Dans une pétition en ligne, près de 118 000 Européens ont déjà exprimé leur opposition à l’utilisation de l’argent public européen pour la recherche et le développement de nouveaux armements. « Des dizaines de milliers d’Européens, notamment de France, du Royaume-Uni, d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne, se sont rapidement mobilisés pour envoyer un message clair à leurs chefs d’État et de gouvernement : s’ils veulent vivre dans une Europe sûre, ils ne croient pas que cela sera possible en dépensant des millions d’euros en armes, ce qui s’apparente à subventionner l’industrie de l’armement. Ils pensent qu’il y a de meilleures façons d’utiliser leurs impôts pour garantir la sécurité du continent européen », dit Virginia López Calvo, chargée de campagne à We Move Europe.
1,5 milliard d’euros par an
L’UE est à la croisée des chemins. Doit-elle soutenir une paix sous-financée ou contribuer à la course aux armements mondiale ? Le 7 juin, la Commission a proposé de mettre sur la table 500 millions d’euros de plus en 2019-2020 pour la phase de développement de nouveaux produits, en plus des 90 millions d’euros de l’Action préparatoire pour la recherche militaire couvrant 2017-2019. Et à partir de 2021 ces fonds grimperont à 1,5 milliard d’euros par an pour la recherche et le développement de nouveaux produits et technologies militaires.
Les propositions de la Commission européenne impliqueront nécessairement des coupes drastiques au détriment d’autres actions civiles, car le budget européen actuel est limité ; et il est très peu probable que les États membres augmentent leurs contributions nationales après 2020. Pour couronner le tout, l’UE va enregistrer la perte de la contribution britannique après le Brexit.
La porte ouverte à la prolifération totale
L’objectif principal de ces mesures est de renforcer la compétitivité de l’industrie de l’armement, y compris sa capacité à exporter. « Dans le contexte actuel de concurrence forcenée dans le secteur de l’armement et de manque de vision politique commune, le résultat le plus probable de ce Fonds de défense sera de voir des technologies militaires payées par l’UE être vendues à l’étranger et exacerbant la course mondiale aux armements. Cela n’a pas grand-chose à voir avec la protection des citoyens européens » ajoute Laëtitia Sédou, chargée d’Affaires européennes au Réseau européen contre le commerce des armes (ENAAT).
En effet, « la Commission européenne prévoit que les brevets autour des recherches militaires réalisées sur les fonds publics restent “privés”. Cela signifie qu’en l’absence de tout contrôle européen, les industriels de la défense pourront exporter librement leurs “prototypes”. En favorisant leur autonomie, l’Union européenne prend le parti de la prolifération des technologies », explique Tony Fortin, chargé de recherche à l’Observatoire des armements.
Un argument économique peu pertinent
Le risque est grand également de voir ce fonds européen bénéficier surtout aux grandes entreprises du secteur, qui sont basées chez les principaux exportateurs d’armes de l’UE (France, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie), lesquels sont de fervents partisans de ce fonds européen... L’argument économique (emplois et croissance) n’est par ailleurs pas fondé : les investissements en R&D créent plutôt un transfert d’emplois hautement qualifiés du civil au militaire, au vu du manque de personnel qualifié (cf. Dunne & Braddon, Economic Impact of Military R&D, Flemish Peace Institute 2008). Il y a des moyens plus efficaces de créer des emplois et soutenir la croissance sans les impacts négatifs liés à la production d’armes.