Nous avions été très critiques sur la portée finale du texte au moment de son adoption il y a dix ans [1]. Nos craintes se sont hélas confirmées. La France, par exemple, alimente la répression égyptienne comme la guerre au Yémen en passant par le conflit ukrainien où des technologies françaises sont aux mains des deux camps [2].
C’était pourtant suite à la première guerre du Golfe où l’équipement français et britannique cédé au régime de Saddam Hussein s’est retourné contre leurs vendeurs que l’idée de traité a cheminé. L’indignation suscitée par les massacres des années 1990 : Angola, Sierra Leone, Rwanda a conforté la volonté de changement. Du côté des ONG, il fallait limiter les ventes d’armes et éviter que celles-ci n’alimentent les conflits et violations des droits humains mais les États exportateurs poussaient un autre agenda lors des négociations : leur objectif était de limiter la concurrence déloyale en imposant une réglementation plus stricte aux concurrents du Sud, d’Europe de l’Est et d’Asie. Les ONG ont ensuite travaillé main dans la main avec les États pour les pousser à adopter des normes contraignantes. On sait aujourd’hui que pendant que la France multipliait les rendez-vous avec le secteur associatif, dont l’Observatoire des armements, pour négocier le Traité, elle ficelait des contrats d’armements colossaux pour préparer la guerre au Yémen avec la Coalition arabe.
La mouture finale du Traité illustre le double jeu des principaux États exportateurs. Ses dispositions n’établissent pas de standards et de bonnes pratiques. Au contraire, le TCA repose sur l’auto-contrôle par les États membres, sans instance de vérification à l’ONU et système de sanctions en cas de manquement. Le secret injustifié des contrats d’armement est préservé, en particulier sur les pièces, composants et munitions qui sont au cœur des échanges d’aujourd’hui. Pour maintenir leur capacité d’exportation, les États se sont ménagés toute latitude pour interpréter le texte à leur avantage, voire plus simplement l’ignorer.
Certes, le Traité fournit une base légale utilisée dans de nombreux contentieux juridiques portés par les ONG contre des exportations vers des pays impliqués dans le conflit au Yémen, au premier rang desquels l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Mais elle est incertaine car les États peuvent toujours se prévaloir de leur pouvoir discrétionnaire et souverain en la matière conduisant à l’échec des procédures française et italienne.
En Europe, suite à la guerre au Yémen, des contrats vers l’Arabie saoudite et/ou les Émirats ont été suspendus aux Pays-Bas, en Suède et de façon résiduelle en Allemagne et Italie. Mais la France, qui se targue d’être une puissance d’équilibre, a choisi de maintenir ses exportations, en dépit des crimes de guerre bien documentés. Notre pays, qui mise prioritairement sur l’action militaire pour asseoir sa politique d’influence et de coercition à l’international agit comme un goulot d’étranglement en Europe, neutralisant toute évolution positive. La France est à la tête du camp qui refuse l’harmonisation européenne du contrôle des exportations d’armes et assure la promotion ardente de tous les dispositifs financiers de soutien à l’industrie de l’armement. Face à cette impasse, les Parlements nationaux doivent exercer ce rôle de tiers susceptible de faire respecter l’esprit du traité et de contrôler l’action des États. Si là encore, certains pays (Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne) ont fait évoluer son rôle vers plus de transparence et de démocratie dans le domaine [3], ce n’est pas le cas de la France.
À deux reprises — en 2000 et en 2020 —, des missions d’information parlementaires ont réclamé la mise en place d’une commission en mesure de pérenniser un débat au Parlement sur les ventes d’armes. Mais les différents gouvernements sont restés sourds à ces revendications et un certain consensus gauche-droite prévaut pour maintenir le statu quo.
La prochaine Loi de programmation militaire (LPM) devrait par ailleurs entériner une enveloppe de 413 milliards d’euros, une augmentation de 117 milliards d’euro par rapport à la loi précédente. Cette somme qui se traduira par des investissements massifs dans la production d’armement — encouragera mécaniquement dans les années à venir de nouvelles exportations d’armes aux pays en guerre et régimes répressifs.
Nous demandons que les députés évaluent lors de l’examen de la future LPM les enjeux et les risques que font courir la production d’armes et les exportations pour la sécurité des populations et qu’ils mettent en place (enfin !) de leur propre initiative, par voie d’amendement, une commission parlementaire permanente de contrôle des exportations d’armement.