspension du droit de l’homme à l’objection de conscience, à libérer et à renvoyer honorablement les objecteurs de conscience pacifistes chrétiens Vitaly Alekseenko (emprisonné dans la colonie pénitentiaire n° 41 de Kolomyiska) et Andrii Vyshnevetsky (détenu dans l’unité de première ligne des forces armées de l’Ukraine), ainsi qu’à acquitter tous les objecteurs de conscience , y compris les pacifistes chrétiens Mykhailo Yavorsky et Hennadii Tomniuk. L’Ukraine devrait garantir le droit à l’objection de conscience au service militaire, y compris en temps de guerre, en respectant pleinement les normes européennes et internationales, notamment les normes établies par la Cour européenne des droits de l’Homme.
En Europe, la conscription est toujours en vigueur dans 18 États, dont 16 États membres du Conseil de l’Europe (CdE). Ce sont : l’Arménie, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la Géorgie (réintroduite en 2017), la Grèce, la Lituanie (réintroduite en 2015), la Moldavie, la Norvège, la Russie (ancien État membre du CdE), la Suède (réintroduite en 2018), la Suisse, la Turquie, l’Ukraine (réintroduite en 2014) et la Biélorussie (État candidat au Conseil de l’Europe) [47]. »
Le Bureau européen de l’objection de conscience a organisé la première en ligne du film Make art, not war ! [48]. Le film a été réalisé avec des objecteurs et des pacifistes ukrainiens, russes, biélorusses et finlandais grâce à la coopération de mouvements de ces pays. Réalisé pendant la guerre, il synthétise des chefs-d’œuvre interprétés en ukrainien, russe et biélorusse et sous-titrés dans trois autres langues [49].
ObjectWarCampaign invite à signer, par courrier électronique, une pétition adressée à Ursula von der Leyen, Roberta Metsola et Charles Michel, qui sont responsables, à l’échelle de l’UE, de la mise en œuvre des réglementations sur la protection et l’asile. L’objectif est que les déserteurs et objecteurs de conscience en provenance de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine disposent de protection contre la persécution, l’emprisonnement et le recrutement pour la guerre. Signez ici.
Tu vas les mettre au monde, les élever, puis ils les enverront à la guerre et les tueront
Novaïa Gazeta publie un reportage sur la famille de Nurzia Latypova, une retraitée du village d’Iksanovo dans la région russe de Tcheliabinsk [50].
Son fils cadet, Rishat, était un partisan de « l’opération militaire spéciale » dès le premier jour et a collé un symbole Z sur sa voiture. Il s’est engagé volontairement dans la milice Wagner. Quand elle l’a accompagné au point de rassemblement, il lui a dit : « Maman, je n’aurais jamais pensé que tu serais celle qui me conduirait à la guerre. ».
Le certificat de décès du jeune homme indique ce qui suit : « mort causée par de graves brûlures de parties du corps à la suite d’une explosion d’obus thermobarique ». Lieu de décès : la « république populaire » autoproclamée de Donetsk.
« Lorsque le cercueil de zinc est finalement arrivé, on nous a dit de ne pas révéler publiquement que notre fils avait été tué lors de l’opération spéciale. » se souvient Nurzia. « Mais pourquoi ? Il est mort au service de l’État. Pourquoi sommes-nous censés garder le secret sur sa mort ? Y a-t-il une sorte de menace sur nous ? Je ne comprends pas. »
Wagner a donné à la famille de Rishat 100 000 roubles [1 100 €] pour organiser les funérailles et cinq millions de plus [55 300 €] en réparation du décès. Dans la vie civile, le défunt avait un salaire mensuel de 35 000-40 000 roubles. Pour les deux mois qu’il a officiellement passés chez PMC Wagner, sa femme a reçu 300 000 roubles [3 300 €], bien qu’un salaire plus élevé ait été initialement promis.
La fille de Rishat a sept ans. Quand on lui parle de bébés, elle répond : « Ouais, tu vas les mettre au monde, les élever, puis ils les enverront à la guerre et les tueront. ».
Après le décès de son fils, Nurzia continue à lui envoyer des messages : « Rishat, pardonne-moi. Pardonne-moi de t’avoir laissé aller à cette guerre. »
Elle a écrit une lettre au président Poutine à propos de son autre fils : « Vladimir Vladimirovitch ! ...En tant que mère, je vous demande de libérer mon fils, mon fils unique désormais, de son devoir militaire dans l’opération militaire spéciale et de le laisser retourner dans sa famille. Il est maintenant mon seul espoir et le seul soutien non seulement pour sa propre famille, mais aussi pour ma famille et la famille de son jeune frère. »
Réponse du ministère de la Défense : « Les contrats militaires signés par les militaires sont actifs pendant toute la période de mobilisation. »
Pub
Sur VK qui est le plus grand réseau social de Russie, Novaïa Gazeta a trouvé 75 000 publicités encourageant les Russes à se rendre sur le champ de bataille. 75 % d’entre elles ont été publiées en mars et en avril 2023. Ces annonces sont affichées dans les hôpitaux, les agences pour l’emploi, les bibliothèques, les métros et même les jardins d’enfants. « Le service militaire, c’est la stabilité et la confiance dans la vie ! »
Des employés de « Security », une agence privée près de Moscou et une entité de la Garde nationale, surveillent les installations civiles. Ils ont reçu des offres pour se lancer dans un « voyage d’affaires » à Lougansk, avec un horaire de « 24 heures de travail et 72 heures de repos ». La récompense offerte était supérieure de l’équivalent de 1 000 euros au salaire normal, sans compter les indemnités de décès et de blessures.
Une enseignante raconte qu’elle fait venir d’anciens élèves, maintenant soldats, à son cours de « conversation sur les choses importantes ». « Je leur ai demandé de dire à nos enfants quels sont les salaires, les avantages sociaux, le logement et les repas que reçoivent les militaires. L’intérêt de telles rencontres est d’expliquer aux lycéens que le service militaire est une véritable opportunité de carrière. » Il n’y a que six adolescents qui étudient dans cette école : une fille et cinq garçons. Deux d’entre eux ont déjà décidé de signer un contrat avec le ministère de la Défense après l’obtention de leur diplôme.
Des messages promotionnels pour le service militaire sont apparus dans des comptes de jardins d’enfants. Parmi les avantages énumérés pour ceux qui signent un contrat avec le ministère de la Défense : des camps d’été offerts aux enfants.
Le chef de PMC Wagner a annoncé l’ouverture de 42 centres de recrutement dans tout le pays. « Envie d’une expérience inoubliable et utile et de vous faire de nouveaux amis ? L’agence de voyages PMC Wagner propose les circuits les plus populaires en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. »
Wagner signe des affiches sur les bus « Ensemble, protégeons le monde de la vermine » [51].
Campisme
Le campisme est cette idéologie de « camp contre camp » selon laquelle la lutte contre l’impérialisme de l’OTAN implique, au minimum, la tolérance à la politique de Vladimir Poutine. Quelques exemples :
La Fédération syndicale mondiale, à l’occasion du 1er mai 2023, évite de citer la responsabilité de la Russie et de désigner l’Ukraine comme victime, elle prétend lutter pour des principes que Moscou bafoue et elle condamne les sanctions qui frappent le pays agresseur : « La bourgeoisie veut que la classe ouvrière paie également le prix de la guerre impérialiste des États-Unis, de l’OTAN et de l’UE avec la Russie en Ukraine. Nous réitérons notre ferme solidarité internationaliste avec les peuples qui souffrent. Nous exigeons la fin de la guerre en Ukraine, l’élimination de toutes les guerres impérialistes, le désengagement et le démantèlement de l’OTAN et de toutes les coalitions militaires, ainsi que l’abolition des armes nucléaires. Nous intensifions notre lutte pour garantir le droit des peuples à vivre en paix et à déterminer librement et indépendamment leur présent et leur avenir. Nous luttons pour mettre un terme aux guerres économiques et aux sanctions qui servent à promouvoir les intérêts impérialistes étrangers dans des pays souverains et indépendants [52]. »
En suivant des liens, on passe aisément du site de la Fédération syndicale mondiale à celui du Réveil communiste qui s’autodéfinit ainsi : « Le blog est communiste, non-repenti, et orthodoxe (comme ils disent). Il défend l’honneur du mouvement ouvrier et communiste issu de la Révolution d’Octobre, historiquement lié à l’URSS quand elle était gouvernée par Lénine et par Staline, mais sans fétichisme ni sectarisme. ». Gilles Questiaux y écrit : « Il est clair que c’est la Russie qui a déclenché la guerre le 24 février contre le régime de Kiev. Il n’en est pas moins clair que la cause de cette guerre réside dans la volonté expansionniste de l’OTAN. Qu’il ne faut pas oublier que l’Ukraine est en guerre civile et en voie de nazification depuis le coup d’État de 2014. Dans ces conditions il faut réfléchir à deux fois avant de prendre parti "pour le camp du bien". […]
Il ne faut pas oublier qu’avant que les nazis lancent l’épuration ethnique à grande échelle en 2014 environ la moitié des Ukrainiens étaient des Russes ethniques (la seule différence entre les deux peuples étant la langue). Que les habitants de Marioupol que les Ukrainiens ont pris en otage sont russes. […]
GQ 17 mars 2022, relu le 10 mai 2023 [53] »
On voit que la revendication de l’orthodoxie stalinienne n’a rien de fortuit.
Un article du même site mentionne que « Le 1er mai [2023], la Marche de la Paix a défilé dans les rues de Varsovie pour manifester son opposition à l’entrée en guerre de la Pologne à l’Est et à la mise en œuvre de la politique américaine par les autorités polonaises. […] Les banderoles et des slogans affichés étaient entre autres les suivants : "Non à la guerre avec la Russie", "Ici, on est en Pologne !", "Diplomatie oui, non aux sanctions !", "Non à l’OTAN !", "Non à la guerre !", "Oui à la paix !", "Arrêt de la guerre !", “Le gouvernement au front !”, “Une seule Chine !” [54]. »
Reddition
Une vidéo diffusée sur Telegram montre, vu d’un drone, un soldat russe implorant les militaires ukrainiens de ne pas le bombarder. Le soldat met ensuite à exécution les consignes d’un message largué du drone pour sa reddition. Guidé par l’engin, il parcourt les tranchées jusqu’au camp ukrainien où il est mis en détention [55].
Piratages
Alors que Vladimir Poutine s’exprimait en direct à la télévision russe, le 9 mai 2022, des pirates ont diffusé plusieurs messages anti-guerre sur l’écran de ceux qui suivaient l’évènement depuis le web. Les bandeaux d’information et les noms des différents programmes avaient été remplacés par ce message : « Le sang de milliers d’Ukrainiens et de centaines de leurs enfants est sur vos mains. La télévision et les autorités vous mentent. Non à la guerre. » [56]
Le 9 mai 2023, alors que l’armée russe paradait à l’occasion du Jour de la Victoire qui célèbre la fin de la guerre contre le régime nazi, certaines chaînes de télévision ont à nouveau été piratées.
La plateforme russe Rutube, similaire à YouTube, a été rendue totalement inaccessible. Les contenus hébergés auraient été détruits en grande partie, voire en totalité et le site serait en l’état irrécupérable [57].
Le quotidien Le Parisien a dénoncé le 11 mai 2023 les pratiques d’un site internet usurpant son nom et copiant sa charte graphique pour diffuser de fausses informations, notamment sur la guerre en Ukraine et favorables à la Russie. L’ancien sénateur complotiste et pro-russe Yves Pozzo di Borgo a déjà relayé ces informations trompeuses à ses quelque 100 000 abonnés [58].
Immobilier
Des résidences de haut de gamme sont bradées, en particulier à Saint-Pétersbourg et Moscou où les prix sont en baisse respectivement de 30 et 40 %. Depuis l’agression de l’Ukraine, les taux d’emprunt ont augmenté et dissuadent les acheteurs. Les Russes qui ont fui à l’étranger veulent se défaire de leurs actifs mais certains craignent pour leur sécurité en cas de retour et les procurations établies à l’étranger ne sont pas valides en Russie [59].
Lyudmila Narusova
Sur 170 membres du Conseil de la Fédération de Russie (la chambre haute du Parlement), seule la sénatrice de Touva, Lyudmila Narusova a voté contre le projet de loi sur les convocations numériques à l’armée. La Présidente du Conseil a d’abord suggéré qu’elle soit privée du droit à la parole, puis lui a proposé de « prendre une tasse de thé. »
Lyudmila Narusova répond aux questions de Novaïa Gazeta [60]. Extraits :
Vous vous êtes prononcée contre le relèvement de l’âge de la retraite et contre le projet de loi sur le « discrédit des militaires ». Avez-vous des collègues sénateurs partageant les mêmes idées ?
Je suis la seule à voter [contre]. Mais il y a assez de gens qui pensent comme moi. L’élaboration des lois est organisée de telle manière que les gens ont peur d’exprimer leurs opinions, leurs convictions, et encore plus de les défendre. Ils le font [dans des conversations privées], mais ils parlent à voix basse pour éviter d’être entendus ou remarqués.
J’ai reçu un compliment après mon discours, et un compliment très discutable. Un homme très respectable m’a dit ceci : « Tu es la seule parmi nous avec des couilles en acier. ».
Photo : Conseil de la Fédération de Russie
Qu’est-ce que ça fait d’être dans ce rôle à la chambre haute du parlement ?
