Mary B. Davis (à droite) avec Rosalie Bertell à New York en septembre 2010 (Photo Bruno Barrillot)

Mary B. Davis (à droite) avec Rosalie Bertell à New York en septembre 2010 (Photo Bruno Barrillot)

Mary est née le 30 septembre 1936 au Pays de Galles en Grande-Bretagne et elle émigra avec sa famille aux États-Unis alors qu’elle était enfant. Elle a fait de bonnes études, jusqu’à l’université où elle a obtenu un doctorat en lettres (PhD). Mariée à Robert Davis, elle a eu deux enfants, John et Carol et deux petits-enfants Sammy et Mathiew qu’elle adorait.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Mary était une fervente écologiste, probablement sensibilisée par son fils John qui est depuis des années un militant très engagé et connu pour ses prises de position et ses écrits aux États-Unis. Mary, elle, n’a pas l’allure d’une activiste et j’ignore même si elle a participé à l’organisation de manifestations. Même si parfois elle a été invitée à prendre la parole dans des conférences sur les questions environnementales, elle n’a pas l’allure de la manifestante… Et d’ailleurs, sa frêle silhouette n’aurait guère résisté à une confrontation avec les forces de l’ordre qui aux États-Unis comme ailleurs ne sont pas toujours tendres avec les foules porteuses de banderoles et de pancartes…

Mary était une chercheuse, jusqu’au bout des ongles ! Il faut l’avoir vue travailler sur un projet de bouquin : des papiers griffonnés répandus sur son bureau et même sur le sol. Fatras vite remis, en vrac dans un sac plastic de quelque supermarché, quand il s’agissait de passer à autre chose. Comment se retrouvait-elle dans tout cela ? C’est probablement le mystère de son génie ! On constate cependant que le résultat final de ses recherches soit aussi précis, bien ordonnancé et surtout d’une présentation très pédagogique. Bien sûr, les maquettistes ont dû parfois s’arracher les cheveux ! Elle recueillait toutes sortes de documents, de rapports, fouillait les bibliothèques aussi bien que les archives syndicales. Dans certaines bibliothèques américaines, elle a déniché des documents et micro-fiches introuvables en France. Chez elle, à Lexington, la capitale de l’État du Kentucky, il doit y avoir des tonnes de dossiers, probablement entassés et qu’elle seule doit pouvoir retrouver !

Mary aimait rédiger des « guides » qui, dans le domaine nucléaire sur lequel elle a beaucoup travaillé, restent des mines d’information fiables auquel tout militant peut se référer sans risque d’erreur. Curieusement pour une Américaine, elle est devenue une des meilleures spécialistes du complexe industriel nucléaire français : son guide La France nucléaire retranscrit en deux langues — français et anglais — sur internet est certainement le plus connu de ses ouvrages. Elle avait travaillé sur ce guide avec Mycle Schneider de WISE-Paris et son épouse Julie qui est restée jusqu’à ses derniers moments son amie et sa confidente. En 1993-94, nous avons collaboré dans un livre publié par l’Observatoire des armements/CDRPC, Les déchets nucléaires militaires qui a connu son heure de gloire en faisant l’objet d’une grande émission télévisée d’information de ces années-là, « La marche du siècle ». Mais elle a aussi publié des rapports sur le complexe nucléaire américain, notamment sur les conséquences environnementales des installations de fabrication de matières nucléaires à Savannah River et autres « hauts lieux » de l’industrie nucléaire militaire américaine.

Mary ne se cantonnait pas seulement aux questions nucléaires. En France, elle a réalisé un plan « vert » de Paris sur lequel les touristes écologistes américains pouvaient trouver les adresses des boutiques bio de toutes sortes aussi bien que les coordonnées des groupes écologistes. Aux États-Unis, elle a publié plusieurs livres sur les « forêts primaires » du Nouveau monde… à tel point que pour « sauver » de tels trésors de la planète encore préservés, elle a fait acheter par sa famille une des parcelles d’une immense forêt primaire des confins de l’État de New York — proche de la frontière canadienne — pour bloquer des projets immobiliers et industriels. Son fils John n’y était pas pour rien ! Mais Mary était très heureuse de se retrouver en été sur cette propriété du fond des bois, avec sa maison traditionnelle en bois et, évidemment, le coin de jardin potager bio qui était entretenu avec soin.

