Quelle indemnisation pour les victimes en Algérie ?

Cette question ne concerne pas seulement les victimes en Algérie, mais bien l’ensemble des personnes affectées. Car en dix ans d’existence de la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, seulement 363 personnes ont pu en bénéficier. C’est ridicule au regard de conséquences subies par l’ensemble des populations et des personnels suite aux 210 essais réalisés par la France entre 1960 et 1996 en Algérie et en Polynésie ! Selon les dernières données publiées par le Civen, le comité chargé d’examiner les dossiers, c’est vrai qu’une seule indemnisation a été accordée à une personne habitant en Algérie, contre 63 indemnisations à des personnes résidant en Polynésie et 299 à des membres du personnel civil ou militaire.

Plusieurs raisons expliquent cette situation anormale. En premier, il ne faut pas oublier que si le gouvernement français a adopté une loi d’indemnisation, c’est avant tout le résultat des actions menées durant de nombreuses années par les populations, les personnels militaires et civils des essais avec le soutien des associations, tout particulièrement de l’Observatoire des armements, de l’Aven (Association des vétérans des essais nucléaires) et de l’association Moruroa e nous, regroupant les anciens travailleurs polynésiens. Des actions menées au niveau des médias, des parlementaires et y compris devant la Justice. En Algérie, la constitution d’associations de victimes a été plus tardive et elles rencontrent encore beaucoup de difficultés pour se faire entendre…

Ensuite, il y a des problèmes très basiques : c’est-à-dire que pour les populations vivant dans la zone des essais, les démarches pour bénéficier de la loi ne sont pas des plus simples. Outre que tout se passe en français dans un pays où la langue officielle est l’arabe, il faut rassembler nombre de pièces administratives, pouvoir se déplacer si besoin, etc. Il faudrait, par exemple, que la France, en concertation avec l’Algérie, dépêche des équipes socio-médicales sur place pour aider à la constitution des dossiers. Nous en sommes loin !

Quant aux opérations de décontamination des sites du Sahara, cela nécessite obligatoirement un accord entre les deux gouvernements et une volonté politique de part et d’autre qui n’existe pas réellement au-delà des discours.

Faut-il changer la loi Morin ?

La loi Morin, relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français pose le principe de réparation du préjudice subie pour toute personne souffrant d’une maladie radio-induite résultant des essais nucléaires. Là où il y a problème, c’est dans son application qui repose pour une large part sur de simples décrets pris par le gouvernement.

Parmi les mesures rapides qui pourraient être prises concernant particulièrement les populations en Algérie, c’est, d’une part, élargir les zones ou les personnes doivent avoir séjourné et, d’autre part, compléter la liste des 23 maladies ouvrant droit à l’indemnisation…

En revanche, la loi devrait être modifiée afin de permettre un prise en compte des conséquences génétiques et de leur transmission pour les générations suivantes. D’ailleurs, depuis son adoption en 2010, la loi Morin a déjà été modifiée à plusieurs reprises afin de permettre sa mise en œuvre effective.

Pourquoi les archives sont inaccessibles

La principale raison dépasse le cadre des relations tumultueuse entre les deux pays. Elle se trouve dans cette culture du secret particulièrement bien ancrée dans la tradition française, tout particulièrement concernant le domaine militaire. La difficulté d’accès aux archives se pose pour l’ensemble des chercheurs, journalistes ou citoyens, quelque soit leur nationalité.

En 2008, alors que nous arrivions au terme ou ces archives allaient rentrer dans le domaine public, une loi a été adoptée créant une catégorie spéciale pour les archives concernant le nucléaire, les rendant ainsi non communicables sans autorisation spécifique.

Le rapport Stora et la question des essais nucléaires français

La mission confiée par le Président Emmanuel Macron à l’historien Benjamin Stora brassait un spectre très large couvrant toute la période de la colonisation et la guerre d’Algérie. Dans son rapport, il propose différentes recommandations pour une possible réconciliation mémorielle entre les deux pays. Les polémiques sont nombreuses avec une fragmentation des mémoires et une concurrence préjudiciable des enjeux venant compliquer la tâche…

Nous regrettons que la place consacrée aux conséquences des 17 essais nucléaires réalisés par la France pendant la guerre d’Algérie et les cinq premières années de l’indépendance, ne soit pas plus importante. Notamment Benjamin Stora n’aborde que la question des déchets laissés par la France sur place, sans souligner l’importance des conséquences sanitaires pour les populations du Sahara qui ne peuvent pas être considérées comme un problème dont la gestion reviendrait uniquement au service de santé algérien…

Mais notre inquiétude vient surtout dans la mise en œuvre des nombreuses recommandations du rapport. Car des propositions pour le règlement des conséquences des essais, ont été annoncées à deux reprises au moins, en 2008 et en 2012, par les responsables politiques de l’Algérie et de la France, sans qu’elles soient suivies d’une mise en œuvre concrète.

D’autre part, il faut également attendre la publication du rapport et des recommandations que doit remettre M. Abdelmadjid Chikhi au président Tebboune. Car c’est à partir de la publication de ces deux documents que pourra s’élaborer une nouvelle feuille de route entre la France et l’Algérie.

Pour que le dossier avance, il faut qu’il y ait une volonté partagée de part et d’autre de sortir de la situation tumultueuse et conflictuelle entre les deux pays et de mettre en place des actions pragmatiques en s’appuyant sur les différentes études déjà réalisées et les besoins exprimés par la population concernée.

Conséquences de l’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) oblige, pour la première fois dans le droit international, les États membre à prendre en charge les victimes et à réhabiliter l’environnement impactés par l’utilisation des armes nucléaires (article 6). Cela représente une avancée importante qui ne figurait pas, par exemple, dans le Traité sur l’interdiction des essais nucléaires adopté par l’ONU en 1995, bien que cela avait été souhaité par certains États.

L’Algérie a non seulement participé à l’ONU au processus de négociation du TIAN, mais elle est également intervenue pour que la réparation des dégâts provoqués par les essais nucléaires soit intégrée dans le traité. Il serait important qu’elle ratifie au plus vite le traité, qu’à ce jour elle a seulement signé depuis le 20 septembre 2017, jour de l’ouverture à la signature… En effet, la ratification du traité lui permettrait notamment de faire appel aux autres États parties du traité pour l’aider dans ses obligations de prise en charge des victimes et de réhabilitation de l’environnement affectés par les essais. Cela renforcerait sa demande à la France de réparation.

Toutefois, la France refusant de reconnaître le TIAN et donc d’y adhérer, ce dernier ne lui confère aucune obligation juridique, compte tenu des règles actuelles de fonctionnement des instances internationales. Pour autant, il n’en est pas de même au niveau politique et éthique, d’autant plus pour un pays qui se veut le fer de lance du respect du droit international…