Ça fait mal. Je vous le dis, cela me détruit de l’intérieur. Mais je me rends compte qu’il est trop tard pour que je change. Et d’ailleurs, c’est ainsi que mon mari Anatoly Sobtchak [maire de Saint-Pétersbourg de 1991 à 1996, ancien patron de Vladimir Poutine] m’a éduquée. C’est pourquoi je me réfère si souvent aux articles de la Constitution. Quand je prends la parole au Parlement, je ne me contente pas d’aboyer, mais je me réfère aux articles de la Constitution qu’il a rédigés : ceux sur les droits de l’Homme. Et je me suis prononcée contre une campagne de diffamation visant les acteurs et les intellectuels créatifs de la même manière. Préserver les idéaux de mon mari, essayer de me battre pour eux, a été mon objectif numéro un pendant toutes ces 23 années après sa mort.
C’est ainsi qu’il m’a éduquée, mon premier professeur de politique. Si quelque chose est écrit dans la Constitution, mais est violé, alors je ne peux pas m’empêcher d’en parler et même de le crier.
Mes électeurs l’entendent, et cela leur donne un signal d’alarme pour une sorte de conscience. Cela crée des lueurs de pensée, des lueurs de doute au milieu de cette psychose de masse. Je crois que c’est la fonction première de ce que je fais.
Mon téléphone est plein de ces commentaires [approbateurs]. Si les gens écrivent des choses comme ça, ça veut dire qu’ils commencent à réfléchir, non ?
Les gens m’abordent dans la rue, dans les théâtres. Dans les magasins aussi. Au pressing hier, une femme m’a abordée : « Mon fils est en âge d’être mobilisé, il suit toute l’actualité, je peux l’appeler ? ». Elle lui a passé un appel vidéo. Le jeune homme a vu sa mère et moi debout à côté d’elle. Il a dit : « Merci beaucoup de nous avoir défendus. ».
Ils vous laissent parler et ne vous mettent pas à la porte du Conseil. Pourquoi ?
Parce qu’il n’y a pas de procédure légale qui permette d’expulser un sénateur. Tout est possible. Je ne suis pas sûr qu’ils ne le feront pas à un moment donné. Je n’ai fait partie d’aucune délégation du Conseil de la Fédération qui s’est rendue quelque part ces dernières années. Pas même le Tadjikistan, pas même une région russe. Il paraît que j’ai mauvaise réputation, c’est pourquoi je ne suis jamais là.
Le rédacteur en chef de la revue parlementaire a refusé mes articles.
Il y a eu un changement dans la conscience publique à un moment donné. J’ai l’impression que cela devient particulièrement clair lorsque je pense aux récentes affaires pénales qui ont fait la une des journaux. Les gens de ma génération et des jeunes générations ont grandi au temps des rassemblements pour la paix. Et maintenant, ils privent une fille de sa famille pour un dessin et son père est condamné à une peine de prison. Comment cela a-t-il pu arriver à la société ?
Oui, comment cela a-t-il pu arriver qu’il y ait un professeur d’école qui signale un enfant à cause d’un dessin anti-guerre ?
C’est comme ça que ça s’est passé : petit à petit, les lois répressives ont d’abord interdit les rassemblements, puis les piquets isolés, puis elles ont même interdit de parler en faveur de la paix. Une femme a été détenue à St. Pétersbourg. Survivante de la Seconde Guerre mondiale et du siège de Leningrad, elle se tenait là avec une banderole indiquant « Non à la guerre ». Comment est-ce possible ?
Je suis perplexe devant le fait que les forces de l’ordre sont prêtes à exécuter de tels ordres et que la société est également d’accord avec cela. D’où vient cette corrosion sociale ?
Michel de Montaigne a écrit ceci : « Le premier signe de la dégradation des mœurs sociales est la disparition de la vérité, car la vérité est sous-jacente à toute vertu. » Et cela a commencé beaucoup plus tôt qu’aujourd’hui ou qu’hier.
Vous aviez certainement le choix : quitter le pays, vous lancer dans une sorte d’« exil intérieur », ou rester en politique ?
Bien sûr, j’ai ce choix maintenant aussi. Mais quitter le pays pour vivre une vie aisée est pour moi inacceptable. En 1997, la campagne de diffamation contre mon mari était si grave que le chef de l’Académie médicale militaire de Kirov, un hôpital où mon mari a été admis après une crise cardiaque, recevait des appels qui disaient : arrêtez de le soigner, laissez-le mourir.
J’ai alors pris toutes les mesures nécessaires pour l’emmener à Paris où il a été soigné et opéré. J’ai passé 21 mois avec lui là-bas après ça. Je sais ce que c’est que de vivre à l’étranger. C’est très douloureux, très difficile et très humiliant. Quitter le pays est inacceptable pour moi. En même temps, je ne condamne pas les personnes qui ont déménagé à l’étranger. C’est important pour moi personnellement, car c’est aussi préserver la mémoire de mon mari. Si je me tais et que je pars en « exil intérieur » ou que je m’installe dans un pays chaud… Au risque de paraître grandiloquente, ce serait trahir la mémoire de mon mari.
Avez-vous peur ?
C’est peut-être mon plus grand drame. Peu de temps avant sa mort, Sobchak, qui a senti le goût de la persécution illégale, a dit au candidat présidentiel Poutine : « La chose la plus importante est que l’application de la loi ne se transforme pas en empiètement sur la loi ».
Un professeur d’histoire de Saint-Pétersbourg a assassiné et démembré son amant avant de jeter son corps dans la rivière dans un sac en plastique, et a été condamné à ? À douze ans de prison pour meurtre cynique avec extrême atrocité. Dans le même temps, une personne qui « discrédite » ou critique l’armée risque vingt ans derrière les barreaux. Pour des mots ! Pas pour des morts, mais pour des mots. C’est à quoi nous a conduit notre justice. Les mots valent plus de temps de prison que le meurtre.
C’est pourquoi je vote contre. Je ne veux pas être complice de toute cette législation militariste.
Place Rouge
Les célébrations de la victoire soviétique sur le nazisme, le 9 mai, sont transformées en un outil de propagande au service de la guerre en Ukraine. La campagne de recrutement fait appel à ce souvenir. À Volgograd, les affiches appellent les hommes à s’engager « pour Stalingrad », l’ancien nom de la ville. Les enfants des écoles et des garderies défilent en habits militaires.
La gouverneure du district des Khantys-Mansis a assuré à des écoliers : « La guerre est amour, la guerre est une amie, la guerre est un avenir [61]. »
Le 9 mai 2023, quelques chefs d’État ou de gouvernement ont assisté au défilé militaire sur le Place Rouge. Outre celui de la Biélorussie, fidèle allié de la Russie, il y avait ceux de l’Arménie, du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan [62], régimes autoritaires, parfois plus critiques du régime de Moscou. Par leur présence, les dirigeants de ces derniers pays ont fait allégeance à Vladimir Poutine. C’est, hélas, souvent chez eux que de nombreux réfractaires à la guerre en Ukraine se sont réfugiés. Pourquoi ? À cause de la proximité géographique et parce que les Russes y sont dispensés de visa. Surtout, parce que l’Occident n’a pas voulu les accueillir comme le méritent ceux qui portent l’avenir démocratique de la Russie.
Biélorussie
Viktar Babaryka
Emprisonné pour quatorze ans depuis juin 2020 pour l’empêcher de participer à l’élection à la présidence biélorusse, Viktar Babaryka a été admis à l’hôpital le 27 avril 2023. Le lendemain soir, il a complètement disparu. Ni l’hôpital ni la prison n’ont pu confirmer sa présence.
On ignore si c’est une maladie qui a nécessité l’hospitalisation ou si la rumeur des mauvais traitements en prison est fondée. Le directeur du pénitencier et le gardien de prison Andey Palchik sont réputés pour battre les prisonniers. « Si cela se produit, une personne peut passer 30 jours ou plus, voire 120 jours en isolement cellulaire avant que les blessures ne soient guéries. », a expliqué aux défenseurs des droits humains Vadim Khizhniakov, un ancien prisonnier politique.
Depuis mars 2022, Viktar Babaryka a le statut d’« individu ayant une grande propension à prendre des otages, à attaquer l’administration pénitentiaire et au hooliganisme. » Ses avocats ont été révoqués par le pouvoir, et leur remplaçant emprisonné. Les autres prisonniers ne sont pas autorisés à communiquer avec Babaryka. Ils peuvent être envoyés à l’isolement pour un simple salut, ou être privés d’une visite ou d’un colis de l’extérieur. « Vous pouvez même dormir à côté d’une personne avec qui vous n’êtes pas autorisé à communiquer. », déplore un prisonnier récemment libéré [63].
Eduard, le fils de Viktar, a été emprisonné en même temps que lui. Alors que le délai légal est largement dépassé, il n’a pas encore été jugé car de nouvelles accusations sont portées contre lui : organisation d’émeutes, évasion fiscale et incitation à la haine ou à la discorde [64]. Il organise régulièrement des conférences sur la mécanique quantique, la physique, la chimie et d’autres sciences naturelles. « Il me semble important de faire comprendre aux gens que le temps de l’incarcération peut devenir un concentré unique de connaissances et d’expériences, de développement personnel et d’avancement. », écrit-il. Dans une interview, en juillet 2022, il commente : « Les deux dernières années sont devenues la période la plus intense en termes de construction de soi à tous les niveaux : physique, intellectuel, émotionnel, moral et personnel. »
Il manque de lumière pour lire facilement. Son avocate, Irina Voronkova, ne peut plus exercer ses fonctions professionnelles et pratiquer le droit. Elle aurait « des qualifications insuffisantes [65]. »
Viktoria Kulsha
La prisonnière politique Viktoria Kulsha a été soumise à des pressions psychologiques et physiques. Elle a souvent été insultée et humiliée, et l’un des gardes l’a battue. Après plusieurs grèves de la faim, elle a eu deux crises cardiaques. En juin 2021, elle a été condamnée à deux ans et demi de prison pour organisation et préparation d’actes portant gravement atteinte à l’ordre public. En juin 2022, elle a de nouveau été condamnée à une année supplémentaire, en vertu d’un article sur la désobéissance malveillante à l’administration de la colonie pénitentiaire. Au total, 34 infractions ont été dénombrées, dont « destruction d’une lettre écrite à sa fille », « aller aux toilettes sans prévenir », un bouton de manteau déboutonné [66].
Enfants déportés
Le Président Alexandre Loukachenko a remis des coffrets cadeaux contenant de la nourriture aux enfants ukrainiens qui ont été emmenés en Biélorussie depuis les territoires occupés de l’Ukraine [67] : « Miel, jus et boissons aux fruits, chocolats sous la marque "Président" et, bien sûr, nos pommes de terre. », s’est félicitée la télévision publique dans un reportage idyllique [68].
Condamné pour une conversation téléphonique privée
Sergueï Vedel, ancien chauffeur d’un haut cadre du ministère russe de l’Intérieur, et donc collaborateur de la police, a été condamné le 24 avril 2023 à sept ans d’emprisonnement pour des propos tenus au téléphone. Vedel était écouté dans le cadre d’une enquête judiciaire sans aucun rapport avec la situation en Ukraine. On lui reproche d’avoir nié à ses proches le caractère nazi du régime ukrainien, d’avoir évoqué les pertes de l’armée russe et d’avoir émis l’hypothèse que le but de l’« opération spéciale » était d’installer un nouveau pouvoir en Ukraine.
Les défenseurs ont fait valoir que l’article du Code pénal qui interdit « la propagation des fausses informations sur l’armée russe » vise en principe des critiques exprimées en public et ne peut s’appliquer à une conversation téléphonique, privée par définition. Pas du tout ! Il y avait du public : l’espion qui écoutait les conversations.
Vétéran de la guerre d’Afghanistan, le père du condamné a assisté au procès en uniforme militaire. Il a commenté le verdict devant les journalistes : « Mon fils n’a fait qu’exprimer son opinion personnelle. Mais on veut aujourd’hui enfermer toute personne qui pense autrement. Toute critique de l’“opération spéciale” est interdite [69]. »
Russie-Libertés
Voici comment se présente Russie-Libertés :
« L’association “Russie-Libertés” a pour principal objectif la défense des droits humains et le soutien au développement d’une démocratie en Russie. Mouvement de la société civile, nous sommes un groupe de citoyens engagés et indépendants. Nous travaillons à informer la société française de manière juste et objective de l’état des institutions russes, des libertés et des droits humains. En France, nous portons la voix et les revendications des représentants de la société civile russe, opprimés par le pouvoir du Kremlin.
Russie-Libertés s’oppose fermement à la guerre en Ukraine. Nous soutenons les mouvements pacifistes anti-guerre russes et prônons la nécessité d’attraire en justice les responsables de cette agression et de crimes de guerre commis par l’armée russe en Ukraine. Nous combattons la propagande du Kremlin en apportant notre soutien aux opposants à la guerre, ainsi qu’aux journalistes et artistes russes indépendants.
Avec Les Nouveaux Dissidents, Desk Russie, La Communauté des Bélarusses à Paris et L’Initiative des Citoyens pour l’Europe (ICE), nous sommes membres du Comité Russie Europe et sommes heureux de compter sur le soutien de nombreuses personnalités françaises et européennes [70]. »
Après la mobilisation de septembre 2022, l’association a adressé une pétition à l’Union européenne :
« […] En agressant l’Ukraine, un pays démocratique et indépendant, Poutine a agressé toute l’Europe et tous ceux qui défendent la démocratie.