Mary a rencontré l’équipe de l’Observatoire dès les débuts de la création du CDRPC en 1984. Elle accompagnait à Lyon, son mari Bob qui, professeur de français, participait à un échange d’enseignants français et américains. Bob a dû enseigner deux ans au lycée du Parc à Lyon et c’est au cours de ce séjour que Mary a d’abord pris contact avec Michel Bernard qui anime la revue Silence, pionnière dans la presse écologiste française. Et c’est ainsi qu’elle a pris contact avec le CDRPC. Il est probable que sans Mary, l’Observatoire aurait eu des difficultés à survivre très longtemps, tant les questions nucléaires et de défense restent un tabou en France. Le projet du CDRPC — documentation et recherche — c’était un peu son domaine, si bien que partageant pleinement nos objectifs, dès qu’il s’est agi d’élargir le conseil d’administration, nous lui avons demandé d’en être la vice-présidente, poste qu’elle a conservé jusqu’à aujourd’hui. Ce n’était pas seulement honorifique : à chaque conseil d’administration, elle donnait son point de vue ou, lorsqu’elle ne pouvait pas venir en France, envoyait ses remarques avec sa procuration. Combien de textes de Damoclès ou de communiqués de l’Observatoire, elle et Bob son mari, n’ont-ils pas traduits en anglais !

De retour aux États-Unis, Mary n’a eu de cesse de trouver des moyens d’existence et de travail pour le CDRPC. Elle a démarché des fondations dans le vaste milieu écologiste et antinucléaire américain. La fin des années 1980, après la chute du Mur de Berlin, était probablement une période favorable pour mettre l’accent sur la dénucléarisation mondiale, notamment militaire. Certaines fondations américaines ignoraient ce qui se faisait en France en raison de la barrière linguistique et Mary s’est faite l’intermédiaire entre elles et le travail du CDRPC. Grâce à son aide, des demandes de financements ont été déposées auprès de ces fondations — Alton Jones Foundation, Ploughshares Fund, MacArthur Foundation… — et ainsi des programmes de recherches ont pu être mis en place au CDRPC sur le complexe militaro-nucléaire français. Je dirais que le « démarchage » des fondations était un travail épuisant et minutieux. Parfois, je me plaignais auprès de Mary, presque découragé : « Mais, ils veulent avoir les résultats de la recherche avant même que nous ayons pu la commencer ! » Heureusement qu’elle veillait et traduisait en anglais ces interminables demandes ! Combien de coups de fils a-t-elle dû passer aux responsables de ces Fondations pour décrocher la subvention attendue ! Nous devons garder une grande reconnaissance à son égard, tant elle s’est investie, en plus de ses propres travaux de recherche, dans la consolidation des activités, puis de l’audience ainsi acquise, de l’Observatoire.

Le désintéressement de Mary était étonnant et presque comique. Pour financer ses déplacements en France au cours de toutes ces années — elle venait à Lyon au moins une fois par an — Mary s’était trouvé un « job » particulier. Je la taquinais en lui disait qu’elle faisait de l’espionnage « alimentaire » ! En fait, elle avait pris contact avec la Fédération américaine des produits alimentaires surgelés et avait proposé de faire des reportages « culinaires » pour sa revue professionnelle sur les recettes de surgelés des grandes surfaces françaises. Alors Mary courait, entre deux temps d’investigation dans les archives du CDRPC, dans les supermarchés de Lyon, prenait quelques photos subrepticement, achetait des produits surgelés, les cuisinait plus ou moins et rédigeait son commentaire qu’elle envoyait, avec le carton d’emballage, à la revue américaine. C’était paraît-il assez bien payé. En tout cas, cela lui remboursait ses voyages en France. Mais le plus fort, c’est que Mary avouait être une piètre cuisinière — je l’ai expérimenté ! — et sa grande crainte était de rater la cuisson de la dinde traditionnelle du « Thanks Giving »…

Lors de son dernier passage à Lyon, au printemps 2010, elle était déjà bien malade et a dû être hospitalisée dès son retour aux États-Unis. En septembre 2010, recevant le prix « Nuclear Free Future » à New York, Mary avait tenu à être présente à mes côtés et, comme je ne parle pas anglais, comme à son habitude, elle a été mon interprète. Elle vivait certainement une période de rémission de sa maladie — du moins me l’avait-elle laissé entendre — et je l’ai retrouvée presque telle que je l’ai presque toujours connue, aussi menue, toujours attentive et curieuse des activités que nous poursuivons en Polynésie et au Sahara sur les conséquences des essais nucléaires. Je crois lui avoir dit qu’elle était un peu la « marraine » de tout cela. En tout cas, c’était un grand plaisir de la revoir. Lors de la cérémonie de remise du prix, elle était aussi très fière de rencontrer ces militants et chercheurs américains avec lesquels elle avait seulement correspondu par email ou par téléphone depuis le Kentucky. Elle a été très heureuse de parler longuement avec Rosalie Bertell, cet autre « pilier » de l’information sur les risques sanitaires de la radioactivité.

Bruno Barrillot