Armements

Article paru dans Silence n°395 (novembre 2011)

Jeux vidéo et monde militaire, un couple inséparable ?

Biens à double usage

Mise en ligne : Jeudi 20 septembre 2012
Dernière modification : Vendredi 9 décembre 2022

Le lien entre les jeux vidéo et le monde militaire n’est pas nouveau, et explique en partie pourquoi ils semblent les produits d’une « culture de violence ». Ce divertissement est né au sein du complexe militaro-industriel américain en pleine guerre froide, dans le contexte de la course à l’espace avec l’URSS. Une époque où le Pentagone dope de crédits le milieu de la recherche en informatique – dont font partie les hackers, inventeurs des jeux vidéo.

Apparu en 1962, Spacewar, le premier jeu vidéo simulant un combat spatial a servi avant tout à mesurer la puissance de calcul des ordinateurs. Dans les années 80, Battlezone, une simulation de tank vectorielle très célèbre a été utilisée par l’armée américaine comme support à l’entrainement. Mais c’est au cours des années 90, que cette collaboration, profitant d’une massification du marché, va déboucher sur une véritable synergie entre le Pentagone et l’industrie des jeux vidéo, le premier injectant des dépenses de recherche et investissement dans la conception de simulateurs militaires qui ont fini par être adaptés pour le commerce. Des jeux comme Harpoon, Rainbow Six et Full Spectrum Warrior sont les fruits de cette collaboration. Le recours au jeu vidéo comme outil de recrutement ne s’est amorcé qu’en 2002 avec America’s Army, un jeu multijoueur online qui a réussi à attirer jusqu’à présent près de 10 millions de joueurs.

En 2006, l’armée française s’est décidée à suivre le modèle américain à l’aide d’une version transformée de Ghost Recon Advanced Warfighter (GRAW) baptisée Instinct, jeu commercial dont la rhétorique est proche de la guerre contre le terrorisme. Une synergie s’établit alors entre l’armée et l’éditeur du jeu Ubisoft puisque la première a fourni au second une expertise militaire afin d’améliorer le réalisme de la simulation dans l’optique d’une future version commercialisée. Les enjeux qui se profilent sont doubles. D’un part, les soldats peuvent s’entrainer à la guerre et se familiariser avec les armes et combinaisons futuristes dont les jeux militaires s’inspirent (les exo squelettes, muscles artificiels, senseurs etc. des soldats de GRAW) et qui ne sont pas encore introduits sur le terrain. En France par ex., pour répondre aux mutations de la guerre, l’armée française recourt au fantassin à liaison intégré (FELIN) pourvu des dernières nano-technologies de pointe, un combattant proche du cyborg (mi-humain, mi-machine) anticipé par GRAW. De l’autre, le public (jeune, masculin, issu de classe populaire) que l’armée cherche à recruter participe clairement à une « sensibilisation » militaire à partir du monde civil et se sensibilise à la rhétorique de la guerre propre et anti-terroriste. Cependant, la collaboration entre l’armée française et l’industrie des jeux ne s’est pas vraiment poursuivie par la suite. Elle se limite aujourd’hui tout au plus à l’insertion de publicités de recrutement dans les jeux de sport.

D’évidence, les jeux de guerre ne pourraient voir le jour sans la conjonction de plusieurs forces. Comme la préparation des guerres réelles (par ex., la recherche dans les nano-technologies est mise au service du monde militaire), la conception des simulateurs de guerre puise dans la technologie civile et les ressources des plus gros distributeurs de contenu culturel. A un niveau marginal, nous participons donc au développement des armées « en jouant », comme c’est le cas, depuis longtemps, en « regardant » les nombreux films de guerre réalisés avec l’aide du Pentagone.

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