Pourtant, beaucoup de Russes ne sont pas prêts à mourir pour une cause qu’ils n’ont jamais soutenue et pour une guerre qu’ils n’ont jamais voulue. Des Russes manifestent et bravent les répressions en Russie pour exprimer leur désaccord avec la guerre meurtrière de Poutine depuis le 24 février. Aujourd’hui, ils sont à nouveau nombreux dans les rues des villes russes pour dire NON à la guerre et NON à la mobilisation. […]
Nous soutenons ces mouvements en Russie et les citoyens russes qui manifestent en ce moment en Russie contre l’engrenage sanguinaire du Kremlin. Ces Russes n’ont plus que le choix entre être envoyés à la mort sous la menace ou la prison. En ce moment même, ils sont arrêtés suite à la participation à de nombreuses manifestations contre la guerre et la mobilisation et sont envoyés pour combattre contre l’Ukraine.
Une loi […] menace les militaires de poursuites pénales allant jusqu’à 15 ans de prison pour toute tentative de désertion ou d’insoumission à des ordres. La reddition volontaire à l’armée ukrainienne sera passible de 10 ans de prison. […]
Le refus de certains citoyens russes de combattre en Ukraine pourrait affaiblir le Kremlin et accélérer sa défaite en Ukraine et donc approcher la fin de la guerre.
Nous, l’association Russie-Libertés, demandons, sur tout le territoire de l’Union Européenne de :
• Permettre l’accueil des citoyens russes s’opposant à la guerre en Ukraine et ne voulant pas combattre contre les Ukrainiens
• Créer un statut juridique spécial de protection pour les citoyens russes fuyant le pays suite à leur opposition publique à la guerre menée par l’armée russe en Ukraine
• Mettre en place une aide, y compris financière et juridique, pour l’accueil de tels citoyens russes sur le territoire de l’Union européenne.
Non à la guerre criminelle de Poutine et non à la mobilisation criminelle [71] ! »
Le 2 mai 2023, Olga Prokopieva [72], porte-parole de Russie-Libertés est invitée dans l’émission Quotidien de TMC. Elle rappelle l’absence de presse libre en Russie. Elle énumère les types d’opposition à la guerre russe en Ukraine : les réfractaires, les saboteurs du recrutement et des transports militaires, les manifestants, les contestataires et les hommes politiques persécutés, emprisonnés ou exilés, la presse d’opposition active depuis l’étranger… Elle explique que ce sont eux qui porteront la transition démocratique inéluctable et qu’ils doivent recevoir de la France un soutien public. Elle demande à Anne Hidalgo que la Ville de Paris accorde la citoyenneté d’honneur à Ilia Iachine, le dissident condamné à huit ans et demi de prison pour avoir dénoncé les crimes russes à Boutcha [73]. (Chacun d’entre nous pourrait entreprendre une démarche similaire auprès de sa mairie en faveur d’un des nombreux opposants russes emprisonnés.)
Olga Prokopieva interpelle Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports, présent sur le plateau, pour que l’exécutif accorde des visas aux dissidents russes. Le ministre esquive la question en disant qu’il la transmettra. Le ministre évoque ses racines juives et ukrainiennes. Il revient d’Ukraine à laquelle le gouvernement va fournir des rails de chemin-de-fer, des bus scolaires et des groupes électrogènes [74].
L’association Russie-Libertés, en partenariat avec le mouvement russe Résistance féministe anti-guerre et l’ONG Mémorial, présente une exposition de portraits de femmes russes qui s’opposent à la guerre en Ukraine et font l’objet de persécutions par les pouvoirs publics russes. L’objectif est de donner de la visibilité à des cas de violations graves des droits humains en Russie, afin d’alerter la communauté internationale, les institutions et le public français sur le danger dans lequel se trouvent les opposantes russes à la guerre en Ukraine.
Les portraits exposés ont été réalisés par des femmes artistes russes et biélorusses, dont beaucoup ont également fait l’objet de persécutions politiques. Certaines d’entre elles ont été contraintes de taire leur vrai nom pour des raisons de sécurité.
L’exposition est visible jusqu’au 20 mai 2023, sur les grilles extérieures du Parc de Choisy, 128, avenue de Choisy, Paris 13ème.
Rira bien qui rira le dernier
Au début des années 2010, on pouvait encore raconter ce genre de blagues en Russie :
« Un homme se repose dans sa datcha, quelqu’un frappe à la porte.
"Une organisation terroriste a kidnappé Vladimir Poutine. Ils veulent une rançon de dix© millions de dollars, sinon ils le recouvrent d’essence et le brûlent vivant. Nous allons de porte en porte. Donnez-nous autant que vous pouvez donner." L’homme répond : "OK. Je peux vous donner cinq litres." »
Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, la censure a réduit à néant les possibilités d’expression. Certains se risquent encore à ironiser. Roskomnadzor, l’agence d’État qui contrôle les contenus des médias, a interdit l’utilisation du mot « guerre » obligeant à faire référence à une « opération militaire spéciale ». Le chef-d’œuvre de Lev Tolstoï, Guerre et Paix, a été renommé Opération spéciale et Trahison d’État.
Le départ des enseignes occidentales a suscité des parodies [75].
« - Sergey, pourquoi nous retirons-nous de Kherson ?
- Volodia, mais vous avez vous-même ordonné la libération de l’Ukraine des fascistes et des nazis ! »
Sergey et Volodia peuvent faire référence au ministre russe de la Défense Sergey Shoïgu et au président russe Vladimir Poutine.
Lénine remplace le fondateur du Kentucky Fried Chicken
Pour cette blague sur un réseau social, une affaire pénale contre Vasily Bolshakov a été engagée en vertu de l’article sur le discrédit répété de l’armée russe. En juillet 2022, il a été condamné à une amende de 30 000 roubles pour des commentaires sur les réseaux sociaux. Il risque maintenant de trois à cinq ans de prison [76].
L’exclusion des athlètes russes des JO 2024
Les sportifs russes ne sont pas des sportifs comme les autres.
Deux tiers des 92 médaillés russes à Tokyo en 2021 (hors sports collectifs) sont militaires. Le ministre russe de la défense leur avait promis le soutien total de l’armée dans la préparation des prochains JO à Paris. Le soutien total d’une armée que Poutine a assurée par ailleurs d’un soutien total dans sa guerre d’agression en Ukraine. En résumé, l’armée russe a actuellement deux priorités : détruire l’Ukraine, et gagner un maximum de médailles à Paris [77].
Cinéma
Le réalisateur bulgare Teodor Ushev a réagi au prix spécial que le Festival international du film de Moscou lui a décerné pour son court métrage d’animation : « Je ne peux pas accepter ce prix dans une ville où l’on donne l’ordre de tuer des enfants, des femmes et des personnes âgées [78]. »
Des précédents historiques
L’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979
La Constitution soviétique garantissait aux citoyens la liberté de réunion et d’expression, mais seulement si c’était dans l’« intérêt des travailleurs ». Les intérêts étaient déterminés par la direction du parti communiste.
Dans le contexte des préparatifs des Jeux olympiques d’été de 1980, avant même l’invasion de l’Afghanistan, de nombreux importants militants des droits de l’Homme ont été arrêtés en URSS.
En général, les opposants à la guerre en Afghanistan étaient poursuivis en vertu de deux articles du Code pénal qui réprimaient respectivement les fausses nouvelles « discréditant l’État et le système social soviétiques » et « l’agitation et la propagande anti-soviétiques ». Ces articles étaient assez similaires à ceux qui frappent aujourd’hui les contestataires de la guerre en Ukraine. Les fausses nouvelles étaient sanctionnées de trois années de prison. À présent, les peines peuvent atteindre quinze ans.
Certains dissidents ont été envoyés dans des hôpitaux psychiatriques, où ils ont été soumis à des drogues et à des traitements qui ont handicapé les victimes.
Le magazine sociopolitique de langue russe Posev, édité en RFA et diffusé clandestinement en URSS, a publié des témoignages de réfugiés afghans et raconté comment des élèves, « jetés par la main bienveillante du gouvernement dans le fouillis sanglant de l’aventure afghane », étaient en train de mourir. Le Group of Trust, une organisation dissidente pacifiste, a tenté à plusieurs reprises d’organiser des manifestations à Moscou et Léningrad.
Des féministes
En septembre 1979, des féministes publient l’almanach Femme et Russie.
« La femme russe […] reste toujours l’esclave d’un esclave, et le nœud coulant autour de son cou se resserre toujours deux fois plus douloureusement que sur le cou de l’homme. Et pourtant nous nous tournons vers vous, femme de Russie ! »
Une rédactrice raconte un épisode de la préparation du deuxième numéro : « Goricheva vient me voir […] et dit que Mamonova a été convoquée au KGB et forcée de signer un document déclarant que son enfant lui serait enlevé si elle continuait à publier le magazine. Et elle dit : "Sauvons Mamonova, publions un magazine sans elle." […] Pas un almanach, mais un journal. » Le magazine samizdat Maria est créé.
Logo de Maria
Tatyana Mamonova continue à collecter des documents et publie trois autres numéros de l’almanach Femme et Russie à Paris, après avoir émigré de l’URSS en 1980.
La rédaction de Maria est constituée de militantes du mouvement féministe avec un point de vue plus prononcé de la religion orthodoxe que celui de l’almanach. Le journal exhorte les mères « à sauver leurs fils, à préférer une peine de prison honorable pour eux à une mort honteuse sur une terre étrangère ». Il révèle les pertes subies par les troupes soviétiques et cite les souvenirs des conscrits qui en sont revenus. Yulia Voznesenskaya, une des fondatrices du journal annonce « Mon fils ne combattra pas en Afghanistan. » et les féministes le cachent. Le KGB expulse Yulia et la plupart des rédactrices sont contraintes de quitter le pays [79].
Natalya Lazareva, artiste de Léningrad, écrit un Appel aux femmes du monde pour condamner l’intervention mais ne le diffuse pas. Le KGB le découvre plus tard, lors d’une perquisition de son atelier. Lazareva est condamnée à 10 mois de prison.
Dessin fait par Natalya Lazareva en garde à vue
En 1981, un article introduit le sixième numéro de Maria : « Plus de deux ans se sont écoulés depuis que l’idée d’un magazine féminin est née à Léningrad [..]. Au cours des dernières années, ses participantes ont connu de nombreux hauts et bas ; toutes sortes de persécutions, y compris les arrestations, les procès, les perquisitions, les interrogatoires, les déportations et les voyages hors de la patrie, plus ou moins forcés et rapides, sont devenues des conditions extérieures habituelles de notre vie. »
À cause de la dénonciation d’un traducteur, une copie du samizdat destinée à la publication dans Posev parvient au KGB. En 1982, Natalya Lazareva subit une nouvelle condamnation : quatre ans dans un camp politique et deux ans d’exil [80]. La publication de Maria cesse.
Chez les féministes occidentales, en particulier françaises, le magazine et le club Maria provoquent une réponse ambiguë en raison de leur religiosité. « J’ai dû faire beaucoup d’efforts pour leur montrer comment notre "féminisme" russe est devenu religieux et pourquoi ce n’est que dans l’Église qu’une femme russe moderne trouve la liberté et la consolation, reçoit la force de vivre et d’agir. », se souvient une des rédactrices. Pourtant une traduction française du premier numéro de Maria est publiée en 1981 par les éditions féministes Des femmes.
Une caractéristique importante du groupe était le modèle « horizontal » d’interaction, le besoin dont parlent de nombreuses féministes aujourd’hui. L’almanach Femme et Russie et le club Maria, étaient des exemples d’initiative féminine locale de base dans le cadre d’un État totalitaire et peuvent aujourd’hui être considérés comme une étape importante dans l’histoire du mouvement des femmes en Russie et de leur opposition aux guerres.
Oleg Orlov
Pour exiger le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan et l’arrêt de la guerre, puis, en 1981, pour dénoncer la loi martiale en Pologne, Oleg Orlov a réussi à imprimer artisanalement des tracts et des affiches et à les diffuser clandestinement sans être inquiété par le KGB.
En 1988, il est cofondateur de l’ONG russe Memorial. À la tête du programme « Points chauds » du Centre des droits humains Memorial, il documente les violations des droits et les crimes de guerre dans le Haut-Karabakh, au Tadjikistan, en Moldavie, en Géorgie et au Caucase du Nord.
Il contribue, entre 1990 et 1993, à l’élaboration de lois relatives à l’humanisation du système pénitentiaire russe et à la réhabilitation des victimes des répressions politiques, lois largement bafouées depuis.
Il dénonce les crimes de guerre russes en Tchétchénie et le régime sanguinaire teinté d’islamisme du potentat tchétchène installé par les services secrets russes.
En juin 1995, Oleg Orlov et Sergueï Kovalev, négocient la libération de 1 500 otages capturés par le chef tchétchène Bassaev.
Pour sa défense des droits humains, Orlov a reçu le Prix Sakharov (2009) et celui du groupe Helsinki (2012).
Il s’est posté à plusieurs reprises devant la Douma avec une pancarte dénonçant la guerre en Ukraine. La reconstruction impériale et la militarisation sont, pour Oleg Orlov, les deux piliers sur lesquels repose l’État russe postsoviétique, un État qui dénie toute place aux principes du droit et à la société civile et où celle-ci n’assume pas sa propre responsabilité dans le désastre qu’a été le communisme soviétique. Une même chaîne, insiste-t-il, relie l’invasion soviétique de l’Afghanistan, les deux guerres de Tchétchénie, l’invasion russe de la Géorgie et l’intervention russe en Syrie, formidable terrain d’expérimentation des techniques de guerre totale et des crimes de guerre contre les populations civiles mis en œuvre en Ukraine.
