Des tonnes de résidus dangereux en Polynésie
C’est un mythe qui s’effrite aussi lentement et sûrement que les atolls polynésiens secoués par les bombes atomiques : celui de la propreté des 193 essais nucléaires français réalisés dans le Pacifique entre 1960 et 1996. Tant sur le plan environnemental qu’au niveau des populations. La réalité est tout autre.
En 2006, Marcel Jurien de la Gravière, alors délégué à la sûreté nucléaire de la Défense, avait reconnu que six de ces essais avaient « affecté plus significativement quelques îles et atolls », entraînant des retombées sur des zones habitées, et ce jusqu’à Tahiti. « Il y a eu beaucoup de retombées, corrige aujourd’hui Bruno Barrillot*, délégué pour le suivi des conséquences des essais nucléaires auprès du gouvernement polynésien. Au moins cinq archipels ont été touchés. C’est le cas des Gambier, situés à 400 km sous le vent des tirs… »
Aucun regard extérieur
À la même période, les Polynésiens ont découvert que sur des sites baptisés Oscar ou Novembre, au large de Mururoa, près de 3000 t de déchets radioactifs avaient été immergées : carcasses d’engins militaires utilisés sur les sites ou carottages de sols souillés, par exemple. Dans les entrailles de l’océan se trouvent surtout les résidus des 147 essais souterrains, soit des cavités remplies de produits de fission. « Les reliefs sous-marins du nord-ouest de l’atoll sont très fragilisés, développe Bruno Barrillot. Du jour au lendemain, des trous béants peuvent apparaître, libérant des matières hautement radioactives. » Quelque 670 millions de m3 sont concernés, ce qui représente un risque avéré de tsunami en cas de rupture.
Régulièrement, la Direction générale de l’armement procède bien à des relevés sur Mururoa et Fangataufa, « mais ils sont toujours communiqués des années plus tard, s’agace Bruno Barrillot. On vient de recevoir le rapport 2010… » Sans compter que le Commissariat à l’énergie atomique, comme l’armée, ne laisse aucun regard extérieur se poser sur la radiologie des zones de tir. La Criirad, Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité, est régulièrement écartée des appels d’offres. À son initiative, elle mène actuellement une étude dans la zone des Gambier, analysant notamment les coraux, dont la structure permet d’avoir un historique de la radioactivité.
Dans les mois qui viennent, une loi du sénateur (PS) de Polynésie Richard Tuheiava sera examinée à l’Assemblée. Adoptée en janvier au Sénat, elle prévoit notamment « une réhabilitation environnementale » des sites, selon le principe pollueur-payeur .
Le Parisien, Nicolas Jacquard | Publié le 17.07.2012
* Auteur de L’Héritage empoisonné, Éditions Observatoire des armements