Selon le communiqué du Sipri, les exportations d’armes de la France ont bondi de 44 % en 2018-2022 par rapport à la période précédente 2013-2017, avec pour premières destinations, l’Asie, l’Océanie et le Moyen-Orient. L’Inde en particulier représente 30 % des ventes d’armes françaises. Une tendance confirmée par les récentes prises de commande françaises, souligne le Sipri, comme les Rafale vendus aux Émirats arabes unis et à l’Indonésie. De plus, l’augmentation considérable des budgets militaires de France et de l’Union européenne depuis 2017 – qui se traduit par des investissements massifs dans la production d’armement — encouragera mécaniquement dans les années à venir de nouvelles exportations d’armes aux pays en guerre et régimes répressifs.
Notre dernier rapport Les guerres se fabriquent près de chez nous, publié en mai 2022, a révélé que onze sociétés de la région Auvergne-Rhône-Alpes sont impliquées dans les conflits et répressions : Palestine, Yémen, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Irak…
La liste ne s’arrête pas là. Si l’entreprise de Haute-Savoie PGM Precision a équipé les forces égyptiennes et israéliennes selon notre rapport, des exemplaires de fusil produits par cette firme se sont retrouvés dans les mains des forces houthies, en 2017, selon des images analysées par Joshua Koontz, un consultant spécialiste de l’armement et du Yémen [1]. Or les Houthis, dont la France n’hésite pas à condamner les attaques, sont visés par l’embargo sur le Yémen, qui exclut les ventes d’armes aux autres belligérants. L’hypothèse la plus probable est que ces fusils ont été abandonnés sur le champ de bataille au Yémen par les soldats saoudiens. En effet, de 2015 à 2017, Paris a transféré 1 765 fusils de précision à Riyad selon les différents rapports remis par la France au secrétariat du Traité sur le commerce des armes. Mais la piste d’une livraison indirecte ne peut être exclue d’office, François Brion, le dirigeant de PGM Precision ayant déclaré recourir à des intermédiaires – dont de probables « lords of war » selon ses mots [2]… À l’heure où l’entreprise Verney-Carron basée à Saint-Étienne souhaite relancer la fabrique de fusils d’assaut, nous percevons bien les risques associés à ce type d’armes, qui se disséminent facilement.
Quant à STMicroelectronics, fabricant franco-italien de composants électroniques dont l’unité principale de production se situe à Crolles (38), il irrigue la guerre en Ukraine. Selon un rapport du Royal United Services Institution [3], centre de recherche britannique spécialisé dans la défense et la sécurité, ses microcontrôleurs STM32 ont été retrouvés dans une série de drones russes engagés en Ukraine : Orlan-10, E95M, Eleron-3SV et Koub-BlA. Ces composants sont rangés dans la catégorie des « biens à double usage », à la fois civils et militaires. Or l’embargo de l’Union européenne visant la Russie, édicté en 2014 proscrit également l’exportation de ce type de biens « s’ils sont destinés entièrement, ou en partie, à un usage militaire, ou à un utilisateur final militaire ».
Le nouveau Rapport sur l’exportation des biens à double usage [4], publié par le ministère de l’Économie, ne permet pas de connaître les caractéristiques des pièces et composants livrés à la Russie, ce qui le rend quasiment inopérant. Cette opacité de la France est d’autant plus intolérable quand dans le même temps on arme l’autre belligérant.
Nos recommandations
- Nous demandons aux parlementaires de réclamer la remise à l’ordre du jour du projet de loi sur la violation des embargos, en attente depuis plus de quinze ans. Ce projet de loi [5] a été mis au vote et renforcé par l’Assemblée nationale en 2016 suite au plaidoyer de l’Observatoire des armements, Survie et Amnesty International France, mais son chemin vers le Sénat a ensuite été – de nouveau — bloqué par l’exécutif.
- Nous demandons aux parlementaires de mettre en place les recommandations du rapport d’information (2020) des députés Jacques Maire et Michèle Tabarot : création d’une délégation parlementaire sur le contrôle des exportations d’armement et une amélioration de la transparence des rapports au Parlement sur les exportations d’armes et des biens à double usage (publication régulière des données sur un site internet, publication des dénominations du matériel, quantités, des précisions sur les licences modifiées, suspendues ou abrogées, mention de l’identité des bénéficiaires des livraisons au sein de l’État client ainsi que l’utilisation finale. Le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) doit dévoiler dans le rapport annuel au Parlement les éléments des directives de haut niveau.
- Nous demandons à la région Auvergne-Rhône-Alpes, à la métropole de Lyon et à celle de Grenoble d’engager un audit sur les financements des entreprises d’armement et l’impact de celles-ci sur les répressions et conflits internationaux. STMicroelectronics a en effet touché près de 60 M€ de la part des collectivités territoriales dans le cadre du plan Nano 2022, en plus des financements nationaux. C’est notamment le sens de l’intervention du groupe des élus écologistes la semaine dernière au Conseil régional d’AURA : obtenir un état des lieux précis des subventions attribuées au secteur de l’armement.
[1] https://twitter.com/JoshuaKoontz__/status/1433119185110974464 ; https://twitter.com/JoshuaKoontz__/status/1581673549856911361
[3] https://rusi.org/explore-our-research/publications/special-resources/silicon-lifeline-western-electronics-heart-russias-war-machine
[4] https://www.entreprises.gouv.fr/fr/actualites/echanges-commerciaux-et-reglementation/service-des-biens-double-
usage/exportations-des-biens-double-usage-de-la-france-rapport-2022