Le fil chronologique est grosso modo respecté, puisque le récit démarre au général de Gaulle, et la sortie de la guerre d’Algérie, avec au passage un rappel concernant la Tunisie et une opération guerrière à Bizerte. Il continue avec les nombreuses incursions en Afrique, traite de la guerre en ex-Yougoslavie, de l’Afghanistan, de la guerre contre le terrorisme qui s’est malheureusement invitée sur le territoire français, pour terminer sur la situation au Mali, qui a déjà évoluée depuis la publication du livre (janvier 2022).
Quelques chiffres pour illustrer cette « guerre mondiale de la France » en cours : « Depuis la fin de la guerre d’Algérie, la France a mené 32 opérations militaires importantes, c’est-à-dire ayant au moins impliqué 1 000 soldats français ou de moindre volume mais ayant engagé des combats et occasionné des pertes. Chacune de ces 32 opérations a en moyenne causé la mort de 20 soldats français, un taux de perte historiquement très faible mais très sensible dans les conditions actuelles d’appréhension collective de la mort. » (p. 301). Michel Goya indique d’ailleurs plusieurs fois que les pertes humaines sont la ligne rouge que les différents présidents (chefs des armées, rappelons-le) observent à la loupe. L’opinion publique supporte toujours très mal ces morts en guerre, et cela est un indicateur majeur pour les choix d’opérations.
Michel Goya, lui-même militaire (ancien officier des troupes de marine), fait un descriptif précis, souvent illustré par des cartes, des différentes occasions où l’armée française s’est engagée. Je ne rentrerai pas dans le détail de ces diverses opérations militaires, ou de police, selon les pays, les circonstances, les forces engagées dans les combats. L’aspect purement militaire n’est pas l’objet de ce compte-rendu.
Ce retour sur notre histoire récente nous permet quelques constats, quelques réflexions. Le tout premier, dès le début du livre : « […] la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et désireuse de conserver un statut de puissance, se doit d’intervenir autant que possible dans les affaires du monde. […] dans le cadre des institutions de la Ve République, il est possible de le faire. Il suffit en effet que le président de la République le décide en conseil de Défense. La seule limite est que cette décision soit contresignée par le Premier ministre, également présent dans ce conseil, avec tous les ministres et les responsables concernés. […] » (p. 12). Pas compliqué donc, à la main de l’exécutif. Ceci dit, comme le constate l’auteur, la France a tendance, très souvent, à suivre les engagements des États-Unis. La résistance de Chirac à l’entrée en guerre contre Saddam Hussein étant une des exceptions qui confirme la règle. Une autre exception notable sous la cinquième République : Georges Pompidou a hérité d’une guerre au Tchad, à laquelle il a mis fin très rapidement. Et ensuite, il ne lance plus aucune opération.
Autre aspect qui donne à réfléchir : « […] il est souvent plus difficile de les dégager [les forces armées], car il est rare que le problème de fond pour lesquelles on les a envoyées soit rapidement et définitivement résolu. […] » (p. 255). Comment se retirer d’un bourbier qui s’embourbe jour après jours ? L’exemple actuel du Mali illustre bien cette phrase. Plus beaucoup d’autres. Les Serbes de Bosnie sont en ce moment, semble-t-il, en phase de réarmement. La guerre en ex-Yougoslavie est encore dans tous les esprits en Europe. Les différentes forces militaires sont parties. Pour autant, le problème de fond est-il résolu ?
Dans sa conclusion, Michel Goya tente de tirer un bilan de ces différentes opérations : « […] Si le bilan des guerres menées par la France est plutôt positif et celui des confrontations est assez mitigé, celui des opérations de stabilisation au sens large, dont le point commun est le refus de désigner un ennemi – interposition humanitaire armée, sécurisation —, est franchement mauvais. Idées simples et fortes contraintes permettent rarement de résoudre des situations compliquées. Les opérations de stabilisation sont des opérations de police au cœur des conflits […] » (p. 306). Il évoque aussi l’opération Vigipirate–Sentinelle (présence des soldats sur le sol français), en vigueur depuis 26 ans. Pour lui, il est difficile d’en juger le résultat. Cela rassure les populations, peut-être. Cela dissuade les opérations terroristes, peut-être. Cela introduit les forces armées dans des missions de police, sans doute. Et surtout, « […] cela a détourné des ressources humaines et budgétaires énormes qui auraient certainement été beaucoup plus utiles ailleurs pour la sécurité des Français […] » (p. 306). Peut-être, une nouvelle fois... Ce qui m’apparaît surtout comme une évidence, c’est le renforcement de la militarisation de notre pays.
Sans jamais chercher à mettre en place d’autres solutions plus douces, plus diplomatiques, afin de parvenir à apaiser les relations. La loi des armes reste la seule réponse envisagée par l’État. Les deux dernières phrases du livre (p. 322), le confirment : « La révolution militaire à venir consistera à nous organiser comme si nous étions en guerre. Cela tombe bien : c’est le cas. »
Il y a quelques années, le ministère de la Défense est redevenu les ministères des Armées. Ce livre le confirme à chacune de ses lignes. La logique militaire est la logique de la guerre.
C‘est cette logique que nous souhaitons inverser. Sortir de la logique de guerre nécessite de sortir de la logique militaire. C’est notre conviction, renforcée par la lecture de ces lignes.