Le 29 avril 2023, quelques jours après la condamnation de son ami Vladimir Kara-Mourza dont il a pris la défense publiquement, il a été mis en examen pour des « actions publiques répétées visant à discréditer les forces armées défendant les intérêts de la Russie et de ses citoyens ainsi que la paix et la sécurité internationales. » Après des dizaines d’interpellations et de gardes à vue et plusieurs condamnations, il encourt trois ans de prison. Il a décidé de continuer à protester ouvertement en Russie afin de dénoncer la guerre et toutes les formes de censure, et de défendre les droits et libertés des Ukrainiens et des Russes [81].
D’autres opposants
Des inconnus ont écrit sur les wagons du métro de Moscou « Liberté en Afghanistan ! ». Des tracts appelant à commencer un combat contre les autorités soviétiques et à ne pas mourir « pour une terre étrangère » sont apparus dans toute l’Ukraine soviétique.
Vladimir Danchev lisait les nouvelles du Service mondial de la radio de Moscou. Petit à petit, il y a introduit des corrections à la désinformation officielle pour finir par condamner l’invasion et annoncer, par exemple, « Les envahisseurs soviétiques ont brûlé un village. ». Il a subi un internement psychiatrique forcé auquel il a échappé grâce à des journalistes français.
En 1991, la loi « Sur la réhabilitation des victimes des répressions politiques » a été votée. Souvent, les personnes qui avaient condamné les dissidents les ont réhabilités. Certaines de ces personnes restent au pouvoir aujourd’hui et persécutent les opposants de la même manière. Le président de la Cour suprême, Vyacheslav Lebedev, a jugé des militants des droits de l’homme dans les années 1980.
Les guerres en Tchétchénie
Pour la première fois, Tatiana Kotlyar a été persécutée par les autorités soviétiques dans les années 1980. Dans sa maison et celle de son mari, Anton Neverovsky, une « véritable salle de lecture » proposait les samizdats. Elle aidait les prisonniers politiques, leur apportait des colis de nourriture et de livres et collectait des fonds pour leurs familles. Tatiana Kotylar a été licenciée.
En 1988, elle participe à la création du mouvement Russie démocratique, engagé dans la légalisation du multipartisme, la promotion des valeurs démocratiques et anticommunistes.
En 1994, elle a été élue comme députée indépendante à l’Assemblée de la ville d’Obninsk. Dans cette ville au sud-ouest de Moscou, environ deux cents conscrits étaient appelés chaque année. Elle incite avec succès une centaine de réfractaires à la guerre de Tchétchénie à effectuer un service civil alternatif.
En 1999, le commissaire militaire d’Obninsk, a envoyé une lettre au FSB dénonçant que, « se cachant derrière le droit d’un citoyen de remplacer le service militaire par un service civil alternatif », Tatyana Kotlyar « incite les jeunes à commettre un crime. ».
Son fils, Dmitry Neverovsky, s’est vu refuser le droit au service civil et a été condamné pour « avoir évité les services civil militaire et alternatif. » Il a écrit à ses amis : « Maintenant, dans une cellule de prison, je ne regrette pas une minute mon choix. De plus, je suis de plus en plus sûr de mon bon droit à chaque nouveau jour de la guerre que l’armée russe mène contre le peuple tchétchène. Les gars, vous et moi pouvons essayer d’arrêter cette folie. Si seulement nous étions nombreux. À moins que vous et moi puissions être intimidés par les généraux, leurs bureaux d’enregistrement et d’enrôlement militaires, leurs « procureurs » et « juges » fantoches.
Refusez de devenir de la chair à canon, n’allez pas avec bonne conscience à la caserne pour vous faire tuer ou, pire encore, pour devenir vous-même un meurtrier. Ne participez pas aux crimes de guerre du régime : pas en tant qu’exécuteurs sur les lignes de front, pas en tant qu’hommes de main à l’arrière, pas en tant que complices bien au chaud.
Ils peuvent nous faire peur, ils peuvent nous menacer, ils peuvent violer les lois et la Constitution, ils peuvent même nous mettre en prison. La seule chose qu’ils ne peuvent pas faire, c’est nous forcer à les servir et devenir leurs complices. Leur "force" apparente est enracinée dans notre insécurité, notre peur, notre indifférence. Nous sommes plus forts car sans nous ils sont impuissants. »
Le 20 janvier 2000, le Parlement européen a adopté une résolution sur la guerre en Tchétchénie, dans laquelle, entre autres, il a appelé à un réexamen de l’affaire Neverovsky. Le député Dupuis a souligné : « Je voudrais rendre hommage à Dmitry Neverovsky, membre du parti radical transnational, membre de mon parti, qui a été condamné à deux ans de prison comme objecteur de conscience, pour avoir protesté contre la guerre en Tchétchénie. Je voudrais aussi rendre hommage aux militants du parti transnational qui ont été les seuls à Moscou à manifester contre la guerre en Tchétchénie. »
Le tribunal régional de Kaluga a annulé la condamnation de Dmitry Neverovsky. Il est mort l’année suivante dans l’incendie de la maison familiale. Aucune enquête officielle n’a été diligentée et le crime reste une hypothèse.
Tatiana Kotlyar continue, malgré plusieurs affaires pénales, à défendre les droits de l’Homme, en particulier ceux des migrants et des Ukrainiens emmenés de force en Russie [82].
1er mai 2023
Mouvement socialiste russe
Le Mouvement socialiste russe est un regroupement de militants russes, à l’intérieur et en exil, se réclamant du socialisme et venus de divers courants : dissidents du Parti communiste de la Fédération de Russie, anciens membres du Front de gauche russe, groupes locaux, syndicalistes, intellectuels marxistes, etc. Il publie cette déclaration :
Contre la demi-solidarité et le faux pacifisme
Déclaration du Mouvement socialiste russe (MSR)
Lundi premier mai 2023.
La journée du premier mai n’est pas seulement la journée internationale des travailleurs, mais elle est aussi une journée de solidarité avec les peuples opprimés et une journée de désobéissance civile contre la guerre. Nous nous souvenons par exemple des manifestations du premier mai 1971 à Washington contre l’agression impérialiste américaine au Vietnam. À l’époque, la position du mouvement anti-guerre était claire pour arrêter la guerre, pour achever le retrait des troupes américaines et pour soutenir le droit du peuple vietnamien à l’autodétermination.
En 2023, la gauche penche également vers le pacifisme, mais sa version actuelle est beaucoup plus ambivalente. Bien qu’elle mette toujours l’accent contre l’impérialisme américain et la prévention de la guerre nucléaire et qu’elle condamne la militarisation et la guerre comme moyens de résoudre les conflits, elle éprouve des difficultés à identifier précisément l’agresseur et elle se montre disposée à tolérer l’annexion du territoire ukrainien par la Russie et la présence continue de troupes russes dans ce pays. Cette version du pacifisme est donc privée d’une véritable solidarité avec les peuples opprimés.
Le campisme de gauche, une prédisposition idéologique impliquant que la gauche doit approuver ou au moins s’abstenir de critiquer les régimes qui résistent à l’hégémonie de l’Occident, entrave généralement le soutien à l’Ukraine. Cette approche néglige les autres impérialismes et elle ignore l’opinion des militants de la périphérie mondiale qui luttent contre leurs dictateurs anti-impérialistes.
Un autre obstacle à la solidarité avec l’Ukraine est la perspective antimilitariste de la gauche occidentale qui rend moralement problématique toute forme d’alignement sur les préparatifs militaires de son gouvernement ou sur la rhétorique de la défense de la démocratie qui a légitimé les interventions humanitaires en Yougoslavie, en Irak et en Afghanistan.
Nous voudrions souligner qu’un tel pacifisme est faux pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est armé de vieux dogmes qui ne sont pas reconsidérés à la lumière des circonstances actuelles. Rejetant l’analyse concrète d’une situation concrète, la gauche dévalorise les concepts et les principes du mouvement de gauche, les transformant en simples abstractions. L’anti-impérialisme est réduit à la lutte contre l’impérialisme américain et contre l’expansion de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), tandis que le pacifisme est transformé d’instrument de lutte contre l’agresseur en instrument d’apaisement de l’agresseur. Le faux pacifisme promeut la neutralité ou un soutien limité à l’Ukraine. Cependant, nous sommes convaincus que l’application des mêmes normes critiques que la gauche applique aux sociétés capitalistes du nord signifie un soutien total à l’Ukraine, puisque la Russie est un agresseur impérialiste qui a déjà annexé une partie du territoire ukrainien, qui a tué plus de cent vingt mille et déplacé des millions d’Ukrainiens, alors que l’Ukraine mène une guerre de libération nationale.
En outre, il est essentiel de reconnaître que le régime de Vladimir Poutine ne sert pas de rempart contre l’impérialisme. Il représente une version du capitalisme autoritaire réactionnaire. Le régime de Vladimir Poutine a fait la guerre à l’Ukraine pour survivre en tant que classe et pour répartir les zones d’influence. Par conséquent, l’absence de solidarité avec les opprimés et l’absence de condamnation de l’oppresseur font que l’internationalisme n’a pas de sens.
Deuxièmement, le faux pacifisme ne propose pas de solution viable pour mettre fin à la guerre. Sa demande de paix à tout prix, y compris la reconnaissance du statu quo actuel, ne tient pas compte des circonstances spécifiques. Le faux pacifisme ne tient pas compte du fait que l’Ukraine a besoin de libération plutôt que de paix. La paix, quelles qu’en soient les conditions, ne signifiera pas seulement un accord avec l’agresseur, mais aussi un armistice, puisque le régime de Vladimir Poutine est entré dans une phase telle qu’il ne peut cesser de mener des guerres sans risquer de perdre le pouvoir.
Le peuple ukrainien et le peuple russe ont besoin d’une défaite militaire du régime de Vladimir Poutine. C’est la seule façon d’ouvrir la perspective d’un changement pour les deux peuples et la promotion potentielle de l’agenda socialiste. Le régime de Vladimir Poutine entrave non seulement la lutte des opprimés dans son pays, mais aussi dans les pays voisins. En ce qui concerne la Russie, nous avons déjà souligné que le niveau d’inégalité en Russie a augmenté de manière significative au cours des vingt années de leadership de Vladimir Poutine. Vladimir Poutine est non seulement un ennemi de toutes les formes de démocratie, mais aussi un ennemi de la classe ouvrière. La participation populaire à la politique et aux associations bénévoles est traitée avec suspicion en Russie. Vladimir Poutine est essentiellement un anticommuniste et un ennemi de tout ce pour quoi la gauche s’est battue au vingtième siècle et se bat au vingt-et-unième siècle. Par conséquent, sans l’effondrement de la dictature répressive de Vladimir Poutine, il n’est guère réaliste d’espérer des changements positifs dans la condition de la classe ouvrière en Russie et en Ukraine et seule une défaite militaire peut faciliter cet effondrement.
En outre, d’un point de vue mondial, permettre au régime de Vladimir Poutine de s’en tirer avec la guerre crée un autre précédent dangereux dans les relations internationales. Il indique aux autres pays dotés d’une puissance nucléaire ou d’une armée puissante que les guerres d’annexion sont tolérées et que la communauté internationale ne fera rien pour arrêter l’agresseur. La crise du Haut-Karabakh est désormais décrite dans un langage irrédentiste par l’Azerbaïdjan, qui a déjà occupé certains territoires arméniens. Les frappes aériennes turques en Irak et en Syrie en 2022 et en 2023 et les raids aériens israéliens à Gaza et au Liban en 2023 n’ont pas non plus reçu suffisamment d’attention de la part de la communauté internationale. La vision du monde de Vladimir Poutine, selon laquelle les forts ont le droit de battre les faibles, doit recevoir un coup sévère en Ukraine, faute de quoi des guerres irrédentistes sanglantes seront légalisées dans le monde entier. La victoire de l’Ukraine est donc nécessaire pour empêcher la normalisation du bain de sang dans le monde.
Enfin, le faux pacifisme déguisé sous des slogans de gauche révèle une nature petite-bourgeoise caractérisée par l’égocentrisme. Le faux pacifisme est égocentrique parce qu’il se réduit à la lutte contre le gouvernement national. L’opposition au courant politique national est privilégiée par rapport à la solidarité avec le peuple ukrainien. Le faux pacifisme est motivé par l’intérêt personnel, car il est principalement préoccupé par les répercussions potentielles sur la classe ouvrière dans les pays occidentaux et par la propagation de la guerre à l’occident lui-même en raison d’un soutien plus actif à l’Ukraine. En d’autres termes, le faux pacifisme se résume à une prise de distance par rapport à la guerre. Quelle transformation intéressante, il y a cinquante ans, le mouvement de gauche critiquait la société de consommation occidentale pour son ignorance des guerres dans le sud et pour sa valorisation du confort matériel. En 2023, la gauche elle-même tente d’aborder la guerre à partir d’une distance de sécurité. Le faux pacifisme évite d’écouter les demandes des socialistes ukrainiens et russes qui insistent non seulement sur le soutien moral ou humanitaire à l’Ukraine, mais aussi sur le rejet de tout compromis avec le régime de Vladimir Poutine, sur la reconnaissance du droit de l’Ukraine à résister et sur l’approbation de nouveaux transferts d’armes vers l’Ukraine. […]
Nous demandons l’augmentation des transferts d’armes à l’Ukraine pour lui permettre la restitution des territoires annexés.
