« Les exportations constituent chaque jour un peu plus des relais de croissance importants pour nos entreprises. » se félicite Jean-Yves Le Drian, dans le dernier rapport au Parlement sur les exportations d’armes. Fort de ses résultats (8,2 milliards d’euros de « prises de commande » en 2014) et des récents succès liés aux ventes du Rafale cette année (Égypte, Inde, Qatar), le gouvernement met en avant des arguments économiques pour justifier sa politique d’exportation d’armes.

Les armes seraient-elles des marchandises comme les autres ? Force est de constater que ce n’est pas le cas puisqu’elles relèvent – encore ! - de l’action politique. Chaque décision d’exportation est entre les mains de la Cieemg (la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre) qui est sous la tutelle du Premier ministre. De plus, les transferts d’armes forgent les relations diplomatiques que la France développe vis-à-vis de certains pays. Ils s’inscrivent bien souvent dans des accords de coopération militaire et de sécurité signés avec le pays acheteur. De fait, ce commerce se situe au confluent de plusieurs types d’intérêts : industriels et économiques certes, mais aussi diplomatiques et géostratégiques, voire même corporatistes.

Petits arrangements

Il est aujourd’hui établi que la France a envoyé des armes aux rebelles libyens en 2011 ou au groupe armé touareg le MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad) pour lutter contre ses ex-alliés djihadistes au nord du Mali en 2012. Ces livraisons d’armes à des « groupes armés » concourent non seulement à donner un « avantage stratégique » déterminant à ces forces, mais aussi à poser une option sur le futur du pays. Avec le risque que ces armes terminent entre les mains d’autres belligérants ou se retournent contre leur « envoyeur ». Ainsi en est-il des armes lâchées aux rebelles libyens dont une partie s’est retrouvée par la suite entre les mains des groupes djihadistes au Mali (Aqmi, Ansar Dine et le Mujao). Quant aux livraisons d’armes au MNLA au Mali, elles interrogent dans la mesure où le mouvement touareg entretient des relations poreuses avec ceux que Paris nomme les « groupes terroristes ».

Ces transferts d’armes rentrent en contradiction frontale avec le droit international. Depuis une quinzaine d’années, en réaction aux guerres notamment au Moyen-Orient et en Afrique, toute une série de programmes et de conventions régionales et internationales ont été négociés pour combattre la prolifération des armes. En témoignent le Programme d’action des Nations unies en vue de prévenir, combattre et éradiquer le commerce illicite des armes légères et de petit calibre sous tous ses aspects (2001), la Position commune de l’Union européenne définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires (2008) ou le Traité sur le commerce des armes (TCA) entré en vigueur le 24 décembre 2014.

Nés pour partie de la mobilisation de la société civile, ces textes interdisent, notamment, tout transfert d’armes à des pays en guerre, où se produisent des violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Au premier rang sont ciblés les pays sous embargo, selon une liste fixée par le Conseil de sécurité de l’ONU et l’Union européenne. Au regard des envolées lyriques de ses dirigeants, on pourrait croire que la France a intégré les différentes obligations internationales dans sa législation et tout particulièrement le respect des embargos. Or ce n’est pas le cas !

La France traîne des pieds…

Certes, depuis plus de dix ans, le gouvernement a régulièrement déposé devant le Parlement, au gré des alternances politiques, un projet de loi visant à sanctionner pénalement les violations des embargos. Mais ce texte, enfin voté (à l’unanimité !) en première lecture au Sénat en 2007, n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée par le gouvernement ! L’absence de volonté politique est patente : les gouvernements successifs entendent livrer des armes au gré de leurs intérêts géostratégiques. Ce projet de loi serait donc pour eux « un boulet aux pieds », les contraignant à respecter les embargos fixés par l’ONU ou l’Union européenne, qui s’appliquent indistinctement aux entités ou personnes parties prenantes du conflit.

Redéposée une nouvelle fois en 2013 à l’Assemblée nationale, la dernière version du projet de loi couvre à la fois les transferts d’armes stricto sensu mais aussi toutes les activités (commerciale, formation, assistance technique…) les rendant possible. Mais le texte s’enlisant de nouveau, L’Observatoire des armements, Survie et d’autres ONG ont réengagé début 2015 un travail de plaidoyer à destination des autorités. Le ministère de la Défense, le Quai d’Orsay et l’Elysée ont assuré la main sur le coeur qu’il n’y avait plus de blocage politique, mais étrangement rien ne bouge au niveau de l’exécutif. Les députés socialistes Pouria Amirshahi, nommé rapporteur pour ce texte il y a plus de deux ans, Christophe Léonard et Nathalie Chabanne, Noël Mamère (app. EELV), Danielle Auroi (EELV) et Alain Bocquet (FdG) ont dernièrement interrogé le ministre des Affaires étrangères sur la date de son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée. Espérons que d’autres députés accentueront la pression.

Source : Billets d’Afrique n°250, septembre 2015