Plein d’images se bousculent, d’échanges, de partages tout au long de ces quarante ans où nos chemins se sont croisés… Du groupe « Objections en monde rural » né en 1973 sur la Loire et le Rhône, que tu accompagnais alors comme aumônier du MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) ; à ce renvoi collectif de papiers militaires auquel tu as participé en 1978 pour marquer ton engagement concret aux côtés des objecteurs en proie à la répression et qui te valut d’être à ton tour condamné par la Justice. De ces études que tu as suivies à l’Université sur les questions de défense au milieu des années 1980, alors que la lutte en Europe contre les euromissiles nucléaires faisait rage… De ce mémoire que tu as alors soutenu, pointant les incohérences, les peurs de se positionner de l’Église catholique face à la menace nucléaire, et qui a contribué à ton retrait de cette institution…
Et bien sûr remontent des souvenirs de ce projet fou imaginé au printemps 1984 de créer à trois personnes le CDRPC, le Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits, à Lyon, devenu « Observatoire des armements » en 2008, dont tu as assumé durant une quinzaine d’années la direction… La critique des essais nucléaires était un axe central de notre action avec le contrôle des armes et l’ouverture d’un débat en France pour renforcer le contrôle démocratique des activités militaires. Une action s’appuyant sur la publication de dossiers au contenu précis émanant d’un travail de recherche irréfutable et la mobilisation ensuite des médias, des parlementaires, des associations citoyennes pour faire progresser le droit et la justice au service de la paix.
Ainsi tu as contribué à la mise en place en 1991 du collectif « Stop essais ! » — qui aujourd’hui poursuit son activité sous le nom de « Abolition des armes nucléaires—Maison de Vigilance — et de son bulletin mensuel où dès le premier numéro en février 1991 tu évoquais les conséquences sanitaires et environnementales des tirs sur Moruroa. En juillet 2016, c’est encore toi qui signais l’édito à propos des 50 ans de la première bombe atomique en Polynésie. Ton séjour en 1990 en Polynésie française pour vérifier les témoignages recueillis par des médecins pour le compte de Greenpeace n’a pu que renforcer tes convictions : il fallait élargir notre action aux conséquences de ces essais pour les populations polynésiennes et algériennes à qui on n’avait rien demandé. Le « choc » provoqué par ta visite à Mangareva, d’où alors tu m’avais téléphoné, a désormais servi de fil rouge à ton engagement : « En raison de ce que j’avais vu […] j’avais besoin de comprendre. » « C’est ce “choc” qui m’a incité à aller au-delà des simples témoignages et à continuer. » Depuis lors tu n’as eu de cesse de dénoncer, d’interpeller, de tisser un réseau, pour que Vérité et Justice soient rendues aux victimes des essais nucléaires. Un long travail d’investigation qui est à l’origine de la loi du 5 janvier 2010, dite loi Morin en faveur des victimes des essais nucléaires. Le « Nuclear Free Futur Award », ou prix de l’avenir sans nucléaire qui t’a été décerné en 2010, viendra honorer cet engagement sans faille que tu as poursuivi jusqu’à ces dernières semaines.
Ton départ provoque un immense vide, mais les nombreuses investigations que tu as menées, les ouvrages et nombreux articles que tu as rédigés, les documentaires auxquels tu as contribué, continueront d’être le socle indispensable sur lequel pourront s’appuyer tous ceux qui agissent pour faire reconnaître les conséquences sanitaires, environnementales des essais nucléaires et poursuivre cette immense tâche d’un avenir sans menace atomique suspendues au-dessus de nos têtes.
Tes amis de Métropole et de Polynésie te remercient de ton travail, effectué avec beaucoup de modestie et une grande ténacité, qui a réussi à faire émerger la réalité des essais atomiques français.
Pars en paix, Bruno.
Patrice Bouveret