Nous demandons le retrait complet des troupes russes du territoire ukrainien.
Nous demandons la redistribution du fardeau de la militarisation. C’est le gouvernement et les entreprises qui ont fait et qui font encore des affaires avec la Russie, soutenant ainsi indirectement son régime autoritaire, qui devraient supporter les coûts de la guerre et ce n’est pas la classe ouvrière.
Nous demandons l’annulation de la dette de l’Ukraine.
Nous demandons l’assouplissement des procédures d’immigration qui permettra d’accueillir davantage d’Ukrainiens et de Russes déplacés qui fuient les répressions et les mobilisations. En ce qui concerne les Russes, nous voudrions répéter qu’il est extrêmement difficile de s’engager dans des activités politiques en prison ou sur les lignes de front.
Nous demandons des sanctions qui cibleront particulièrement l’élite de Vladimir Poutine dont les avoirs financiers n’ont guère été affectés par les sanctions précédentes.
Nous demandons l’abolition de la diplomatie secrète et la conduite de toutes les négociations ouvertement, au vu et au su de l’ensemble de la population.
Il est impératif que la gauche déplace sa solidarité des classes dirigeantes des pays qui s’imaginent opprimés et humiliés vers les peuples et les sociétés qui luttent contre l’oppression. Pour favoriser cette solidarité, la gauche doit développer sa capacité à décentraliser son regard et son empathie. De ce point de vue, il est impossible de ne pas se solidariser avec le peuple ukrainien.
Les opprimés, non seulement en Ukraine et en Russie, mais dans le monde entier, ont besoin de solidarité horizontale et d’empathie plutôt que de pensée géopolitique rigide et de campisme. Ce n’est qu’à cette condition que le mouvement ouvrier pourra triompher et ouvrir la voie à la paix et au socialisme.
Tract distribué le 1er mai à Paris par le comité français du Réseau de solidarité avec l’Ukraine
1er mai, journée de solidarité avec les travailleuses et les travailleurs de tous les pays ! Avec celles et ceux qui résistent et se battent en Ukraine ! […]
L’impérialisme russe, dans une continuité coloniale, tente d’écraser le peuple ukrainien sous une pluie d’acier, tout en envoyant à la mort sa propre jeunesse, notamment celle des régions les plus déshéritées et des territoires colonisés de l’État russe à l’intérieur de ses frontières.
Les travailleurs et les travailleuses d’Ukraine résistent depuis plus d’un an en subissant de lourdes pertes. Sur le front, évidemment, mais la société civile subit aussi de plein fouet le choc de l’invasion.
Bombardements de missiles sur les villes dans tout le territoire : les infrastructures civiles comme les quartiers ouvriers payent un lourd tribut. Massacres dans les quartiers et les zones occupées, comme à Irpin ou à Boutcha.
En Russie, les opposant·es au régime mafieux et impérialiste des milliardaires et de Poutine, et au Bélarus, les syndicalistes opposé·es à la guerre sont condamné es à la mort lente dans les prisons. Les prisonnières et prisonniers de guerre ukrainien·nes qui ne sont pas exécuté·es après avoir été torturé·es sont condamné·es à des peines effrayantes.
Ainsi, Maksym Butkevich, journaliste, défenseur ukrainien des migrant·es, militant antifasciste et libertaire, a été condamné à treize ans de prison. Dans leur propre pays, en Ukraine, la population, les travailleuses et travailleurs, les syndicalistes combattent sur le front contre l’armée russe tout en s’opposant aux mesures de régression sociale qui visent le Code du travail et libéralisent les licenciements, des mesures qui entraveront la résistance à l’invasion. Le Comité français et les autres collectifs européens du RESU [Réseau de solidarité avec l’Ukraine] encouragent depuis plus d’un an des actions de solidarité avec le peuple ukrainien résistant et son droit à réclamer des armes, en organisant ou participant à des manifestations contre le Kremlin et les entreprises françaises qui collaborent avec Poutine, en coopérant avec les organisations syndicales pour l’envoi d’aide matérielle, en soutenant les Ukrainiennes et Ukrainiens en France. Le RESU soutient les groupes de la gauche ukrainienne qui tentent d’exister dans un contexte de guerre. Les échanges et débats que nous organisons montrent que la résistance ukrainienne à l’agression impérialiste de l’État russe permet réflexions et actions communes. Partout dans le monde, et à intervalles de plus en plus rapprochés, des populations entières se lèvent pour leurs droits sociaux et leurs droits démocratiques. Au Sri Lanka, au Chili, en Algérie, en Tunisie, en Iran, au Kurdistan, en Géorgie… en France. Les peuples sont en marche.
Solidarité avec les travailleuses et travailleurs d’Ukraine !
Soutien à la résistance russe antiguerre !
Liberté pour les syndicalistes du Bélarus emprisonné·es !
Troupes de Poutine hors de toute l’Ukraine !
Solidarité avec tous les peuples opprimés [83] !
Répression en Biélorussie
Roman Protassevitch, ancien rédacteur en chef de Nexta, a été arrêté en 2021 après l’interception par deux chasseurs Mig 21 de l’avion de ligne à bord duquel il voyageait, alors qu’il survolait la Biélorussie [84]. Alexandre Loukachenko avait ordonné à ses services de sécurité de faire croire à une alerte à la bombe. L’Union européenne avait alors imposé des sanctions à la Biélorussie.
Au cours des manifestations contre la réélection frauduleuse du dictateur, en 2000, le média en ligne Nexta relayait les mots d’ordre de l’opposition auprès de ses deux millions d’abonnés. Il opère désormais depuis La Pologne.
Dans les médias du régime, Protassevitch est contraint de défendre la politique de Loukachenko et de renier sa compagne, qui est condamnée à six ans de prison, et deux autres journalistes lourdement condamnés par contumace. Le 3 mai 2023, Journée internationale de la liberté de la presse, il a été condamné à huit ans de prison à régime sévère pour 1 586 crimes !
Le 26 avril 2023, l’ex-candidat à la présidence, Viktor Babaryko, a été hospitalisé après avoir été tabassé en prison. Le lendemain, Syarhey Frantchouk, accusé d’insultes en ligne au président et à un responsable de la police, a écopé de trois ans de prison. Le 2 mai, s’est ouvert le procès d’une avocate qui a défendu de nombreux opposants [85].
Ramzan Kadyrov
Dès l’invasion de l’Ukraine, le Président Kadyrov a publié une vidéo montrant à Grozny, la capitale de la République tchétchène sous-domination russe, 10 000 hommes réunis en prière avant d’être envoyés au front [86].
En octobre 2022, Kadyrov a annoncé son intention d’envoyer trois de ses fils, des adolescents, pour combattre en Ukraine, tout en appelant à y utiliser « des armes nucléaires de faible puissance. » Il a été promu au grade de colonel-général par le président Vladimir Poutine. Il était déjà trois fois général : des forces militaires de l’intérieur, de la police et de la garde nationale de Tchétchénie [87].
En février 2023, il a annoncé qu’il souhaitait un jour disposer de son propre groupe paramilitaire privé sur le modèle du groupe Wagner. « Lorsque j’aurai fini de servir l’État, je compte faire de la concurrence à Evguéni Prigojine, je pense que ça pourrait marcher. », a-t-il dit sur sa boucle Telegram [88]. Depuis, une rumeur a couru selon laquelle il aurait été empoisonné [89].
Après des vidéos de récriminations postées par des soldats, il a appelé les combattants de premières lignes « à ne pas se plaindre », car « un guerrier ne crie pas. » « C’est une guerre, pas une station balnéaire [90]. »
« En Tchétchénie, des mères sont sorties dans la rue pour protester contre la mobilisation, affirmant que le pays avait déjà donné beaucoup de combattants dans la première phase de la guerre. Suite à cette protestation, il y a eu une rafle dans les familles de ces femmes. On leur a pris leurs fils, leurs neveux, pour les mobiliser. », relate Anne Colin Lebedev [91].
Bouriatie
Terre d’origine des Bouriates, un peuple d’ascendance mongole majoritairement bouddhiste tibétain, cette région, qui borde le majestueux lac Baïkal, fait partie des républiques russes qui paient un tribut particulièrement lourd à l’effort de guerre, explique Julian Colling dans un reportage de Mediapart.
La Bouriatie est depuis un an aux avant-postes de toutes les statistiques en matière de mortalité au front, que ce soit en valeur absolue ou rapporté à la population, en compagnie notamment des République de Touva ou du Daguestan caucasien, deux autres républiques peuplées de minorités ethniques.
Son « coefficient de mortalité » est 28 fois supérieur à celui des régions les moins touchées comme Moscou, selon des chiffres compilés par les médias indépendants russes. Parmi eux, Gens du Baïkal compte, à partir de sources ouvertes et donc sous-évaluées, 544 soldats originaires de ou ayant servi en Bouriatie morts en Ukraine.
La juriste et militante des droits de l’Homme Nadejda Nizovkina, déjà arrêtée cinq fois en 2022 pour ses positions critiques témoigne à visage découvert : « D’abord, c’est une région très militarisée car elle est frontalière de la Mongolie et proche de la Chine. Mais surtout, […] il y a très peu de perspectives et de travail ici. Malgré notre potentiel de ressources énorme, la Bouriatie reste une région “pauvre”. Pour les jeunes hommes, surtout ceux des villages qui sont surreprésentés dans la mobilisation et les pertes, il n’y a guère que l’armée qui propose un revenu décent. Il y a ainsi beaucoup de volontaires issus des zones rurales, mais c’est un volontariat de façade, forcé. Il s’agit de nourrir sa famille. » Les soldes sont cinq à dix fois supérieures à la moyenne locale des salaires.
Bargouzine ne compte que 5 000 habitants mais la petite ville a pourtant vu partir pour la guerre une centaine d’hommes du canton. « Dans les villages, la plupart ne connaissent pas bien leurs droits et se rendent docilement au “voenkomat”, le commissariat militaire. », commente Nadejda Nizovkina.
Une femme raconte : « Il n’y a plus de joie aux alentours. La mobilisation a été terrible, les gars ont été embarqués en pleine nuit, chez eux ou à leur travail, sans avis, sans lettre… Et dans quel but ? Pour rien ! Plusieurs sont déjà revenus dans un Grouz-200 [le nom de code des cercueils en zinc]. […] Plutôt que la compensation reçue par une famille de défunt, je préférerais garder mon mari ou mon fils ! Il n’y a pas de quoi être fier de tout ça. Parfois, les salaires des soldats n’arrivent même pas. »
Une Bouriate a perdu un de ses six cousins combattants en Ukraine. « Tu vois tous ces types partir dans des bus et tu te dis, ils vont tous mourir là-bas. » « Ma famille est très atteinte, c’était le petit dernier et ses parents sont des fantômes depuis sa mort. Mais malgré tout, la plupart continuent de se taire et de courber l’échine. J’espère que l’on assistera bientôt à un réveil national, car ce n’est pas possible de voir tant d’enfants du pays mourir. J’ai mal pour le peuple bouriate. Nous ne sommes déjà plus que 400 000 dans le monde, quid de l’avenir de notre peuple si nos jeunes hommes meurent ? » « À l’enterrement de mon cousin, c’était insupportable de voir tous ces députés loyalistes débarquer […] avec leurs grands discours sur le sang versé pour la patrie. Les voir manger ce qu’on avait cuisiné… Leurs enfants à eux sont-ils mobilisés ? Pensez-vous ! C’est réservé aux petites gens. Je n’ai plus peur de les prendre à parti. »
Alexandra Garmajapova, une ancienne journaliste bouriate, a créé la Fondation Bouriatie libre. Elle a quitté le pays en 2016 à la suite de pressions. L’organisation effectue des recherches sur les décès, partage des ressources sur la Bouriatie ou des conseils pour échapper à la mobilisation. Elle revendique avoir déjà aidé des centaines de refuzniks à rompre leur contrat avec l’armée ou à quitter le pays. Divers mouvements de minorités ethniques de Russie, particulièrement touchées par les décès au front et la mobilisation, ont imité la fondation bouriate, comme la Free Yakutia foundation [92]. Deux comités, les Peuples libres de Russie et Asians of Russia [93], ont vu le jour. Tous ces mouvements appellent à décoloniser la Russie.
Fin septembre 2022, dans les jours suivant la mobilisation, l’attente à la frontière mongole proche atteignait plusieurs jours. Des milliers de Bouriates ont déjà quitté la région et le pays. Pourbo Dambiev, un bibliothécaire d’Oulan-Oudé, exilé lui aussi, a ouvert un centre d’accueil et d’information à Oulan-Bator, la capitale mongole. « Au plus fort de la vague, j’avais des dizaines de visites par jour. En tout 1 800 personnes sont venues entre septembre et fin 2022, indique-t-il. Ce sont des familles, des hommes dont certains revenaient du front… Ces derniers, très marqués par la guerre, voulaient juste s’échapper à tout prix, ne plus jamais y retourner. Tous ont été bernés sur les moyens, les objectifs, les conditions. Bien sûr, cet exode est dommage pour notre terre natale. Mais beaucoup ici, dont moi, ne veulent plus retourner en Russie. »
Le groupe Wagner d’Evgueni Prigojine s’est servi dans les prisons bouriates : au moins 500 détenus recrutés [94].
