L’audition à l’Assemblée nationale des trois ministres sur les deux rapports est prévue à huis-clos, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Les conditions dans lesquelles est organisé ce débat sont indignes de l’enjeu : 3 heures seulement de débat pour une année de transferts de systèmes d’armes… 3 minutes de prise de parole pour chaque groupe politique représenté, alors que plus de 210 députés sont invités.
Le rapport au Parlement sur les exportations d’armes est paru avec près de quatre mois de retard – la date-limite est fixée par la loi au 31 mai. De plus, il a été communiqué de façon inédite trois semaines avant le débat parlementaire à un seul média, Challenges. Quelques jours après, le rapport sur les exportations d’armement a fini par fuiter via Disclose… Mais pas celui sur les biens à double usage. S’agissait-il de « bordeliser » la communication de façon à décourager les ONG et journalistes en quête d’une date officielle de publication et soucieux d’ouvrir un véritable débat en France ?
Nous regrettons que les autorités françaises ne se séparent pas de leurs vieilles habitudes. Plutôt que de s’expliquer sur leur politique, elles s’efforcent de neutraliser dans l’œuf toute critique sur les ventes d’armes en cultivant la rétention d’informations, l’opacité sur les données publiées, et l’absence de réel dialogue avec les ONG et parlementaires.
Les recommandations du rapport des députés Jacques Maire et Michèle Tabarot pour renforcer le contrôle parlementaire des exportations d’armes (publié en novembre 2020) en ont été étouffées. Jacques Maire, qui servait d’interface entre la majorité et les ONG, n’a d’ailleurs pas été réinvesti par Renaissance aux dernières élections législatives. Aucune suite n’a été donnée à la proposition-phare des députés : créer une délégation parlementaire de contrôle des ventes d’armes.
Seul est mis en avant le montant en augmentation des exportations — alors que celui-ci en 2021 représente 2,3 % du commerce extérieure de la France — et non pas les destructions humaines, environnementales, et déstabilisation que ces armes vendues ont provoqué dans le monde.
Après l’Égypte, le Yémen, combien faudra-t-il attendre d’autres scandales pour que s’ouvre un débat et que la France respecte ses engagements en la matière (Traité sur le commerce des armes, Position commune de l’Union européenne) ?
À propos du Rapport sur les exportations d’armement
Le contenu du Rapport au Parlement sur les exportations reste identique aux années précédentes, malgré les nombreuses critiques formulées tant par des parlementaires que par les ONG. Les données sont réduites à des montants financiers qui ne permettent pas de savoir exactement ce que la France vend, à quel pays, à quelle quantité et à quoi peut servir le matériel exporté… Or comment exercer un contrôle démocratique sur la base d’un document lui-même incomplet ? Doit-on se borner à croire l’exécutif sur parole ?
Dans son bilan de l’année écoulée, page 48, le gouvernement détaille quelques exportations d’armes bien connues à destination du continent européen, à l’exception du contrat Rafale vers l’Égypte. Mais il se garde bien de se livrer au même exercice pour les pays litigieux, notamment le Moyen-Orient qui représente encore près de 50 % de nos exportations. Comme nos différentes études (disponible sur notre site) l’ont montré, celles-ci alimentent notamment la guerre au Yémen et des régimes autoritaires tels que l’Égypte et les Émirats arabes unis. Dans son paragraphe nommé « une politique d’exportations d’armes en cohérence avec les priorités stratégiques de la France », le ministère des Armées pointe, par exemple, une « répression sanglante des manifestations au Kazakhstan » tout en multipliant en 2021 ces exportations par quatre vers ce régime : de 35,2 M€ à 130,5 M€. Quid de la « cohérence » justement ?
L’Ukraine ne doit pas servir de prétexte à des renoncements… Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, toutes les données sur les transferts d’armes sont complètes et disponibles depuis longtemps sur un site internet. Ces pays ont aménagé un accès au secret défense pour les parlementaires, à mille lieux de l’immobilisme français. Le comble, c’est qu’il vaut mieux se reporter aux données des Pays-Bas si on souhaite avoir plus de détails sur l’attitude de Paris vis-à-vis des pays en guerre.
En 2021, Amsterdam a bloqué deux transferts de composants vers la France pour des missiles destinés à Abu Dhabi, comme nous indique la base de données en ligne du gouvernement néerlandais. Aucune allusion à ce refus dans le rapport français. Selon le document transmis au secrétariat du Traité sur le commerce des armes, la France n’a livré aucun missile aux Émirats arabes unis en 2021. Toutefois page 108 du rapport, on peut lire que la France a délivré 23 licences de la catégorie ML4 comprenant notamment les missiles en direction des Émirats… Comment savoir si des missiles ont été livrés ou non ?
À propos du nouveau Rapport sur les exportations des biens à double usage
Un nouveau rapport sur les exportations de biens à double usage, civil et militaire, sera également présenté pour la première fois. Il résulte de la mobilisation des ONG sur le Yémen et des préconisations du rapport parlementaire Maire-Tabarot. Sa parution est essentielle tant l’électronique, les systèmes d’interception et les composants liés au nucléaire sont des éléments-clés de l’armement. Ce document, que nous avons pu consulter, se révèle très incomplet : il s’agit là encore de montants financiers agrégés par pays et grande catégorie de matériel, ce qui est évidemment trop vaste pour savoir ce qui est réellement exporté.
Si le rapport sur l’armement publie un tableau comparatif des exportations sur plusieurs années, ce n’est pas le cas ici. La mise en forme ne permet pas d’apprécier leur évolution. La désignation du matériel est inconnue, de même que les quantités. N’y figurent que les données (nombre de licences et montant global par pays) sur les licences individuelles et non sur les deux autres types de licences engageant par définition des transactions plus nombreuses : les licences globales et générales… D’autre part, ces chiffres, qui correspondent à des estimations lors des négociations, se situent en général loin de la réalité finale des commandes et des livraisons réalisées. Le résultat des exportations finales a été exclu du rapport…
Là encore, le gouffre avec d’autres pays comme les Pays-Bas est abyssal. Dans ce pays, les données sur les biens à double usage font l’objet d’un relevé mensuel... depuis 2004. Si leur présentation laisse à désirer, l’essentiel des données brutes y figure : date précise de délivrance de la licence (jour/mois/année), détail des biens concernés, la nature de l’utilisation finale, leur valeur financière, le pays de destination [1].