Perdre un ami est toujours douloureux. Cela me renvoie à tous ces mercis que je n’ai pas osé exprimer, par pudeur, par timidité. Maintenant, il est trop tard.

Il est difficile au moment où nous l’apprenons de réaliser le vide que son départ va provoquer.

Je me souviens de notre première rencontre, non pas la date précise au cours des années 1990, qui en soi n’a pas vraiment d’importance, mais du contenu de nos échanges. Dominique était venu à Lyon nous rencontrer à l’Observatoire des armements pour discuter de la lutte contre la bombe. Il estimait que la lutte contre l’énergie nucléaire à laquelle il avait consacré de nombreuses années était en quelque sorte perdue, qu’il n’y avait plus rien à gagner sur ce terrain. Mais contre la bombe, il pensait qu’il y avait des avancées possibles, des « failles » dans lesquelles il fallait enfoncer le fer, agrandir pour obtenir un basculement.

Dominique interviewé par France 3 Bourgogne devant le centre CEA de Valduc le 6 août 2021 lors de la commémoration du bombardement d’Hiroshima.

Il a conduit cet engagement durant près d’une trentaine d’années, en assurant notamment l’animation de l’association « Stop essais ! » devenue ensuite « Armes nucléaires Stop », puis depuis 2016 « Abolition des armes nucléaires - Maison de Vigilance ». Cette conviction, il a essayé de la faire partager par de nombreuses organisations dans lesquelles il s’est impliqué en France et au niveau international, que ce soit le Mouvement de la paix, Europe écologie-les Verts, Pugwash, le Réseau Sortir du nucléaire, Abolition 2000, ICAN, etc.

Il a mené cette action de manière collective, toujours, avec une grande modestie et une énergie à toute épreuve, une force de conviction inébranlable en faveur de l’élimination des armes nucléaires, utilisant ses grandes compétences, son humour aussi, que ce soit au travers des spectacles de marionnettes ou de l’animation des réunions, ainsi que tout le travail de secrétariat ou de comptabilité réalisé pour le compte des associations avec l’aide et le soutien de Frédérique, sa femme, à travers ses interventions aux quatre coins de France avec cette capacité d’entrainement, de conviction, qui permet de rendre évidents des sujets complexes. Un souci pédagogique et de transmission pour les nouvelles générations, qu’il manifestait également au travers de nombreux écrits, notamment pour le bulletin d’Abolition. Il a su aussi organiser régulièrement les commémorations des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki entre le 6 et le 9 août de Taverny à Paris, puis Dijon et le prochain à Bordeaux dont nous avions commencé la préparation avec une première réunion sur place le 14 décembre, dernier jour où nous avons partagé un temps de repas, un verre de vin, des rires, des échanges, des convictions, bref, de l’amitié.

Difficile d’évoquer toutes ces richesses que tu nous as offertes Dominique, tout au long de ces années à partager un engagement en faveur d’un vivre ensemble qui ne pouvait exister dans l’ombre de la bombe, cette monstruosité inventée par l’homme à même de détruire toute vie sur Terre. Combien de textes travaillés collectivement, de coups de fil pour évoquer telle ou telle question, de projets mis en route — comme, par exemple, l’ouvrage Exigez le désarmement nucléaire total, avec la complicité de Luigi Mosca et publié aux éditions Stock sous la signature de Stéphane Hessel, Albert Jacquard et l’Observatoire des armements — et menés à terme durant trente ans de partage… Une générosité, un soutien sans faille et une fidélité à toute épreuve. Les mots sont impuissants à retracer cette confiance, ce compagnonnage.

Cet optimisme a été mis à rude épreuve ces derniers mois et dernières années, face à l’impasse dans laquelle la lutte pour l’élimination des armes nucléaires se trouve. La victoire réelle, forte, de l’adoption du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), reste sur un plan symbolique sans provoquer ce basculement espéré, à défaut de l’adhésion d’une puissance nucléaire ou d’un pays abritant des armes nucléaires américaines. Cela nous transforme de fait, nous les opposants à la bombe, en « idiots utiles » ; et justifie en quelque sorte, d’un point de vue démocratique, le maintien de l’arme nucléaire ? Tes derniers textes auront été pour mettre en cause l’hypocrisie de ces « Messieurs qu’on nomme grands », pour inviter les pays qui ont signé le TIAN à s’interroger sur leur place au sein du TNP, le Traité de non-prolifération, dont tu écrivais, il y a déjà plus de 10 ans dans un dossier spécial d’« Armes nucléaires Stop » co-publié avec Damoclès en 2010, qu’il avait atteint son « principe de Peter », c’est-à-dire son « niveau d’incompétence », ses limites. Il y a quelques jours à peine encore nous finalisions deux textes dans leurs versions française et anglaise afin qu’ils soient diffusés pour la dixième conférence d’examen du TNP [1], prévue à partir du 4 janvier et repoussée au mois d’août 2022. Avec au cœur cette question : comment créer ce choc qui conduise à un monde libéré des armes nucléaires ?

Ce sera malheureusement sans ta présence physique, mais nous savons que ta force, ta volonté et ton esprit nous accompagneront dans ce combat.

Merci Dominique.

Patrice Bouveret