Svetlana Tsikhanovskaïa
Alors qu’il se préparait à être candidat contre le président biélorusse Alexandre Loukachenko, le blogueur et youtubeur Sergueï Tikhanovski est emprisonné le 29 mai 2020 pour « organisation de troubles massifs », « incitation à la haine », « trouble à l’ordre public » et « obstruction à la Commission électorale » et condamné à dix-huit ans de prison le 14 décembre 2021. Le procès se tient à huis clos et les avocats n’ont pas le droit de s’y exprimer. D’autres opposants écopent le même jour de lourdes peines [95].
Son épouse, Svetlana Tsikhanovskaïa est candidate à sa place aux élections d’août 2020, « afin que le pays s’apaise et revienne à la normale. Afin que nous puissions libérer tous les prisonniers politiques et préparer un cadre juridique. », proclame-t-elle. « Je vois tous ces gens venir à nos meetings […]. C’est le signe qu’ils veulent que ça change. Ils se sont réveillés. Ils ne veulent plus vivre dans la peur et l’humiliation. Ils veulent être des citoyens de leur propre pays [96]. »
Ses proches collaboratrices sont arrêtées la veille du scrutin. Elle perd les élections truquées et se réfugie en Lituanie où ses enfants, que le régime biélorusse menaçait d’envoi à l’orphelinat, sont déjà en sécurité. Elle est contrainte de vivre sous haute sécurité, dans un lieu tenu secret. « C’est dangereux, il y a beaucoup d’agents du KGB et du FSB [les services biélorusses et russes de sécurité] en Lituanie, souffle une membre de son équipe. On reçoit souvent des menaces. » La trentaine de militants souffrent de l’épuisement dû à la suractivité.
200 000 à 300 000 Biélorusses auraient fui à l’étranger après la réélection de Loukachenko [97].
En février 2022, la Biélorussie accueille des manœuvres militaires russo-biélorusses et sert de base de départ pour des troupes russes lors de l’invasion de l’Ukraine. Le 24 février 2022, S. Tsikhanovskaïa accuse Loukachenko de « haute trahison », lui reprochant d’avoir « transformé [le] pays en agresseur » et de brandir la présence de l’armée russe comme menace contre l’opposition.
En conférence de presse, elle annonce sa décision de former un gouvernement en exil : « À partir d’aujourd’hui, j’assume la responsabilité de représenter le peuple et la république de Biélorussie, afin de défendre l’indépendance et l’intérêt national de mon pays [98]. ». Elle réussit à unir l’opposition. En mars 2023, elle est condamnée à quinze ans par contumace.
En Biélorussie, la résistance se poursuit clandestinement. Quinze à vingt personnes sont arrêtées chaque jour. En avril 2023, on dénombre plus de 1 440 prisonniers politiques. « En 2023, le premier objectif, c’est de défendre l’indépendance et la souveraineté de la Biélorussie, où stationnent des milliers de soldats russes. », explique Franak Viacorka, le premier conseiller de S. Tsikhanovskaïa. Celle-ci explique qu’il est « capital d’élaborer une stratégie sur la Biélorussie dans le cadre de la guerre en Ukraine, car Loukachenko vend notre indépendance à la Russie morceau par morceau. ». Le gouvernement ukrainien refuse de nouer des relations officielles avec elle. Seul le bataillon de volontaires biélorusses qui combat avec l’armée ukrainienne trouve grâce à ses yeux. « Ils ne veulent pas provoquer Loukachenko pour éviter qu’il envoie ses troupes en Ukraine. », analyse Franak Viacorka. Les Européens ménagent aussi le président biélorusse qui a pourtant donné son accord pour déployer des armes nucléaires russes dans son pays [99].
Le site Helpdesk.media [100] fournit des informations et des conseils sur les manières de quitter la Russie, de trouver les adresses des camps de réfugiés ukrainiens, de parler de la guerre aux enfants, de transférer de l’argent ou de délivrer une procuration. Il emploie des citoyens russes, ukrainiens et kazakhs. Son créateur, le Russe Ilya Krasilshchik, considère que « La chose la plus injuste qui soit arrivée pendant cette guerre est ce qui est arrivé aux Biélorusses. Il y a eu des manifestations massives en 2020 ; ils n’ont pas réussi à vaincre, mais ils ont montré quel genre de personnes ils sont, et le monde entier a sympathisé avec eux. Puis la guerre a commencé, et ils ont tous été forcés d’en porter le fardeau [101]. »
Répression toujours croissante en Russie
La Russie de Poutine jette en prison les journalistes, et les assassine
Sous ce titre, Tatiana Yankelevich dénonce la condamnation de Vladimir Kara-Mourza.
Elle est chercheuse indépendante associée au David Center for russian and eurasian studies de l’université de Harvard. Ses parents sont les militants russes pour les droits de l’Homme Elena Bonner et le titulaire du Prix Nobel de la paix en 1975, Andreï Sakharov.
« Il n’y a pas qu’un procureur assoiffé de sang et un juge vindicatif derrière ce verdict cannibale. Il y a un régime entier, qui s’applique à exterminer tous ceux qui possèdent encore une conscience, un honneur, un sens de la responsabilité civile. […]
Nous sommes les témoins d’un crime contre l’humanité que le régime néostalinien de Poutine est en train de commettre dans le pays indépendant qu’est l’Ukraine, mais aussi dans la Russie tout entière. […]
Le traitement réservé aux journalistes arrêtés est épouvantable et injustifiable. Kara-Mourza a très peu de chances de sortir vivant de vingt-cinq années de colonie pénitentiaire.
Ces derniers mois, les journalistes Ilia Iachine et Ivan Safronov ont été condamnés à des peines d’une lourdeur féroce, avec respectivement huit ans et demi et vingt-deux ans de détention. À cela s’ajoute une armée d’autres détenus, tout aussi courageux mais moins connus, qui se trouvent derrière les barreaux pour avoir osé s’opposer aux mensonges et à la propagande officiels.
La Russie de Poutine harcèle les journalistes et les jette en prison, mais pas seulement : elle les assassine. Souvenons-nous d’Anna Politkovskaia, de Gueorgui Gongadze, de Pavel Cheremet, de Paul Khlebnikov ou de Vladislav Listiev […] de Iouri Chtchekotchikhine. […]
Nos élus politiques ne peuvent se permettre le luxe d’ignorer nos inquiétudes. Nous ne vivons pas dans la Russie autoritaire ! Aussi pouvons-nous et devons-nous les convaincre d’agir. […]
Prenez position et contribuez à sauver la vie de ceux qui se battent pour la liberté d’expression. Ils se battent pour leur liberté, mais aussi pour la nôtre, pour la vôtre [102]. »
Appel pour Alexeï Navalny
Plus de cent trente écrivains, artistes et universitaires, parmi lesquelles six Prix Nobel de littérature, réclament à Vladimir Poutine la libération immédiate de l’opposant Alexeï Navalny, dont l’état de santé exige qu’il « reçoive au plus vite les soins nécessaires [103]. »
Fuite des avocats
Le Monde évoque une caricature récurrente dans les dictatures : « Du fond de sa cellule, un prisonnier crie :"Je veux voir mon avocat !". La réponse ne tarde pas, qui se fait entendre de la cellule voisine : "Je suis là !". » Elle illustre la répression qui menace les avocats russes. Vadim Prokhorov a défendu de nombreux opposants mais il a quitté la Russie avant la condamnation de son ami Kara-Mourza. Au cours du procès, le défenseur a été menacé à plusieurs reprises par le procureur et le juge de poursuites pénales pour diffamation ou outrage à magistrat et de retrait de son droit à exercer. Il dénonce : « Les violations de procédure sont devenues si nombreuses que les juges exigent le silence. Or ces procès politiques sont conduits d’une manière de plus en plus choquante. »
D’autres avocats sont victimes de procédures administratives ou disciplinaires, de filatures, voire d’arrestations et d’emprisonnements, de désignations comme « agents de l’étranger » ou comme coupables de « discréditation de l’armée ». Mikhail Benyash, membre d’Agora, une association de plus de cinquante avocats russes défenseurs des Droits de l’Homme et, en particulier, des réfractaires depuis le début de l’invasion russe [104], a été privé de son droit d’exercer à cause de publications « discréditant l’État ». Les services de sécurité interdisent la divulgation « à des sources étrangères » de toute information qui pourrait « nuire à la sécurité de la Fédération de Russie. »
L’avocat Ilia Sidorov a lancé une pétition, signée par plus de mille de ses collègues, contre une loi adoptée en première lecture à la Douma, le 12 avril 2023, qui renforce le contrôle de l’État sur les avocats et limite la portée du secret professionnel. Il déplore : « La présomption d’innocence et les droits de la défense sont de plus en plus bafoués. » Le 22 avril, Advokatskaïa Oulista, une publication spécialisée qui avait pris position contre la nouvelle loi, a reçu le statut d’« agent de l’étranger », entraînant la fermeture immédiate de son site Internet.
99,8 % des procès aboutissent à une condamnation [105].
Oukase concernant les territoires annexés par la Russie
Le 27 avril 2023, Vladimir Poutine a signé un oukase menaçant d’expulsion les étrangers des territoires ukrainiens annexés en 2014 et 2022. La distribution des passeports russes va s’accélérer dans ces régions, sur le modèle de la pratique dans les territoires séparatistes contrôlés par Moscou en Géorgie et en Moldavie. La « loi sur la citoyenneté », adoptée par la Douma le 18 avril, prévoit que les Russes dont la nationalité a été acquise peuvent la perdre s’ils se rendent coupables de violation du code pénal, comme la « discréditation de l’armée russe ». Ceci en contradiction avec la constitution qui précise l’égalité des citoyens devant la loi, « quelle que soit la manière dont ils ont acquis la nationalité russe ».
L’oukase prévoit que les habitants des « nouveaux territoires » pourront aussi être « déportés s’ils constituent une menace pour la sécurité nationale, soutiennent un changement violent de l’ordre constitutionnel, financent une activité extrémiste ou terroriste, ou participent à des manifestations interdites. ». Le Monde commente : « Ceux qui osent dire leur opposition à l’annexion russe risquent déjà bien plus qu’une simple expulsion, et la répression s’abat sur eux, y compris en dehors de tout cadre légal [106]. »
Ne dites pas que Zelensky est un beau jeune homme
Une septuagénaire malade a été condamnée, en son absence pour raison de santé et en moins de cinq minutes, à une amende de 40 000 roubles pour avoir discrédité l’armée russe en disant, dans une conversation privée dans le restaurant d’un sanatorium, que Zelensky est un beau jeune homme avec un bon sens de l’humour. Elle a été dénoncée par trois personnes. Elle était représentée par un défenseur d’OVD-Info [107].
Soldats professionnels à 18 ans
Désormais, les Russes peuvent signer un engagement militaire dès dix-huit ans. Novaya Gazeta a interviewé des élèves de cet âge [108]. Quelques réponses :
Vlad
« Pour moi, le service militaire est la seule [option à laquelle j’associe l’avenir] - parce que je ne connais pas d’autres options. Je ne sais pas où aller. »
Dima
« En période d’avant-guerre, j’aurais vu un contrat militaire en dernier recours. Maintenant qu’il y a la guerre, c’est loin d’être la meilleure solution. […] La raison en est à la fois le risque physique et mes opinions politiques : je ne suis pas d’accord avec l’idéologie actuelle. […]
La plupart de mes pairs, environ 70 %, partagent mon opinion et soutiennent mes idées […]. Ils ne veulent pas lier leur vie à l’armée. »
Kirill
« Après l’école, je vais devenir militaire. Tous mes proches sont dans l’armée. En même temps, cependant, je n’ai pas l’intention de signer ces contrats à peine sorti de l’école. […]
Mais le fait qu’une personne puisse être envoyée dans la zone de l’opération militaire spéciale juste après la signature d’un contrat est tout simplement incroyable. Il est impossible qu’une personne apprenne à se battre en trois mois. Cela signifie qu’il y aura beaucoup de morts. J’espère qu’on n’en arrivera pas là, mais ce serait mieux s’ils n’avaient pas adopté cette loi.
Moi-même, je ne voudrais pas aller dans la zone d’opérations militaires spéciales. Je ne suis pas tellement patriote.
Je ne veux pas qu’il y ait de guerres et je ne veux pas faire la guerre moi-même. […] J’espère que rien de tel ne se produira dans les cinq prochaines années, que les choses se calmeront et que je ne serai pas appelé sur le champ de bataille. »
Irina, mère d’un élève
« Tout est clair comme le jour : toutes ces lois, y compris la dernière en date, sont votées afin d’assurer un approvisionnement ininterrompu en chair à canon. Parce qu’ils ne veulent pas arrêter la guerre. Une personne sensée n’acceptera pas d’y aller, et tous les autres moyens d’attirer quelqu’un vers l’armée qui existaient en des temps plus paisibles ont cessé de fonctionner : trop de morts, de blessés, d’invalides. Les gens reviennent [de la guerre] et racontent [leurs expériences] dans leur petit cercle - naturellement, peu s’en inspirent.
Un grand pourcentage d’enfants qui sortent de l’école sont encore socialement immatures. Si la famille soutient tout ce qui se passe, cela augmente certainement sa volonté [de s’inscrire]. Et comme on leur impose la propagande des Conversations sur l’essentiel [cours hebdomadaires qui "enseignent le patriotisme" dans les écoles russes], c’est comme si Dieu lui-même leur disait d’aller droit à la guerre. »
Elle raconte qu’elle a vu à l’école une publicité incitant les jeunes à s’engager et qu’elle l’a déchirée sous les yeux d’un membre de la direction en disant : « Si vous êtes prêt à donner votre fils, votre propre sang, pour la boucherie, c’est votre affaire, mais je ne donnerai pas mon fils. »
Elle poursuit son témoignage : « S’ils veulent se suicider, qu’ils aillent se suicider. Ils ne doivent pas nous impliquer, encore moins nos enfants : personne n’a le droit de faire ça.
