Le Point.fr : Un nouveau gouvernement sera bientôt nommé. Quel est le message que l’Aven (Association des vétérans des essais nucléaires) et l’association des victimes polynésiennes Moruroa e Tatou - que vous conseillez - souhaitent faire entendre au futur ministre de la Défense ?
Patrice Bouveret : Ce message tient en peu de mots : le problème des victimes des essais nucléaires français en Algérie et dans le Pacifique reste à régler. Une loi d’indemnisation et de reconnaissance, dite loi Morin, a certes été votée (Loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français), mais elle est paradoxale puisqu’elle n’indemnise personne ! Au bout de deux ans d’application de la loi, on constate que sur plus de 700 dossiers déposés, seuls quatre ont connu une issue positive, les personnes concernées bénéficiant d’une indemnisation. À nos yeux, cela pose un problème.
Vous évoquez 700 personnes concernées. Ne sont-elles pas plus nombreuses ?
Les 700 personnes dont je parle sont celles dont les dossiers ont été jugés recevables, car ils entrent dans les strictes limites de la loi. Celle-ci a beau être très restrictive, les 700 dossiers lui sont conformes, tant au plan des maladies reconnues comme étant induites par l’exposition aux pollutions que par la zone géographique où s’est trouvée la victime. Mais bien d’autres personnes sont concernées, qu’il s’agisse d’Algériens ou de Polynésiens qui n’ont pu constituer un dossier. En réalité, une dizaine de milliers de personnes sont concernées...
Mais vos demandes n’ont-elles pas été prises en considération, puisque des décrets d’application élargissent désormais le champ d’application de la loi ?
C’est exact. Le président Nicolas Sarkozy a fait modifier les décrets d’application, ce qui vient d’être accompli. Le nouveau décret a été publié le 3 mai dernier, mais on retrouve en réalité les difficultés antérieures : le nouveau texte ne modifie pas la méthode d’étude des dossiers au cas par cas.
Concrètement, où se trouvent les problèmes ?
À nos yeux, le premier d’entre eux réside dans le fait que la loi confie au ministère de la Défense le soin de décider qui peut être indemnisé, ou pas. Une telle décision devrait plutôt être confiée au ministère de la Santé, ou à une commission interministérielle. Ou encore à une structure qui aurait notre préférence : un fonds d’indemnisation comparable au Fiva qui gère les problèmes des victimes de l’amiante et dont les membres agissent indépendamment du politique. Mais dans le cas des victimes des essais nucléaires, et alors même que le ministère de la Défense se trouve à l’origine du problème, c’est à lui qu’il revient de décider qui a droit à une indemnisation ! C’est une affaire sanitaire, pas militaire...
Quelles sont les conséquences de ce choix ?
La méthodologie mise en place pour juger le dossier médical des victimes et déterminer sa relation avec les essais nucléaires bloque sur la question de la preuve. La radioactivité reçue par un corps ne laisse pas de signature. Du coup, la quasi-totalité des dossiers est rejetée au motif que la preuve scientifique n’est pas apportée entre la présence sur les sites d’essais et la maladie qui peut survenir 20 ou 30 ans plus tard. Or la liste des maladies induites par l’exposition à la radioactivité est très longue, allant des cancers aux affections cardiovasculaires et aux maladies neurologiques.
Réclamez-vous autre chose que la mise en place d’une nouvelle commission d’indemnisation ?
À sa manière, la loi Morin traite les questions sanitaires. Mais pas les questions environnementales. En janvier dernier, le sénateur socialiste Richard Tuheiava a obtenu l’examen de sa proposition de loi "relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française", qui a été votée par le Sénat. Nous attendons le résultat des élections législatives pour voir si elle sera également adoptée par l’Assemblée nationale.
Et qu’en est-il des victimes algériennes ?
Depuis 2007, une commission franco-algérienne d’experts est en place. Chargée d’un état des lieux et de propositions concernant le nettoyage des sites sahariens, elle n’a toujours pas rendu son rapport cinq ans après sa mise en place. Les Algériens portent il est vrai une part de responsabilité dans ce retard, mais aussi le gouvernement de François Fillon. On attend donc que le futur gouvernement accélère les choses !
Le nouveau président de la République a-t-il pris durant la campagne des engagements sur ce dossier ?
Des contacts avaient évidemment été pris, et l’équipe de campagne s’est engagée à modifier la loi Morin pour faciliter les indemnisations. Elle s’est également engagée à ce que la loi votée par le Sénat soit transmise à l’Assemblée nationale. Mais aucun engagement n’a été pris à l’égard du volet algérien de ce dossier. Nos demandes de rendez-vous avec le nouveau gouvernement sont déjà rédigées.