Il s’agit de la dernière initiative engagée par la Commission et les États membres afin d’enrayer la chute des dépenses militaires des pays européens et de favoriser l’émergence d’une véritable industrie de défense européenne intégrée comme prélude à l’établissement d’une armée européenne.

Le Fonds européen de la défense veut soutenir l’ensemble du cycle de développement des systèmes d’armes : de la recherche au développement de prototype. La tendance actuelle étant à l’automatisation, le Fonds va renforcer la production d’armes autonomes (drones, robots tueurs...). Il succède à une première phase-pilote de 590 m€ sur la période 2017-2020 qui avait déjà autorisé le développement de robots tueurs, en contradiction avec la résolution du Parlement européen... votée en septembre dernier demandant l’interdiction de ces technologies. De même, le Fonds n’exclut pas explicitement les armes de destructions massives ou leurs vecteurs, alors que l’ONU vient d’adopter un traité d’interdiction des armes nucléaires… Ainsi le futur avion de combat que la France vient de lancer en coopération avec l’Allemagne et que l’Espagne vient de rejoindre pourra ainsi bénéficier de financements européens… Petit problème : il sera aussi porteur de l’arme nucléaire !

Autre point problématique : les financements octroyés par le Fonds s’adressent non seulement aux industriels des États membres, mais également à ceux des États associés —. Israël pourra-t-il prétendre aux fonds européens, comme le lui permet déjà le programme Horizon 2020 sur le volet des technologies sécuritaires ?

Comme on peut le noter, tout n’est pas encore réglé au niveau de la mise en place de ce Fonds qui suscite de nombreuses réticences. C’est pourquoi, les parlementaires élus le 26 mai 2019 devront poursuivre les négociations avec les États membres sur les questions en suspens.

Car « en l’état actuel des choses, le nouveau fonds ne fournira aucun mécanisme destiné à réduire la fragmentation et à réduire les surcapacités industrielles qui poussent [les fabricants à] exporter de plus en plus vers des destinations douteuses dans le monde », a souligné le rapporteur Reinhard Bütikofer (écologiste).

C’est pourquoi le groupe écologiste, et une partie de la gauche allemande, se prononcent depuis longtemps en faveur de la mise en place d’un mécanisme de contrôle européen des exportations d’armes, afin d’éviter que celles-ci alimentent les zones de conflit, comme actuellement au Yémen. Ils ont été rejoints lors du dernier vote par les députés de Génération-s. Mais la droite, majoritaire au Parlement européen —et plusieurs composantes de la gauche, dont les socialistes français —ont refusé la plupart des garde-fous proposés.

En effet, même si les financements sont européens, le contrôle restera national et les États membres pourront poursuivre leurs exportations d’armes comme ils l’entendent, y compris vers les régimes autoritaires et pays en guerre. C’est d’autant moins justifiable qu’une Position commune de l’Union européenne sur les exportations d’armement existe déjà depuis… 2008 ! Ce texte subordonne les transferts au respect de huit critères comme le respect de la paix et l’absence de violation des droits humains. Or la possibilité de faire évoluer sa portée politique et juridique en lien avec la mise en place du Fonds n’a même pas été mise en débat.

Certes, dans un communiqué publié le 19 avril, les socialistes français assurent que « les exportations d’armes seront contrôlées par la Commission européenne et devront respecter les intérêts de l’Union, au rang desquels ses valeurs, le respect du droit international, la stabilité, la paix. Si ces intérêts ne sont pas respectés, les financements européens devront être remboursés. » Une formulation cependant imprécise... le contrôle portant uniquement sur les transferts des résultats (études, prototypes...) produits par les projets européens, pas sur les armes en tant que telles. De plus, il ne faut pas aller bien loin pour discerner les limites d’une politique de contrôle reposant sur l’autorégulation de l’organe exécutif — ce qui est la fonction de la Commission à l’échelon européen.

Ainsi les contradictions sont vites présentes. Pas plus tard que mi-avril, Raphaël Glucksman, tête de liste PS-Place Publique aux élections européennes, demandait des comptes au gouvernement français sur la vente de matériel militaire à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Or, la conception du drone français Patroller de Safran — dont les premiers clients sont l’Égypte et les Émirats arabes unis — a été financée en partie par des fonds européens pour lesquels ils ont votés...

Mais, au-delà de ce vote conjecturel, des questions essentielles restent en suspens et interrogent sur le respect des principes démocratiques élémentaires : alors que l’Union européenne a été initialement fondée sur l’idée de paix,quel est l’objectif des financements militaires ? S’il s’agit de jeter les bases d’une politique communautaire en matière de défense, ne fallait-il pas au préalable consulter les citoyens européens pour légitimer la redéfinition du projet européen et définir les bases d’une politique de sécurité commune ? Faute de réponses claires, le Fonds entretient la dynamique de militarisation actuelle et ne fait qu’alimenter les conflits en cours et à venir sous couvert de lutte contre le terrorisme…