Un petit livre vite lu, mais qui permet (enfin) de lire des lignes qui changent des commentaires, ou des analyses « à chaud » sur une guerre qui s’éternise, et qui promet de durer bien plus longtemps que… Que quoi ? Personne ne sait vraiment. Une guerre durable, en quelque sorte. Pour un peu, j’aurais envie d’écrire, suite à la lecture de deux recensions sur ce court livre : « la paix dérange ».

Explications : Edgar Morin, pour faire simple, part de son expérience de la guerre (guerre de 39 / 45, mais pas uniquement), pour indiquer qu’à force de positions radicales et non-négociables, la logique de guerre prend toujours le pas sur la logique de paix. Il note l’absence de réactions contre la guerre en France. Alain Refalo (militant non-violent), dans une recension sur son blog, met l’accent sur cette lucidité d’Edgar Morin. Un exemple, parmi d’autres : Edgar Morin souligne la cruauté des bombardements des villes allemandes à la fin de la guerre. « Il est clair que durant la Seconde guerre mondiale, les crimes de guerre perpétrés par l’Allemagne nazie envers les Juifs, les Tsiganes et les populations civiles prises en otage et fusillées furent des crimes de guerre systémiques, structurels et occasionnels, et constituèrent la criminalité première et principale de cette guerre. Mais on ne peut s’empêcher de penser que les bombardements massifs de villes allemandes et de leur population civile hors objectif militaire précis constituent rétrospectivement des crimes de guerre systémiques. » (p. 11)

Un article du Monde du 12 janvier (signé Florent Georgesco) démolit avec application ce petit bouquin. Le sous-titre annonce la couleur : « Edgar Morin se trompe de combat.  » En gros, et pour faire simple, l’article pointe certaines erreurs factuelles d’Edgar Morin. C’est sans doute vrai. Mais surtout, l’article pointe qu’Edgar Morin fait le jeu de Poutine. Réaction tristement banale que les pacifistes connaissent bien. « Munichois », encore et toujours. Oser interroger, oser réfléchir, c’est forcément prendre parti pour un camp. Maintenant et tout de suite.

Pour ma part, j’ai apprécié ces lignes. Il est salutaire que soient rappelées les horreurs de la guerre, de toute guerre. Que soit écrit noir sur blanc que certes, la Russie a mis en route une monstrueuse machine de guerre, mais que, d’autre part, les États-Unis, l’Otan sont loin d’être des anges dans cette histoire récente. Edgar Morin est presque « soft » là-dessus. Pour ma part, je pense que les nouvelles livraisons d’armes à l’Ukraine décidées ces jours derniers, auxquelles il convient maintenant d’ajouter les chars lourds du Royaume-Uni, ont plus pour fonction de tenter de battre la Russie une bonne fois pour toutes (!...), au-delà de la défense de l’Ukraine (opinion personnelle, et non celle d’Edgar Morin).

Dans le numéro 163 de Damoclès, j’écrivais que je ne connaissais pas la signification de l’expression si souvent employée : « gagner la guerre ». Edgar Morin termine son petit livre par ces lignes : « Plus la guerre s’aggrave, plus la paix est difficile, plus elle est urgente. Évitons une guerre mondiale. Elle serait pire que la précédente.  » (p. 85)

Il apparaît que pour trouver la paix, d’aucuns souhaitent une défaite implacable de la Russie (capitulation ?). Mais si l’on veut gagner la paix, une paix durable, et non une paix qui ne sert qu’à attendre la prochaine guerre, il faudra bien un jour tout mettre sur la table. Page 83, Edgar Morin écrit : « Les conditions de la paix sont claires : la reconnaissance de l’indépendance de l’Ukraine soit par un statut de neutralité, soit par son intégration dans l’Union européenne et donc avec garantie militaire. […] » Accompagnées [les conditions de paix] de négociations sur le statut du Donbass, qui est peuplé pour partie de russophones. Avec aussi bien sûr d’autres négociations sur la Crimée.

Le tort d’Edgar Morin, malgré des erreurs soulignées par l’article du Monde cité ci-dessus, est d’une certaine façon d’être trop lucide sur le peu de chances de déboucher sur une vraie paix durable.

Les vendeurs d’armes ont encore de beaux jours devant eux. De guerre en guerre. En souhaitant que cette guerre qui dure ne devienne pas nucléaire…

Jean-Michel Lacroûte

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