Une loi pour rien ? s’interrogeaient, début 2010, les associations de victimes des essais nucléaires français. Au vu des premières décisions rendues par le comité d’indemnisation, la réponse semble bien positive : sur les 12 premiers dossiers examinés, le ministre de la Défense a prononcé 11 rejets et 1 seule acceptation, et encore, au minimum ! « La “reconnaissance” par l’État des victimes des essais nucléaires devient une mascarade ! » s’insurge l’association polynésienne Moruroa e tatou. « Force est de constater, pour l’instant, que cette loi a été élaborée dans la seule intention d’enterrer nos revendications de vérité et de justice sous une avalanche d’effets de manches », constate de son côté Jean-Luc Sans, président de l’Aven (Association des vétérans des essais nucléaires). Bien sûr, les dossiers rejetés feront l’objet d’un recours au tribunal administratif. Mais cela représente un surcroît en termes de tracasseries, de temps supplémentaire face aux préjudices subis…
Ce résultat est d’autant plus scandaleux que les dossiers déposés, tant par l’Aven que par Moruroa e tatou, remplissaient les conditions draconiennes – liste de maladies reconnues atrophiées, présence dans des zones géographiques totalement arbitraires, etc. – de la loi Morin et de son décret d’application, adoptés après plus de vingt ans d’actions politiques et judiciaires menées par les victimes avec le soutien des médias, de parlementaires, de nombreux scientifiques.
Au moment de la présentation à la presse de la loi, Hervé Morin, alors ministre de la Défense, avait pourtant prévenu : tout au plus quelques centaines de personnes seulement seront concernées par les indemnisations prévues dans le cadre de cette loi… À ce rythme, cela risque bien de se réduire à quelques dizaines seulement, si les parlementaires acceptent sans réagir que leur vote soit ainsi dévoyé, et si les médias ne relaient pas l’indignation ressentie par les vétérans et les populations du Sahara et de Polynésie.
Et cela sans oublier que la loi Morin ne prévoit pas, notamment, la mise en place d’un suivi médical pour les vétérans et les populations, comme si la radioactivité arrêtait d’agir avec la fermeture des sites d’essais ! Elle ne prend pas non plus en compte les conséquences environnementales et l’organisation d’un suivi des nuisances par un organisme de contrôle indépendant, au Sahara comme à Moruroa, où l’atoll menace de s’effondrer… De même, à l’heure actuelle, des entreprises métropolitaines et polynésiennes travaillent à la réhabilitation de Hao sans protection particulière et ne semblent pas, a priori, bénéficier des droits particuliers des travailleurs du nucléaire.
C’est pourquoi, à l’initiative de l’Aven et de Moruroa e tatou, un observatoire des dispositifs de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, l’Obsiven [1], vient de voir le jour. Réunissant victimes, scientifiques, médecins, personnalités, parlementaires et autres spécialistes, son objet est de rechercher, réunir ou faire procéder à toutes études sociologiques, épidémiologiques, médicales et environnementales utiles à des propositions d’évolution de la loi et de son décret d’application. Un enjeu d’autant plus important que l’expérience ainsi acquise pourra être bénéfique pour l’ensemble des acteurs de la filière nucléaire, militaire comme civile…
[1] Obsiven, 187, montée de Choulans, 69005 Lyon. Tél. : 04 78 36 93 03.