Le 22 novembre dernier., lors de la présentation du rapport annuel sur les ventes d’armes, il s’est engagé à renforcer le système de contrôle en concertation avec les parlementaires, les ONG et les industriels concernés. Un signal positif qui fait suite à dix ans de glacis sur le sujet.
Car le chemin risque d’être long. En effet, si l’exécutif a intégré bon an mal an une certaine tradition de concertation avec les parlementaires et la société civile sur les sujets économiques et sociaux, il demeure fort rétif à tout débat public effleurant son pouvoir souverain, comme si cela risquait d’ébranler les fondements même de sa puissance. Il est temps que, le gouvernement — et tout particulièrement le ministère de la Défense — dépasse le stade des échanges de courtoisie pour tenir compte des demandes émanant de la société civile !
En effet, ce dernier, qui assure la plus grosse part du contrôle des exportations d’armement, a tout à gagner d’une augmentation des ventes d’armes de la France. D’ailleurs, le ministre n’a pas renoncé à promouvoir les exportations d’armements, notamment en développant des partenariats stratégiques avec les principaux clients de la France ! Cela étant, peut-on raisonnablement attendre qu’il exerce conjointement ces deux missions sans risquer de privilégier l’une sur l’autre ?
Une schizophrénie bien visible quand le gouvernement annonce réfléchir à intégrer le système d’espionnage d’Amesys vendu à la Libye de Kadhafi dans la liste de matériel soumis au contrôle tout en continuant par ailleurs à l’exporter à des régimes autoritaires (Maroc, Qatar). Une schizophrénie suintant également dans le rapport annuel que le ministère de la Défense élabore à destination des parlementaires. Guidé au départ par un objectif de transparence, il a été vidé de l’essentiel de sa documentation utile sous le dernier gouvernement pour devenir un instrument de promotion des exportations d’armes. La version 2011 ne déroge pas à la règle et continue à faire pâle figure face à ses homologues britanniques ou néerlandais qui mentionnent les quantités et les caractéristiques du matériel exporté...
Il y a douze ans, des députés n’avaient pas hésité à qualifier le système d’exportation français « de boîte noire », ainsi que « de monde d’initiés appliquant des règles inconnues de façon incontrôlable. Et d’en déduire : « Pire encore, cette situation amène certains à considérer qu’en réalité les exportations d’armement en France ne sont régies par aucune règle [1] . » La situation n’a pas vraiment changé depuis.
L’opacité concourt à dissuader les parlementaires de toute velléité de contrôle. Demander des éclaircissements sur les ventes d’armes aboutit à remettre en cause la probité de l’exécutif, ce qui on s’en doute n’encourage pas l’implication des parlementaires… Il est pourtant possible de mettre en place un mécanisme de contrôle parlementaire tout en respectant la séparation des pouvoirs.
Au Royaume-Uni, deuxième exportateur d’armes au monde, le gouvernement publie tous les trois mois sur un site internet un relevé sur les exportations d’armes. Sur le base de celui-ci et d’autres informations classées « secret défense » auxquelles elle a accès, une commission parlementaire peut demander des explications au gouvernement. L’exemple britannique prouve qu’un équilibre entre « la raison d’État » et l’indispensable rôle de contrôle du Parlement peut être trouvé.
Dans notre pays, le rôle des commissions des Affaires étrangères et de la Défense pourrait tout à fait évoluer de façon à intégrer un suivi régulier des exportations vers les destinations sensibles. De même la transparence pourrait être améliorée — avec la publication régulière de liste du matériel exporté — sans que cela nuise au secret commercial sans cesse évoqué comme paravent…
Il est temps d’ouvrir la boite noire, d’en finir avec cette loi d’airain qui conduit à répéter les mêmes erreurs indéfiniment. Si la « présidence normale » se décidait à dépasser les cercles ministériels pour organiser un débat contradictoire sur les ventes d’armes et mettre en œuvre les principales recommandations qui en découleraient, elle s’inscrirait là dans une véritable politique de rupture vis-à-vis de ses prédécesseurs et contribuerait au renforcement du contrôle démocratique des exportations d’armes.
[1] Rapport d’information n°2334 des députés Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret au nom de la Commission de la défense nationale et des forces armées, Le contrôle des exportations d’armement, le 25 avril 2000.