Le retour du spectre de la guerre nucléaire

Ces derniers jours, Vladimir Poutine a brandi la menace de l’arme nucléaire, annonçant la mise en alerte de la force de dissuasion nucléaire russe. Jean-Yves Le Drian, en soulignant que la France et l’Otan sont aussi des puissances nucléaires, n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. La Russie et la France semblent avoir oublié le communiqué commun du 3 janvier 2022 signé avec les trois autres membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Royaume-Uni et Chine) : «  Nous affirmons qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée. […] Nos déclarations passées sur le déciblage, qui ont rappelé qu’aucune de nos armes nucléaires ne prenait pour cible l’un d’entre nous ou un quelconque autre État, demeurent valides. »

Nous rappelons que cette arme de destruction massive, visant les civils, est illégale au regard du droit international depuis l’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaire le 22 janvier 2021. Si ces déclarations sont avant tout destinées à peser sur le rapport de force, elles montrent bien l’échec de la prétendue "dissuasion" nucléaire. Loin d’assurer la paix, la présence de l’arme nucléaire ne fait qu’exacerber l’ampleur des conflits et renforcer considérablement les risques pour les populations prises en otage.

Élévation de la radioactivité ambiante à Tchernobyl

La zone interdite de Tchernobyl, non gardée et quasi inhabitée, était le point d’entrée le plus direct pour se rendre sur Kiev depuis la Biélorussie. Le passage des forces armées russes a coïncidé avec une multiplication par 20 à 30 du bruit de fond ambiant en certains points. L’endommagement du sol par les chars a probablement remis en circulation des poussières radioactives. Si aucune atteinte à des équipements n’est officiellement à déplorer, l’instabilité géopolitique représente un risque considérable pour la centrale accidentée, le nouveau sarcophage n’ayant pas été prévu pour résister à un conflit armé. Le groupement des régulateurs nucléaires européens lui-même a exprimé son inquiétude quant à des atteintes potentielles.

Vive inquiétude pour la sécurité des sites nucléaires

L’Ukraine, dépendante à 50 % du nucléaire pour produire son électricité, compte 15 réacteurs en activité, dont les six de la centrale de Zaporijia, la plus puissante d’Europe, située non loin de zones de combat. Ces sites constituent autant de cibles potentielles et de menaces pour les populations environnantes, voire européennes.

Ni la Russie, ni son allié biélorusse, limitrophes de l’Ukraine, n’ont certes intérêt à déclencher intentionnellement une attaque sur ces sites, un tel scénario pouvant avoir des conséquences catastrophiques sur leurs propres territoires. Mais nous exprimons nos plus vives inquiétudes quant à la possibilité d’une frappe accidentelle sur un site nucléaire ou une infrastructure le desservant. Ainsi, une atteinte aux lignes haute tension alimentant et desservant les centrales pourrait mettre en péril le refroidissement des réacteurs. La destruction d’un barrage en amont d’une centrale par un missile (risque évoqué par la presse ukrainienne) aurait également des conséquences terribles. Et si le conflit s’installe dans la durée, continuer à assurer le bon fonctionnement et l’entretien de sites nucléaires au milieu du chaos relèvera du défi.

D’ores et déjà, deux sites d’entreposage de déchets radioactifs, près de Kiev et Kharkiv, ont été touchés par les bombardements. Si, à l’heure actuelle, aucune conséquence radiologique n’est officiellement à déplorer, rien ne garantit que d’autres installations ne seront pas touchées. Le directeur général de l’AIEA lui-même a exprimé sa préoccupation sur ces incidents, qui « soulignent le risque très réel que des installations contenant des matières radioactives soient endommagées pendant le conflit, avec des conséquences potentiellement graves pour la santé humaine et l’environnement  ».

Dans un monde plus incertain, la relance du nucléaire nous rendrait encore plus vulnérables

La guerre en Ukraine vient cruellement nous rappeler que la paix sur le territoire européen n’est pas un acquis intangible. Or la France est elle aussi extrêmement vulnérable en cas de conflit, d’attaque terroriste ou même de cyberattaque, avec ses 56 réacteurs en fonctionnement, ses sites de stockage de déchets radioactifs, ses usines de combustible nucléaire, les près de 10 000 tonnes de combustible usé stockées dans les piscines de La Hague, sans compter ses nombreuses installations nucléaires militaires et ses stocks de matières radioactives militaires...

Ces installations posent un risque considérable non seulement pour nos territoires, mais aussi pour nos voisins européens. Relancer le nucléaire, comme le souhaitent Emmanuel Macron et la majorité des candidats à l’élection présidentielle, revient à parier que notre pays continuera de jouir tout au long du XXIe siècle de la paix et de la stabilité politique, ce que nul ne peut malheureusement garantir.

Au regard de ces risques, préserver les générations présentes et futures exige :

  • de prendre en urgence le virage vers un système énergétique résilient et sans danger pour les populations, en s’engageant résolument dans la sobriété, les économies d’énergie et le 100% renouvelable. Ces options, les plus à même de protéger le climat et créer un grand nombre d’emplois, sont aussi bien plus efficaces pour réduire rapidement notre dépendance au gaz russe que de nouveaux réacteurs nucléaires qui ne seraient pas opérationnels avant une quinzaine ou une vingtaine d’années.
  • la nécessité pour la France de s’engager dans la voie du désarmement nucléaire en rejoignant la dynamique internationale du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires de l’ONU (TIAN).