Mon fils n’a même jamais joué à des jeux liés à la guerre dans son enfance. Même avant le début de la guerre, il a déclaré qu’il ne voulait pas rejoindre l’armée. Je lui ai dit qu’il y avait un service civil alternatif. J’ai pensé que c’était un choix digne pour un homme de s’acquitter de son devoir envers sa patrie d’une autre manière plus utile et appropriée.
Quand je lui en ai parlé, il m’a dit : "Pourquoi pas ?" Je sais qu’il y a beaucoup de pression exercée sur ceux qui demandent un service civil de remplacement. J’ai dit : "Ça va être dur, mais préparons-nous". Je n’avais pas l’intention de lui faire un faux certificat [de santé] : ça implique de mentir, donc je trouve ça de mauvais goût.
Je ne sais pas ce qui va se passer ensuite, mais je sais une chose : je ne le laisserai pas partir [à l’armée], je ne le lâcherai pas. Pas même pour le service militaire ordinaire - surtout maintenant, alors que la loi a été votée et que la propagande est omniprésente. Si quitter le pays devient impossible - et il semble probable que les frontières seront fermées aux conscrits - j’utiliserai tous les moyens nécessaires. Je vais acheter une hutte dans un village reculé et m’y installer avec mon fils. »
Maria, mère d’un élève
J’ai deux fils : l’aîné a 35 ans et le plus jeune 17 ans et demi. Mon fils aîné a quitté la Russie en septembre [2022]. Il a une profession militaire très demandée, il est donc très probable qu’il aurait été mobilisé. […]
Il a décidé de quitter l’armée lorsque le gâchis en Syrie a commencé et que les militaires sous contrat ont été invités à aller se battre là-bas.
Je lui ai alors dit : "Fils, c’est la guerre de quelqu’un d’autre. Vous n’avez pas à mourir dans la guerre de quelqu’un d’autre."
Quitter l’armée n’a pas été facile. Et il est probablement presque impossible de partir maintenant.
Mon plus jeune fils va s’inscrire à l’université. […] Il ne parle presque jamais de la guerre, évite en quelque sorte ce sujet. Récemment, il a vu une publicité pour le groupe Wagner dans le bus et est venu vers moi avec des yeux comme des soucoupes. C’est quelque chose d’inattendu et d’effrayant, quelque chose qu’il n’a jamais rencontré dans sa vie. Je crois que lui et ses pairs sont encore des enfants. […] Je ne peux pas l’imaginer à 18 ans prenant une décision sur qui tuer et quand mourir.
[…] Deux des fils de mes amis sont récemment revenus du service militaire obligatoire. Leurs parents leur ont dit : "Ne signez rien". […] À leur retour, ils nous ont dit que près d’un tiers de leurs camarades avaient été convaincus de signer un contrat et avaient été envoyés à la guerre. […] À cet âge-là, il est difficile de résister. »
Échec à Poutine
Les échecs sont quasiment un sport national russe. Depuis 1995, les présidents de la Fédération internationale des échecs (Fide) sont russes. Le 3 mars 2022, quelques jours après le début du conflit, 44 joueurs, pour la plupart des grands maîtres, publient une lettre ouverte au président Poutine : « Nous sommes contre toute action militaire sur le territoire de l’Ukraine et appelons à un cessez-le-feu immédiat et à une solution pacifique du conflit par la voie du dialogue et des négociations diplomatiques. Pour nous, il est insupportablement douloureux de voir la catastrophe qui se produit ces jours-ci avec notre peuple. » Ils concluent : « Arrêtez la guerre ! »
Pour Eloi Relange, président de la Fédération française des échecs, « signer cette lettre ouverte, c’était extrêmement courageux parce que la plupart de ceux qui l’ont fait vivent en Russie, et ce n’est pas si facile de s’offusquer contre le pouvoir [109]. »
Le champion Garry Kasparov participe à la création du Comité anti-guerre de Russie qui lance un appel aux militaires russes : « N‘exécutez pas les ordres criminels. Ne tuez pas les Ukrainiens. Ne détruisez pas l’avenir de la Russie [110]. »
Anatoli Karpov, titulaire d’un des plus grands palmarès de l’histoire du jeu, mais aussi apparatchik de l’URSS et actuel député de la Douma, estime que « une condamnation des actions du président de la Russie, c’est une trahison ! ».
Sergueï Kariakine, vice-champion du monde en 2016, est né en Crimée et a joué dans l’équipe nationale ukrainienne jusqu’en 2009, avant de devenir russe et d’afficher son accord avec l’invasion de l’Ukraine. Le 27 février, il a écrit à Poutine son « soutien total dans la protection des intérêts de la Russie, de notre peuple multinational russe, dans l’élimination des menaces et l’établissement de la paix ! Je souhaite l’accomplissement rapide de toutes les tâches assignées à notre vaillante armée. » La Fide l’a alors suspendu pour six mois pour « violation du code de conduite éthique [111]. »
Vladislav Ammosov
Vladislav Ammosov est originaire de la République de Sakha Yakoutie, de la fédération de Russie. Capitaine du GRU, le renseignement militaire russe, il a participé à la seconde guerre de Tchétchénie. En désaccord avec l’annexion de la Crimée, il a quitté la Russie avec sa famille. Après l’invasion de l’Ukraine, il a décidé de rejoindre la défense de ce pays. Il a mené des activités anti-guerre au sein de la Yakoutie libre. Il a participé au Forum des peuples libres de Russie. Il est entré en contact avec le Conseil civique, une organisation qui recrute pour le Corps des volontaires russes et d’autres formations de transfuges qui combattent les troupes russes. Il a participé à la création du bataillon sibérien. « Maintenant, il n’y a plus de place pour dormir pour tous ceux qui veulent nous rejoindre. L’unité est déjà en phase finale de formation. Il y a une pénurie d’officiers et de personnel qualifié. J’espère que mes connaissances et mon expérience seront utiles pendant l’entraînement et le combat. », confie-t-il [112].
[1] https://nowar.solidarite.online/blog, consulté le 22 mai 2023.
[2] https://assembly.org.ua, consulté le 22 mai 2023.
[3] https://meduza.io/news/2023/05/26/v-arhangelske-otmenili-kontsert-gruppy-splin-ee-solist-aleksandr-vasiliev-posvyaschal-pesnyu-artistam-uehavshim-iz-rossii, publié et consulté le26 mai 2023.
[4] https://reveil.courrierinternational.com/#/edition/1196/article/205499, publié et consulté le 29 mai 2023.
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cochons_de_Pink_Floyd, consulté le 29 mai 2023.
[6] Pierre Haski, « L’ex-Pink Floyd Roger Waters, les cochons volants antisémites et le Crif », Rue 89, 18 novembre 2016, consulté le 29 mai 2023.
[7] Bruno L’esprit, https://www.lemonde.fr/musiques/article/2017/06/16/roger-waters-une-autre-brique-dans-le-mur_5145890_1654986.html, 16 juin 2017, consulté le 29 mai 2023.
[8] Amale Ajebli, https://www.lefigaro.fr/musique/2019/01/29/03006-20190129ARTFIG00072-l-ex-pink-floyd-roger-waters-exfiltre-deux-enfants-syriens-de-l-etat-islamique.php, 29 janvier 2019, consulté le 29 mai 2023.
[9] https://braveneweurope.com/roger-waters-the-war-profiteering-gangsters-will-kill-us-all-unless-we-unite-against-them, consulté le 29 mai 2023.
[10] Kory Grow, https://www.rollingstone.fr/pour-roger-waters-linvasion-de-lukraine-est-lacte-dun-gangster, 11 mars 2022, consulté le 29 mai 2023.
[11] https://edition.cnn.com/videos/politics/2022/08/06/smr-roger-waters.cnn, consulté le 29 mai 2023.
[12] https://rogerwaters.com/open-letter-olena, consulté le 29 mai 2023.
[13] Corentin Lesueur, https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/02/09/l-ex-pink-floyd-roger-waters-defend-la-russie-devant-l-onu-et-renoue-avec-la-controverse_6161198_3246.html, 9 février 2023, consulté le mai 2023.
[14] Jérôme Morin, « Guerre en Ukraine : ce prisonnier russe témoigne à Lyon », 25 mai 2023.
[15] https://smf.emath.fr/actualites-smf/azat-miftakhov-menace-par-de-nouvelles-accusations, 1er mars 2023, consulté le 31 mai 2023.
[16] Antoine Perraud, https://www.mediapart.fr/journal/international/210523/en-russie-les-couches-populaires-portent-le-fardeau-de-cette-guerre-qui-enrichit-les-capitalistes?utm_source=quotidienne-20230521-193915&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-, 21 mai 2023, consulté le 31 mai 2023.
[17] https://meduza.io/news/2023/05/26/novyy-sud-po-delu-navalnogo-nachnetsya-31-maya-v-dele-3828-stranits-pro-prestupleniya-kotorye-on-sovershil-uzhe-sidya-v-tyurme, publié et consulté le26 mai 2023.
[18] Faustine Vincent, « À Paris, l’opposition russe continue de chercher la voie de son unification », Le Monde, 26 mai 2023.
[19] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20230518-le-g7-se-r%C3%A9unit-%C3%A0-hiroshima-sur-fond-de-guerre-en-ukraine-et-bras-de-fer-%C3%A9conomique-avec-la-chine, 18 mai 2023, consulté le 31 mai 2023.
[20] Pierre Pavloff, « Quand un mercenaire raconte l’enfer », L’Express, 25 mai 2023.
[21] Benoît Vitkine, « Prigojine, dynamiteur de l’État russe », Le Monde, 1er juin 2023.
[22] 24 mai 2023.
[23] « Au commencement était Blackwater »
[24] Clara Marchand, « La guerre des popes fait rage », L’Express, 25 mai 2023.
[25] « C Politique », La 5, 28 mai 2023.
[26] https://edition.cnn.com/2022/12/05/europe/russians-fighting-for-ukraine-intl-cmd/index.html, 5 décembre 2022, consulté le 31 mai 2023.
[27] Benoît Vitkine, « Guerre en Ukraine : l’incursion en territoire russe dans la région de Belgorod, un affront à Moscou », Le Monde, 23 mai 2023.
[28] https://www.nouvelobs.com/monde/20230525.OBS73763/a-belgorod-les-miliciens-russes-anti-poutine-ont-reussi-a-semer-la-panique-et-encore-plus-de-confusion.html?at_medium=email&at_emailtype=retention&at_campaign=ObsActu8h&at_send_date=20230526&M_BT=68431130352995, Timothée Vilars, 25 mai 2023, consulté le 31 mai 2023.
[29] Lucas Minisini, « L’échappée belle des oligarques ukrainiens », M-le magazine du Monde, 27 mai 2023.
[30] Christophe Cirone, https://www.nicematin.com/faits-divers/vandalisme-intimidations-des-voitures-de-refugies-ukrainiens-prises-pour-cibles-sur-la-cote-d-azur-837063, 26 mars 2023, consulté le 31 mai 2023.
[31] « Une guerre dans la guerre », 18 mai 2023.
[32] https://novayagazeta.eu/articles/2023/04/25/v-tomskoi-oblasti-65-letniaia-pravozashchitnitsa-poprosila-prigovorit-ee-k-realnomu-sroku-po-delu-o-feikakh-ona-ne-v-sostoianii-oplatit-shtraf-news, 25 avril 2023, consulté le 15 mai 2023.
[33] Alexandra Domenech, https://blogs.mediapart.fr/alexandra-domenech/blog/150523/ces-resistantes-russes-que-le-regime-de-poutine-ne-peut-atteindre, publié et consulté le 15 mai 2023.
[34] Oleksiy Bondarenko et Morvan Lallouet, https://meduza.io/en/feature/2023/05/10/no-more-compromises, 10 mai 2023, consulté le 20 mai 2023.
[35] Galina Kojevnikova, https://www.sova-center.ru/racism-xenophobia/publications/2006/02/d7189, 6 février 2006, consulté le 20 mai 2023.
[36] Lou Roméo, https://www.lepoint.fr/monde/russie-qui-est-Evguéni-roizman-un-des-derniers-opposants-a-poutine-18-05-2023-2520603_24.php, 18 mai 2023, consulté le 20 mai 2023.
[37] https://taz.de/-Nachrichten-im-Ukraine-Krieg-/!5928879, 18 avril 2023, consulté le 21 mai 2023.
[38] Dinah Riese, https://taz.de/Asylsuchende-aus-Russland/!5929065&s=schutz+f%C3%BCr+deserteure, 19 avril 2023, consulté le 21 mai 2023.
[39] Peter Nowak, https://taz.de/Asyl-fuer-Kriegsdienstverweigerer/!5935023, 15 mai 2023, consulté le 21 mai 2023.
[40] https://meduza.io/feature/2023/05/19/kompaniya-leica-camera-vskore-posle-nachala-voyny-ob-yavila-ob-uhode-iz-rossii-odnako-v-itoge-ne-tolko-ne-ushla-no-i-nachala-eksportirovat-v-rossiyu-pritsely-nochnogo-videniya, 19 mai 2023, consulté le 21 mai 2023.
