Fiches de lecture

Claude Serfati

L’État radicalisé • La France à l’ère de la mondialisation armée

La fabrique éditions, 2022, 248 p., 15,00 €

Industrie d’armement Matériel de sécurité Politique de défense Transferts / exportations

Mise en ligne : Mardi 20 décembre 2022
Dernière modification : Mardi 17 janvier 2023

L’État qui se radicalise, c’est l’État qui se militarise toujours plus. Un État qui militarise aussi sa police. Telle est, pour faire simple, la thèse de Claude Serfati. Il nous précise d’entrée que « cet ouvrage était pour l’essentiel achevé lorsque l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a commencé, le 25 février 2022 ».

Force est de constater que cette guerre n’a fait qu’amplifier cette montée de la militarisation, cet accroissement des ventes d’armes, de la France, mais aussi dans le monde. Le sous-titre du livre évoque la mondialisation armée. Pas de quoi être fiers, mais c’est bien là que nous en sommes. Que nous soyons d’accord ou non.

À l’Observatoire des armements, nous ne sommes évidemment pas d’accord, et nous tentons, avec nos petits moyens, d’inverser cette tendance. Ce livre est un outil pour nous aider. Le but de cette recension n’est pas de reprendre dans le détail les analyses de l’auteur. Il me semble qu’un mot, qui revient souvent, résume bien la spécificité française dans l’environnement international : bonapartisme. Les questions de défense, dans notre pays, sont l’affaire exclusive du président de la République. La constitution de la Ve République de 1959 de Charles de Gaulle a enfoncé le clou déjà bien ancré dans nos gènes nationaux depuis la révolution, et surtout la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte (puis celle quelques années plus tard de « Napoléon le petit) ». Emmanuel Macron, qui a une conception très « verticale » de son pouvoir, a accentué cela par la mise en avant de « Conseil de défense », pendant la pandémie, et plus récemment sur l’énergie.

Une manière de bien spécifier que, face à une situation exceptionnelle, seule la mise en avant d’une organisation de type militaire peut permettre de répondre efficacement. À sa décharge, ce conseil de défense existait déjà, et c’est sous Hollande, à la suite des attentats terroristes, que les Français·e·s se sont habitués à cette configuration. Tout cela sans aucun contrôle du Parlement, bien entendu. Bonapartisme, donc.

Le livre dissèque la nature profonde de la Cinquième République. Il enfonce le clou pour ce qui concerne l’armée, notre armée, puissante, interventionniste. Elle aime à gonfler les muscles par les nombreuses opérations extérieures (plus de 115 interventions militaires depuis la disparition de l’URSS en 1991…) et bien évidemment par la bombe atomique, chère à de Gaulle, et jamais remise en cause (bien au contraire) par ses successeurs. Les hauts gradés en demandent toujours plus (des sous, des armes, etc.).

L’auteur met ensuite le doigt sur une contradiction : notre industrie d’armement brille de mille feux (tout au moins chez nous), mais souvent au détriment du tissu industriel traditionnel (et civil) du pays, qui n’est plus valorisé. La recherche dans le domaine de l’armement n’implique aucunement un effet d’entraînement pour les autres domaines. Il en est de même pour les ventes d’armes. Si j’étais cynique, je pourrais dire que ces ventes d’armes permettent la militarisation de la police à grande vitesse. Ce que l’auteur appelle l’État militaro-sécuritaire est une réalité de plus en plus flagrante. Les fameuses LBD qui ont blessé un grand nombre de manifestants sont à l’œuvre au sein de la police, qui a de plus en plus un comportement militaire. Depuis les attentats des années 2015–2016, les militaires patrouillent dans notre pays. La militarisation de la police, de plus en plus importante, va permettre petit à petit de reporter les effectifs militaires sur d’autres opérations. L’heure est à la préparation de la « guerre de haute intensité ». Ce qui permet à la hiérarchie militaire de demander encore et toujours plus de moyens pour l’armée.

« […] Cet ouvrage a montré que la place centrale de l’institution militaire dans la Cinquième République est indissociable de son positionnement international. Le « rang » de la France défendu par de Gaulle et ses successeurs associe étroitement les capacités militaires et les performances économiques qui reposent de plus en plus sur l’industrie d’armement et le halo des secteurs qui gravitent autour d’elle (nucléaire, aéronautique et spatial)… » (p. 219). La place centrale de l’Élysée dans cette institution militaire se confirme par un article du Monde du 14 décembre 2022, qui titre : « Emmanuel Macron s’apprête à rendre des arbitrages décisifs pour planifier le budget des armées pour la période 2014–2030 ».

Claude Serfati pilonne dans cet ouvrage le président Macron, et ses prédécesseurs. Mais il m’apparaît que cette militarisation à la française est validée aussi par la gauche, ou tout au moins par une majorité de ses acteurs. J’en veux pour preuve une déclaration récente de LFI (Hadrien Clouet, ladépêche.fr (08/12/2022) sur le projet de rendre obligatoire le SNU (Service national universel) : « Nous, ça ne nous gênerait pas. C’est dans notre programme. On propose un an rémunéré avec permis de conduire à la clé. »

Les jeunes n’ont qu’à bien se tenir. L’État militaro-sécuritaire dénoncé par Claude Serfati veille sur eux. Toute tendance politique confondue.

Jean-Michel Lacroûte

Claude Serfati vient présenter son ouvrage le samedi 28 janvier 2023 à 15h à la librairie La Gryffe (5, rue Sébastien Gryphe, 69007 Lyon), co-organisée avec la Causerie des Clameurs.

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