En droit français, les exportations de matériel militaire sont soumises au principe de prohibition sauf dérogation de l’exécutif. Il s’agit de s’assurer que l’armement “Made In France” n’alimente pas de conflit armé, de guerre civile, ni ne serve à commettre des violations des droits humains. Pourtant la France vend des armes aux Émirats arabes unis alors qu’ils sont engagés dans la guerre au Yémen, et donc à l’origine de la plus grande catastrophe humanitaire du monde selon l’ONU, qui a causé la mort de près de 400 000 personnes.
En décrochant la 3ème place des plus gros exportateurs de matériel militaire au monde en 2020, la France se taille un succès commercial au détriment de ses engagements internationaux, puisqu’une part significative de ces fournitures équipe un régime accusé de violations du Droit international des droits humains et du Droit international humanitaire. Par l’intrication complexe des liens politiques, militaires et industriels tissés au fil des années afin de contourner le droit international, le partenariat étroit entre la France et les Émirats arabes unis fait figure de cas d’école. Il dessine les contours d’un véritable “système” pensé pour contourner les garde-fous légaux et moraux qui encadrent le commerce de l’armement.
Ainsi, la multiplication des transferts de technologies et l’implantation de grandes firmes de l’industrie hexagonale (ou de leurs succursales) au cours des dix dernières années ont fait d’Abu-Dhabi le cinquième plus important acheteur des équipements militaires français. La puissance du Golfe fait ainsi office de « zone grise » où vendre, fabriquer ou faire transiter du matériel français, sans entraves. Dénoncée depuis des années, et notamment au sujet du matériel de surveillance français fourni à l’Egypte d’Al-Sissi, cette duplicité institutionnalisée échappe toujours à tout contrôle démocratique efficace.
Notre rapport présente d’abord les obligations juridiques pour la France en matière d’exportation d’armement et documente l’implication d’Abu-Dhabi et de groupes affiliés dans le conflit au Yémen et dans la violation des droits humains. Il produit plusieurs témoignages directs et circonstanciés de victimes de ces exactions. Le second volet du rapport revient sur le développement du partenariat stratégique entre la France et ses alliés émiratis. Il met à jour le système qui permet le circuit d’exportations directes d’armement, le transfert de connaissances et de compétences françaises ainsi que le développement conjoint d’armements avec les Émirats, dans le cadre d’un projet impliquant d’autres fournisseurs (allemands, britanniques, etc.), et enfin le développement d’armements par des filiales étrangères d’entreprises françaises.
Les constats tirés de ces travaux viennent confirmer la pertinence des revendications portées par l’Observatoire des armements, la FIDH et ses organisations partenaires depuis des années. La première, reste d’interdire les exportations d’armes et de technologies de surveillance vers les Émirats arabes unis tant que de graves violations des droits humains sont commises par les autorités, les forces militaires et les forces mandataires de ce pays à l’intérieur du pays ou à l’étranger et notamment au Yémen. Et tant que les abus commis n’ont pas fait l’objet d’une enquête. Nous demandons aussi la création d’une commission d’enquête parlementaire permanente, chargée du contrôle systématique a priori et a posteriori, des exportations françaises d’armes et de matériel de surveillance vers des destinations sensibles. Nous demandons ensuite la réforme du processus d’autorisation des exportations d’équipements d’armement et de biens à double usage, dont l’opacité actuelle est particulièrement alarmante.