La réduction des ogives nucléaires se poursuit malgré des tensions croissantes
Les neuf États dotés d’armes nucléaires – États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine, Inde, Pakistan, Israël et République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) – détenaient à eux seuls environ 13 400 armes nucléaires début 2020. Cela représente une diminution comparée aux 13 865 armes nucléaires que le SIPRI avait estimé être en possession de ces États début 2019 (voir tableau ci-dessous). Environ 3 720 de ces armes nucléaires sont actuellement déployées avec des forces opérationnelles et près de 1 800 d’entre elles sont maintenues en état d’alerte opérationnelle élevée.
La diminution du nombre total d’armes nucléaires dans le monde en 2019 est principalement due au démantèlement des armes nucléaires retirées par la Russie et les États-Unis qui, à eux deux, détiennent toujours plus de 90 % des armes nucléaires dans le monde. Les réductions des forces nucléaires stratégiques américaines et russes, requises par le traité de 2010 sur les mesures de réduction et de limitation supplémentaires des armes stratégiques offensives (New Start), ont été achevées en 2018 et 2019. Les forces des deux pays sont restées inférieures aux limites fixées par le traité.
Le traité New Start expirera en février 2021, à moins que les deux parties ne conviennent d’une prolongation. Cependant, les discussions pour prolonger New Start ou pour négocier un nouveau traité n’ont guère progressé en 2019. Cela est dû en partie à l’insistance de l’administration américaine pour que la Chine se joigne à toutes les futures négociations sur la réduction des armes nucléaires – ce que la Chine a catégoriquement exclu.
« L’impasse sur New Start et l’échec en 2019 du traité soviéto-américain de 1987 sur l’élimination des missiles de portée intermédiaire et de portée plus courte (Traité FNI), suggèrent que l’ère des accords bilatéraux de contrôle des armes nucléaires entre la Russie et les États-Unis pourrait toucher à sa fin », précise Shannon Kile, directrice du programme Désarmement nucléaire, contrôle des armements et Non-prolifération du SIPRI. « La perte des canaux de communication clés entre la Russie et les États-Unis, qui visaient à promouvoir la transparence et à empêcher les perceptions erronées de leur position et capacité respectives en matière de forces nucléaires, pourrait potentiellement conduire à une nouvelle course aux armements nucléaires. »
Développement en cours de systèmes d’armes nucléaires nouvelle génération
La Russie et les États-Unis ont des programmes vastes et coûteux en cours pour remplacer et moderniser leurs ogives nucléaires, leurs systèmes de lancement de missiles et d’avions et leurs installations de production d’armes nucléaires. Les deux pays ont également donné des rôles nouveaux ou élargis aux armes nucléaires dans leur doctrine militaire, ce qui marque un renversement significatif de la tendance à la marginalisation progressive des armes nucléaires qui prévalait après-guerre froide.
Les arsenaux nucléaires des autres États dotés sont considérablement plus petits, mais tous ces États développent ou déploient de nouveaux systèmes d’armes ou ont annoncé leur intention de le faire. La Chine est en train de moderniser considérablement son arsenal nucléaire. Elle développe pour la première fois ce qu’elle appelle une triade nucléaire, composée de nouveaux missiles terrestres et maritimes ainsi que d’avions à capacité nucléaire. L’Inde et le Pakistan augmentent lentement la taille et la diversité de leurs forces nucléaires, tandis que la Corée du Nord continue de donner la priorité à son programme nucléaire militaire en tant qu’élément central de sa stratégie de sécurité nationale. Bien que la Corée du Nord ait adhéré à son moratoire auto-proclamé sur les essais d’armes nucléaires et de missiles balistiques à longue portée en 2019, au cours de l’année elle a effectué plusieurs essais en vol de missiles balistiques à courte portée, y compris plusieurs nouveaux types de systèmes.
Faible niveau de transparence sur les capacités nucléaires
La disponibilité d’informations fiables sur l’état des arsenaux et des capacités nucléaires des États dotés varie considérablement. « Les États-Unis ont publié des informations importantes sur leurs stocks et leurs capacités nucléaires, mais en 2019 l’administration américaine a mis fin à cette publication », précise Hans M. Kristensen, chercheur principal associé au programme Désarmement nucléaire, contrôle des armements et non-prolifération du SIPRI et directeur du Nuclear Information Project à la Federation of American Scientists (FAS). Le Royaume-Uni et la France ont également déclaré certaines informations. La Russie ne met pas à disposition du public un contenu plus détaillé de ses forces comptabilisées sous New Start, même si elle partage ces informations avec les États-Unis.
Les gouvernements de l’Inde et du Pakistan déclarent certains de leurs essais de missiles, mais fournissent peu d’informations sur l’état ou la taille de leurs arsenaux. La Corée du Nord a reconnu avoir effectué des essais d’armes nucléaires et de missiles, mais ne fournit aucune information sur ses capacités en matière d’armes nucléaires. Israël a une politique de longue date consistant à ne divulguer aucune information sur son arsenal nucléaire.
Forces nucléaires mondiales, Janvier 2020
Une année d’instabilité internationale croissante
La 51ème édition du SIPRI Yearbook révèle une détérioration continue des conditions permettant une stabilité internationale. Cette tendance se traduit, entre autres, par la crise actuelle dans le contrôle des armes nucléaires, qui a subi de nombreux revers en 2019. « En ces temps de tensions géopolitiques toujours croissantes, l’absence de mesures adéquates pour surveiller les arsenaux nucléaires et empêcher la prolifération des armes et matières nucléaires est une évolution particulièrement préoccupante », explique Kile.
En plus de couvrir de manière détaillée les questions de contrôle des armes nucléaires et la non-prolifération, la dernière édition du SIPRI Yearbook comprend également des informations sur l’évolution du contrôle des armements conventionnels en 2019 ; des aperçus régionaux des conflits armés et la gestion des conflits ; des données et des analyses approfondies sur les dépenses militaires, les transferts internationaux d’armements et la production d’armes ; une revue complète des efforts dans la lutte contre les menaces chimiques et biologiques pour la sécurité.
Traduction française : Aziza Riahi, Observatoire des armements