[41] https://www.courrierinternational.com/article/guerre-en-ukraine-apres-avoir-fui-en-occident-un-deserteur-du-groupe-wagner-decide-de-rentrer-en-russie, 19 mai 2023, consulté le 21 mai 2023.
[42] https://www.lemonde.fr/international/live/2023/05/18/guerre-en-ukraine-en-direct-la-bielorussie-retablit-partiellement-les-controles-a-sa-frontiere-avec-la-russie_6173658_3210.html, publié et consulté le 18 mai 2023.
[43] https://meduza.io/news/2023/05/11/proukrainskie-aktivisty-oblili-viktora-shenderovicha-ketchupom-na-kontserte-v-vilnyuse-dve-nedeli-nazad-ego-zanesli-v-bazu-mirotvortsa, 11 mai 2023, consulté le 21 mai 2023.
[44] Emmanuel Grynszpan, https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/20/guerre-en-ukraine-le-couperet-de-la-cancel-culture-s-abat-sur-l-intelligentsia-russe-exilee_6174130_3210.html, publié et consulté le 20 mai 2023.
[45] « Depuis le début de la tragédie ukrainienne, le Vatican peine à nommer les choses avec justesse », Le Monde, 20 mai 2023.
[46] Maurice Montet, « Pas un homme, pas un euro pour la guerre », Planète Paix, avril 2023.
[47] https://ebco-beoc.org/node/565, consulté le 13 mai 2023.
[48] https://femartact.gr/?p=1761, 24 février 2023, consulté le 13 mai 2023.
[49] Alexia Tsouni, « Faites de l’art, pas la guerre ! », Union pacifiste, mai-juin 2023.
[50] Isolde Drobina, https://novayagazeta.eu/articles/2023/04/13/forgive-me-for-letting-you-go-to-this-war, 13 avril 2023, consulté le 10 mai 2023.
[51] Daria Talanova, Nikita Kondratyev, https://novayagazeta.eu/articles/2023/04/19/military-ad-campaigns-reach-russian-schools-metro-stations-and-kindergartens-en, 19 avril 2023, consulté le 10 mai 2023.
[52] http://www.frontsyndical-classe.org/2023/04/la-federation-syndicale-mondiale-en-ce-1er-mai-2023.html, 30 avril 2023, consulté le 10 mai 2023.
[53] Gilles Questiaux, http://www.reveilcommuniste.fr/2022/03/ni-la-russie-ni-l-otan-ou-nulle-part.html, publié et consulté le 10 mai 2023.
[54] http://www.reveilcommuniste.fr/2023/05/marche-pour-la-paix-en-pologne.html, consulté le 11 mai 2023.
[55] https://www.7sur7.be/monde/les-ukrainiens-a-la-place-d-une-bombe-larguent-une-offre-de-paix-sur-un-russe-suppliant-de-le-laisser-en-vie~ab1882a1, publié et consulté le 11 mai 2023.
[56] Amandine Jonniaux, https://www.journaldugeek.com/2022/05/10/en-russie-des-pirates-hackent-la-television-et-diffusent-des-messages-interdits-en-direct, 10 mai 2022, consulté le 11 mai 2023.
[57] Mathieu Grumiaux, https://www.clubic.com/antivirus-securite-informatique/virus-hacker-piratage/piratage-informatique/actualite-421788-rutube-le-youtube-russe-pirate-toutes-les-videos-effacees-definitivement.html, 10 mai 2023, consulté le 11 mai 2023.
[58] https://www.lefigaro.fr/medias/un-site-pirate-copie-le-parisien-pour-diffuser-de-fausses-informations-20230511, publié et consulté le 11 mai 2023.
[59] Anna-Lena Laurén, « À Saint Pétersbourg, on brade les palais », Dagens Nyheter, 22 avril 2023, repris par Courrier International, 11 mai 2023.
[60] Irina Tumakova, https://novayagazeta.eu/articles/2023/04/18/youre-the-only-one-with-balls-of-steel-en, 18 avril 2023, consulté le 8 mai 2023.
[61] Benoît Vitkine, « En Russie, la victoire de 1945 sert le culte de la guerre sans fin », Le Monde, 10 mai 2023.
[62] Benoît Vitkine, « Poutine dénonce "la guerre lancée" contre la Russie », Le Monde, 10 mai 2023.
[63] Iryna Khalip, https://novayagazeta.eu/articles/2023/05/01/a-man-in-outer-space-en, 1er mai 2023, consulté le 9 mai 2023.
[64] https://prisoners.spring96.org/ru/person/eduard-babaryka, consulté le 9 mai 2023.
[65] https://news.zerkalo.io/economics/37882.html?tg, consulté le 9 mai 2023.
[66] https://news.zerkalo.io/life/38611.html?utm_source=news.zerkalo.io&utm_medium=news-bottom-block&utm_campaign=relevant_news, 7 mai 2023, consulté le 9 mai 2023.
[67] https://news.zerkalo.io/life/38671.html?c, 8 mai 2023, consulté le 9 mai 2023.
[68] https://www.youtube.com/watch?v=AoNWVqw_9xE, 8 mai 2023, consulté le 9 mai 2023.
[69] Zoïa Svetova, propos recueillis par Céline Lussato, https://www.nouvelobs.com/monde/20230502.OBS72837/journal-de-moscou-on-tente-de-devenir-invisible-en-esperant-ne-pas-etre-denonce.html?at_medium=email&at_emailtype=retention&at_campaign=ObsActu17h&at_send_date=20230502&M_BT=68431130352995, 2 mai 2023, consulté le 6 mai 2023.
[70] https://russie-libertes.org/about, consulté le 7 mai 2023.
[71] https://russie-libertes.org/2022-09-26-signez-notre-petition-lunion-europeenne-doit-proteger-les-russes-qui-fuient-les-repressions-et-la-mobilisation, 26 septembre 2022, consulté le 7 mai 2023. Signez la pétition : https://chng.it/7HmmVdBPq8
[72] Guillaume Lefèvre, « Les Russes vivent dans une bulle », Syndicalisme hebdo, n° 483, 12 mai 2022 ; Olga Prokopieva, Lev Ponomarev et Cécile Vaissié, « La paix en Europe ne sera garantie qu’après la “dépoutinisation” de la Russie », Le Monde, 15 décembre 2022.
[73] Salomé Kourdouli, « L’opposant à Poutine Ilia Iachine condamné à huit ans et demi de prison pour avoir dénoncé la guerre en Ukraine », Libération, 9 décembre 2022, consulté le 7 mai 2023. Signez la pétition en faveur d’Ilia Iachine : http://chng.it/mD59vVt4Pz
[74] https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/quotidien-deuxieme-partie-du-2-mai-2023-01883134.html, 2 mai 2023, consulté le 6 mai 2023.
[75] https://desk-russie.eu/2023/02/11/pourquoi-l-humour-russe.html, 11 février 2023, consulté le 7 mai 2023.
[76] https://www.svoboda.org/amp/zhitelyu-ryazanskoy-oblasti-grozit-do-tryoh-let-tyurjmy-za-anekdot/32315997.html, 13 mars 2023, consulté le 7 mai 2023.
[77] https://www.pourlukraine.com, consulté le 7 mai 2023.
[78] https://meduza.io/feature/2023/04/29/ya-ne-mogu-prinyat-nagradu-v-gorode-otkuda-otdayutsya-prikazy-ubivat-detey-zhenschin-i-starikov, 29 avril 2023, consulté le 1er mai 2023.
[79] https://spb.iofe.center/node/237, consulté le 1er mai 2023.
[80] https://arch2.iofe.center/person/21979#document-11107, consulté le 1er mai 2023.
[81] Nicolas Werth, président de l’association Memorial France, « Pour Oleg Orlov, l’État russe postsoviétique repose sur la reconstruction impériale et la militarisation », Le Monde, 5 mai 2023.
[82] https://meduza.io/feature/2023/05/03/tatyana-kotlyar-uzhe-20-let-pomogaet-bezhentsam-i-migrantam-okazavshimsya-v-rossii-za-eto-vremya-ona-propisala-v-svoey-kvartire-neskolko-tysyach-chelovek, publié et consulté le 3 mai 2023.
[83] Réseau de solidarité avec l’Ukraine, « Ukraine solidarité France », Brigades éditoriale de solidarité, Soutien à l’Ukraine résistante, n° 19, 1er mai 2023, p. 10-11.
[84] Thomas d’Istria, « Le détournement d’un avion de ligne et l’arrestation de l’opposant Roman Protassevitch par la Biélorussie suscitent une forte émotion », Le Monde, 24 mai 2021. Réseau de solidarité avec l’Ukraine.
[85] Emmanuel Grynszpan, « Le calvaire par étapes du journaliste biélorusse, Roman Protassevitch », Le Monde, 5 mai 2023.
[86] Thibault Nadal, https://www.rtl.fr/actu/international/guerre-en-ukraine-bielorussie-tchetchenie-ces-allies-qui-aident-la-russie-7900128574, 25 février 2022, consulté le 4 mai 2023.
[87] « Le dirigeant tchétchène Kadyrov promu général par Poutine », Le Figaro, 5 octobre 2022.
[88] C. L., « Le dirigeant tchétchène Kadyrov veut créer un groupe paramilitaire " à la Wagner" », L’indépendant, 19 février 2023, consulté le 5 mai 2023.
[89] Caroline Lemaitre, « Le dirigeant tchétchène Kadyrov gravement malade ? La piste de l’empoisonnement avancée », L’indépendant, 6 mars 2023, consulté le 5 mai 2023.
[90] Anissa El Jabri, https://www.rfi.fr/fr/europe/20230316-russie-ramzan-kadyrov-rencontre-vladimir-poutine-et-critique-sans-le-nommer-le-chef-de-wagner, 16 mars 2023, consulté le 5 mai 2023.
[91] Anne Colin Lebedev, « La mobilisation est utilisée de manière punitive par le pouvoir tchétchène », La Nouvelle République, 3 mai 2023.
[92] https://www.instagram.com/freeyakutiafoundation, consulté le 5 mai 2023.
[93] https://www.instagram.com/asiansofrussia, consulté le 5 mai 2023.
[94] Julian Colling, https://www.mediapart.fr/journal/international/020323/la-bouriatie-une-republique-saignee-par-l-effort-de-guerre-russe, 2 mars 2023, consulté le 5 mai 2023.
[95] Faustine Vincent, « En Biélorussie, le mari de Svetlana Tsikhanovskaïa condamné à dix-huit ans de prison », Le Monde, 14 décembre 2021.
[96] Claire Gatinois, « Svetlana Tsikhanovskaïa, candidate à la présidentielle par amour, devenue le visage de la révolte biélorusse », Le Monde, 21 août 2020.
[97] Faustine Vincent, « À Minsk, les espoirs envolés », Le Monde, 27 avril 2023.
[98] Sylvie Kauffmann, https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/25/guerre-en-ukraine-l-opposition-bielorusse-annonce-la-formation-d-un-gouvernement-en-exil_6115218_3210.html, 25 février 2022, consulté le 28 avril 2023.
[99] Faustine Vincent, « Le combat de l’opposante biélorusse en exil », Le Monde, 29 avril 2023.
[100] https://helpdesk.media/ru, consulté le 30 avril 2023.
[101] Interview par Irina Tumakova, https://novayagazeta.eu/articles/2023/04/25/the-only-people-who-are-really-fighting-putin-right-now-are-ukrainians-en, 25 avril 2023, consulté le 30 avril 2023.
[102] Tatiana Yankelevich, traduit par Valentine Morizot, Le Monde, 29 avril 2023.
[103] Collectif, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/28/nous-reclamons-la-liberation-immediate-d-alexei-navalny-l-appel-de-130-personnalites_6171369_3232.html, 28 avril 2023, consulté le 30 avril 2023.
[104] Léna Martin, « Guerre en Ukraine : Quand les soldats russes refusent de combattre », sur lindependant.fr, 13 mai 2022, consulté le 30 avril 2023.
[105] Benoît Vitkine, « En Russie, les avocats dans le viseur du Kremlin », Le Monde, 27 avril 2023.
[106] Benoît Vitkine, « Poutine menace d’expulser les Ukrainiens des régions annexées par la Russie », Le Monde, 30 avril – 2 mai 2023.
[107] https://memorialcenter.org/news/pensionerku-sudyat-za-kompliment-zelenskomu, 14 avril 2023, consulté le 30 avril 2023.
[108] Yekaterina Krasotkina, https://novayagazeta.eu/articles/2023/04/27/young-blood-russian-men-can-now-sign-up-for-contract-service-as-young-as-18-en, 27 avril 2023, consulté le 30 avril 2023.
[109] Pierre Barthélémy, « Les échecs russes avancent leurs pions face à Poutine », Le Monde, 16 avril 2022.
[110] https://antiwarcommittee.info/fr/lappel-du-comite-anti-guerre-aux-militaires-russes, 1er mars 2022, consulté le 2 septembre 2022.
[111] IegorGran, « Kariakine surjoue le gambit Poutine », Le Point géopolitique hors-série n° 8, Russie, les secrets d’un empire en guerre, avril-mai 2023.
[112] Georgy Aleksandrov, https://novayagazeta.eu/articles/2023/04/22/nas-v-ukrainu-priekhalo-uzhe-neskolko-voln-dobrovoltsev, 22 avril 2023, consulté le 30 avril 2023.